Des soldats indien

Comment X et Facebook ont propulsé l'Inde et le Pakistan dans la guerre hybride

Le conflit a été nourri par des campagnes de haine mêlant images générées par IA et détournements de scènes de bombardement, d’abord diffusées sur les réseaux sociaux puis massivement relayées par les télévisions.

Fausses annonces de coup d’État relayée par des journalistes, fausses photos d’aéroport civil bombardé, vidéos faites à partir de simulation de jeu vidéo… Entre le 22 avril et le 10 mai dernier, l’Inde et le Pakistan ont connu l’une des plus grosses crises militaires de la décennie. Après une attaque terroriste islamique dans la vallée de Baisaran, le 22 avril, les deux pays ont échangé de vraies frappes de missiles et des tirs d’artillerie tout à fait réels impliquant notamment des avions de chasse et des drones. En plus d’une escalade très rapide, ce conflit s’est accompagné de son pendant numérique et informationnel : la fameuse « guerre hybride ». Et cette dernière a été totale.

Fausses images relayées par la télévision

Du côté indien, on a pu voir la mise en place d’une véritable cacophonie sur Instagram et X. Plusieurs comptes, déjà habitués à produire de la désinformation, ont mis en avant des victoires militaires exagérées ou a diffusé des vidéos trafiquées pouvant atteindre jusqu’à 1,7 million de vues. Le média indien de fact-checking Alt News fait ainsi état d’une utilisation massive de vidéos, parfois vieilles de plusieurs années, produites au sein du jeu de simulation militaire réaliste Arma3.

La télévision indienne a fortement participé à cette guerre hybride. Devant un manque de communication évident de la part des membres du gouvernement, les fausses informations sensationnalistes ont fait l’objet d’annonces dans les chaînes d’info en direct. En s’appuyant sur des images issues d’autres conflits (Gaza, Soudan) mais aussi de vidéos de catastrophes aériennes américaines, les chaînes TV9, Zee News, ABP News et NDTV vont proclamer à tour de rôle la destruction complète de villes pakistanaises ou la reddition, ou le renversement du Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif.

Du côté pakistanais, la désinformation s'est aussi rapidement répandue sur les réseaux et notamment sur X dont l'accès avait été coupé 15 mois auparavant, dans la foulée d’élections générales très contestées. Rétablie en pleine montée des tensions, la plateforme de Musk a été pleinement utilisée pour contrer les narratifs indiens et faire circuler de nombreuses fausses informations, des prétendues victoires militaires comme le bombardement d'un aéroport.

Montée de la haine et guerre sacrée

Dans les deux camps, les plateformes X et Facebook ont largement été utilisées pour amplifier le conflit et l’hystérie collective. D'après un rapport sur la guerre des médias sociaux qui a entouré le conflit indo-pakistanais, par l’organisation de la société civile The London Story, les affrontements armés ont été précédés par des vagues de haine. Des groupes et des influenceurs d'extrême droite indiens ont exploité l'événement pour appeler à la violence contre les musulmans indiens tandis que les pacifistes ont été systématiquement ciblés et qualifiés d' « anti-nationaux ». Cette campagne de propagande s'est beaucoup reposée sur des images générées par intelligence artificielle mêlant symboles religieux et imagerie militaire avec pour objectif de sacraliser le conflit et de le présenter comme une bataille juste entre le bien et le mal.

Quid de la modération ?

Ces diffusions massives ont fait l'objet de très peu de modération de la part des plateformes sociales qui ont sous-investi dans des modérateurs parlant les langues dans ces deux pays. Les outils d'intelligence artificielle se sont aussi révélés inefficaces face à des contenus islamophobes ou des appels à la violence formulés de manière indirecte ou codée. D'après un autre rapport du Centre d’étude de la haine organisée (CSOH), relayé par le Guardian, seules 73 publications sur les 427 les plus préoccupantes sur X, dont certaines comptaient près de 10 millions de vues, ont été signalées par un avertissement.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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