
On les décrit comme une génération surconnectée, greffée au smartphone. Mais du côté de la Génération Z, le temps d’écran est un sujet sérieux, que chacun gère à sa manière.
« C'est devenu un souci pour moi. J'ai du mal à me faire des amis IRL (in real life, dans la vraie vie en français, ndlr) à cause de mon manque d'acuité sociale. Du coup, je suis souvent sur les écrans », raconte Haron, 20 ans. Depuis l'âge de 16 ans, le jeune Parisien est inscrit sur quasi tous les réseaux sociaux, de Facebook à Snapchat, en passant par Instagram ou Twitter ; même s’il en a désinstallé certains « pour ne pas rester focalisé dessus ». Cette prise de conscience du temps passé sur les écrans, Margot, étudiante de 20 ans, l’a eue au début de ses études supérieures. « J’ai commencé à prendre mes cours sur mon ordi à la fac. Entre ça et le temps passé sur mon téléphone à répondre à mes amis ou à regarder YouTube… Je crois que j’ai augmenté mon temps d’écran, et j’aimerais bien le faire baisser », raconte la jeune fille. D’autant qu’elle vient de débarquer pour ses études à Bordeaux, ville où elle ne connaît pas grand monde. « C’est très important pour moi de garder du lien avec mes amis, je leur fais des petits vlogs sur Snapchat, j’échange beaucoup sur Instagram… Je ne veux pas couper mon lien social, mais il faut que je trouve une solution », déclare Margot, décidée.
Cachez ce portable que je ne saurais voir
Parmi les solutions testées, Haron tente de couper les écrans la nuit, et de dormir sans téléphone, en le laissant dans une autre pièce. « Généralement, je médite ou je lis. Ça me fait du bien de penser à autre chose », explique-t-il. Du côté de Margot, cette dernière essaye de couper son téléphone pendant ses voyages. « Cet été, je suis allée au Japon, et j’ai enlevé mes réseaux pendant deux semaines et demie. J’ai bien plus profité du voyage, ça m’a à peine manqué de partager des storys ou quoi », se souvient-elle. Et au quotidien, elle tracke son temps d’écran pour le conscientiser, ou de ne pas toucher à son téléphone une heure avant le coucher et une heure après le lever. Mais pour Margot ou Haron, garder le contrôle sur le temps d’écran est complexe. « Je suis en dépression, donc c’est compliqué de se couper totalement. Trouver un entre-deux est compliqué mais possible », évoque le jeune Parisien. « Je me dis que je perds du temps, que je pourrai faire d’autres choses plus stimulantes ! ” », constate Margot, qui a vu sa capacité d’attention diminuer depuis le début de ses études. « C’est très compliqué pour moi d’écouter un cours entier de deux heures. J’ai envie de faire d’autres choses sur mon ordinateur, pas forcément aller sur les réseaux, mais d’autres activités rapides et dynamiques », souffle-t-elle.
Limiter TikTok pour préserver sa santé mentale
D’autant que la plupart des jeunes interrogés se rendent bien compte des effets négatifs des écrans ou des réseaux sociaux sur leur concentration, leur santé mentale ou leur sommeil. En 2023 selon l’INSEE, 57 % des internautes de moins de 20 ans déclaraient au moins un effet néfaste lié à l’usage des écrans dans la vie courante. Eden, 19 ans, a installé TikTok au collège. Désormais en L3 de lettres, « au début je me sentais bien dessus, je voyais de quoi me divertir ou m’informer. » Rapidement, les réseaux sociaux deviennent « une source de giga-angoisse car je me comparais aux autres, et j’étais inquiète pour la société dans laquelle on vit », explique Eden, qui fait partie de la communauté LGBTQ+. Pour Violette, 21 ans, cela fait plusieurs années que l’application chinoise de courtes vidéos comble ses moments d’ennui. « Je me disais que j’allais faire "une petite pause TikTok’" car je pouvais me retrouver à rester 1h30 dessus, sans avoir bougé », se rappelle-t-elle. À force de voir des contenus idylliques, d’influenceurs à la vie de rêve, Violette se met, elle aussi, à se comparer, mais surtout à avoir l’impression qu’elle « perd son temps ».
