Personne devant un halo de lumière

« Immortalité numérique » : en Chine le business de la résurrection cartonne

La dystopie Black Mirror est-elle en train de devenir une réalité ? En Chine, les services de deadbots, des bots reproduisant des proches décédés, sont en plein essor.

Une grand-mère demande à son petit-fils s'il a bien mangé. « Comment vas-tu, grand-mère ?, lui répond le jeune homme. Ça fait longtemps que je ne t’ai pas vue…» On croit assister à une visio tout ce qu'il y a de plus classique. Sauf que la grand-mère qui s’exprime est décédée. Le jeune homme dialogue avec une réplique numérique récréée par intelligence artificielle. Un marché particulièrement dynamique en Chine, où de nombreuses entreprises proposent de se connecter à l'au-delà. 

© Silicon Intelligence

En Chine, l'intelligence artificielle révolutionne le secteur funéraire

Les services d' « immortalité numérique » explosent en Chine. Un succès qui ne surprend pas Zeyi Yang, journaliste au MIT Tech Review, pour qui se confier aux morts fait partie intégrante des rituels de culte en Chine. Appelées chagrinbots, deadbots ou avatars post-mortem, ces répliques numériques de défunts « créent l'illusion qu'une personne décédée est toujours en vie et peut interagir avec le monde comme si de rien n'était, comme si la mort ne s'était pas produite », explique Katarzyna Nowaczyk-Basińska, qui étudie comment la technologie façonne les expériences de mort, de perte et de deuil. Super Brain ou Silicon Intelligence affirment avoir créé des milliers de « bots fantômes ». Selon Yang Mujiang, ingénieur chez Silicon Intelligence, ces technologies sont déjà très avancées. « Pour copier l'apparence physique, nous avons seulement besoin d'une vidéo de trois minutes de la personne qui parle tout en faisant des gestes naturels et habituels. Pour le son, nous avons besoin d’une dizaine de minutes d'enregistrement audio. Tout ça prend seulement quelques jours. Pour le clonage de la pensée, c’est un processus qui est plus progressif : plus nous avons de matière, plus il y a de ressemblance avec la personne décédée. Au fur et à mesure que nous accélérons le développement de notre technologie, le dialogue est de plus en plus élaboré », indique la spécialiste qui supervise le service "Cimetière ".

La mort défiée par les nouvelles technologies

En dehors de la Chine, d'autres sociétés surfent également sur le business de la résurrection. HereAfter AI ou StoryFile sont, quant à elles, capables de permettre aux vivants de garder un lien (virtuel) avec leurs morts grâce à des chatbots conversationnels. Et les géants de la technologie comptent bien, eux aussi, exploiter le filon. En juin 2022, Amazon a indiqué travailler sur une mise à jour d'Alexa qui lui permettrait d'imiter n'importe quelle voix, même celle d'un membre de la famille décédé. Rohit Prasad, vice-président senior d'Amazon, avait déclaré à l'époque : « Même si l’IA ne peut pas éliminer la douleur de la perte, elle peut certainement faire perdurer les souvenirs. » Des technologies auxquelles a aussi recours le cinéma. Les répliques parlées de l’acteur Val Kilmer dans Top Gun : Maverick ont été générées grâce à une intelligence artificielle après qu’il a perdu sa voix, suite à un cancer de la gorge.

Mais si certains font appel à des sociétés spécialisées dans le deuil virtuel, d'autres détournent des outils existants pour rester connectés avec l'au-delà. C'est le cas d'Ana Schultz, jeune femme de 25 ans originaire de l'Illinois, qui demande régulièrement des conseils culinaires à son mari décédé en février 2023 grâce à Snapchat My AI. « Il était le chef de la famille, alors j'ai personnalisé My AI pour qu'elle lui ressemble et je lui ai donné le nom de Kyle », raconte Ana, au média CNN. « C'est une petite chose idiote que j'utilise pour m'aider à avoir l'impression qu'il est toujours avec moi dans la cuisine.» Danielle Jacobson, animatrice radio de 38 ans originaire de Johannesburg (Afrique du Sud), indique quant à elle utiliser la fonction vocale de ChatGPT. 

Les deadbots, freins ou facilitateurs du processus de deuil ?

Si Sima Huapeng, fondatrice de Silicon Intelligence, pense que ces nouvelles technologies « apportent un nouveau type d'humanisme » et permettent de commémorer les morts en mode 3.0, d'autres s'inquiètent des implications psychologiques et éthiques. Mary-Frances O'Connor, professeure à l'Université de l'Arizona qui étudie le deuil, y voit à la fois des avantages et des inconvénients. « Quand une personne meurt, pour entamer un processus de deuil, notre cerveau doit comprendre que cette personne ne reviendra pas. »

Nowaczyk-Basińska et Tomasz Hollanek, éthiciens des technologies au Leverhulme Center for the Future of Intelligence de l'Université de Cambridge, ont exploré les risques de ces technologies d' « immortalité numérique » . Dans une interview publiée sur le site ScienceNews, Nowaczyk appelle à la prudence : « Dans l'un de nos scénarios, nous présentons une femme en phase terminale laissant un deadbot pour aider son fils de huit ans dans le processus de deuil. Nous utilisons cet exemple parce que nous pensons qu’exposer les enfants à cette technologie peut être très risqué. Je pense que nous pourrions aller encore plus loin et utiliser cela, dans un avenir proche, pour dissimuler à un enfant le décès d’un parent ou d’un autre proche important. » La chercheuse s'inquiète également des dérives mercantiles. « Ces bots pourraient devenir de nouveaux espaces de placement de produit très sournois, empiétant sur la dignité des défunts et manquant de respect à leur mémoire. Imaginez qu'une personne interroge sa grand-mère décédée pour avoir sa recette de spaghetti carbonara et qu'elle reçoive à la place des recommandations pour un service de livraison de plats. »  

Peggy Baron

Chaque jour je m'installe à la terrasse de l'actu et je regarde le monde en effervescence. J'écris aussi bien sur les cafards cyborg que sur le monde du travail, sans oublier l'environnement et les tendances conso.

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