Eden et Violette ont donc décidé de couper TikTok, pour récupérer du temps et un peu de confiance. « J’ai désinstallé l’appli en atterrissant en classe prépa, pour ne pas être dans un engrenage alors que je devais travailler… », se rappelle Eden. « Pour ma santé mentale ça m'a aidé.e, car je scrollais beaucoup moins ». Violette ne regrette pas non plus d’avoir mis l’appli à la corbeille. « Je me reconnecte à des activités qui demandent plus de temps de concentration, comme lire, ou regarder des films sans mon téléphone ! » constate-t-elle, ravie. Mais elle confie qu’elle compense parfois en regardant des Reels sur Instagram. Si Eden a fini par réinstaller TikTok, c’est pour partager son art du drag. « Surtout, je regarde des vidéos de nettoyage, du cleantok, car c’est hypersatisfaisant… », dit-iel en riant. Violette, elle n’a pas craqué, mais elle continue de recevoir des vidéos TikTok par message. « Et on ne peut pas voir les vidéos tant qu’on n’a pas l’appli, ça crée une frustration… Mais je résiste ! Ça ne m’apporte rien comparé à l’addiction qu’elle procure. »
Vivre sans réseaux, rêve ou cauchemar ?
La prise de conscience liée au temps qu’ils passent sur les écrans ou sur les réseaux sociaux pousse même certains adolescents à revenir à des “dumb phones”, les téléphones à clapet ou Nokia 3310 du début des années 2000. Aux États-Unis, certains se vantent même d’être devenus des Luddites, et de vivre sans réseaux sociaux. Si la pratique n’a pas forcément atteint l’autre côté de l’Atlantique, certains ados comme Rosalie, 16 ans, vivent très bien sans beaucoup de connexions. « J’ai déjà eu Snapchat ou Instagram quelques jours, mais je n’ai pas trouvé ça intéressant, alors j’ai supprimé », raconte la jeune Bordelaise. Elle ne communique avec ses amis que par WhatsApp, et regarde quelques vidéos sur YouTube, mais sans dépasser l’heure par jour qu’elle s’est fixée. « Je savais que je risquais de passer trop de temps sur les réseaux sociaux. Cela me faisait peur, le fait que tout peut prendre une grande ampleur très vite sur ces plateformes », explique la jeune fille, qui craint le cyberharcèlement. Rosalie se rend compte qu’elle est l’exception parmi les jeunes de son âge : elle rate des informations, des références culturelles, et n’est même pas présente dans son groupe de classe sur Snapchat. « Je ne me sens pas seule : je fais plein d’activités à côté, du sport, de la musique… Mais c’est vrai que pour mes proches, ça peut être un peu dérangeant, notamment par souci pratique », réagit Rosalie.
Pourtant, son entourage reste admiratif face à son hygiène numérique, et peu s’imaginent à sa place… Et pas que chez les moins de 25 ans. Selon l’INSEE en 2023, environ un tiers des personnes interrogées ont conscience des effets néfastes liés à l’usage des écrans et tentent de limiter leur temps d’écran, mais 7 % n’y parviennent pas. Manque de volonté ou conséquence de notre environnement digitalisé ? Dans une société où la dématérialisation s’accélère et touche tous les secteurs, des services publics au monde scolaire ou professionnel, peut-on encore imaginer un futur déconnecté ? « Aujourd’hui, c’est dur de vivre sans écran. Pour communiquer avec ma promo, mes profs, mes potes, ma famille… Je ne pourrai pas m’en passer. C’est compliqué, c’est toute une partie de ma vie », résume Margot.
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