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Urgence climatique : innover, oui, mais comment ?

La technologie a-t-elle la solution à tout, y compris aux défis environnementaux ? L’innovation pour lutter contre le réchauffement de notre planète doit-elle être envisagée par le prisme de la disruption et du toujours plus, ou au contraire par la sobriété et une pensée plus low-tech ? À l’occasion d’une conférence du festival Building Beyond, nous sommes revenus sur ces questions avec Geoffrey Dorne, designer et conférencier. 

L’ADN est partenaire du festival Building Beyond. Organisé par Leonard, la plateforme de prospective et d'innovation du groupe VINCI, l’évènement a pour vocation d’explorer le futur de nos espaces urbains. Et pour cette sixième édition, qui se tient à Paris du 17 au 24 juin, la thématique fil rouge, « Le Futur du déjà-là », résonne fortement avec nos obsessions éditoriales. L’occasion de vous proposer un suivi de l’évènement sous la forme de comptes-rendus de conférences augmentés du regard de nos experts invités.

Pour conclure cette seconde journée du festival Building Beyond, le mardi 20 juin, un panel de spécialistes de l’innovation et de la climate tech étaient réunis pour se poser une question on ne peut plus essentielle : faut-il (encore) innover pour faire face à l’urgence climatique ? Et si oui, comment ? 

Dans un premier temps, François de Rochette, analyste climate tech chez Zenon France, a réalisé une présentation au sujet de l’innovation technologique vue de l’intérieur, de ses enjeux et de ses défis. Un panel animé par Clara Audry, vice-présidente Investisseurs de France Digitale, a ensuite réuni Denis Galha Garcia, directeur de l’innovation de Team for the planet, Julie Jouvencel, directrice générale de SoScience et Laurence Petit, directrice déléguée à l’innovation du CEA. L’enjeu de la conversation ? Débattre de la façon de mettre en œuvre une innovation à la fois durable et performante. Geoffrey Dorne, designer qui se définit comme hacker, s’est prêté au jeu du questions-réponses afin d’apporter son éclairage critique.

L’innovation (climatique), comment ça marche ?

Un mariage évident, entre innovation et combat climatique ? Dans son dernier rapport de synthèse, publié en mars 2023, le GIEC utilise près de 2000 fois le terme “innovation” et lui consacre pour la première fois un chapitre entier, affirme l’analyste François de Rochette, qui évolue au sein du think tank spécialiste du climat Zenon Research

Selon lui, l’innovation, processus de création d’idées qui peut être tout à la fois technologique, social ou économique, est fondamentalement liée à la question climatique. « L’innovation a déjà par le passé contribué à l’action climatique. Un exemple parfait et évident, ce sont les énergies renouvelables comme le photovoltaïque et les éoliennes », démarre l’analyste. Mais comment les secteurs les plus carbonés - notamment le transport et l’industrie - peuvent-ils passer à l’échelle pour atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris ? « C’est précisément là que l’innovation a un rôle à jouer : elle peut devenir un levier de la décarbonation », explique François de Rochette. 

Pour cela, les acteurs technologiques et industriels peuvent selon l’expert mettre en place des moteurs d’innovation : le learning-by-doing, les efforts en R&D, le transfert de connaissances entre secteurs et les économies d'échelle. Le spectre de l’innovation, par nature imprédictible et en perpétuel mouvement, doit également être considéré sous toutes ses formes et dans sa globalité. Faut-il arbitrer entre les innovations ? Comment réfléchir les innovations et les priorités ? François de Rochette prend l’exemple du monde automobile. « Quand on parle de véhicules bas carbone, on a souvent le débat : faut-il privilégier la batterie ou l’hydrogène ? Si on prend la question sous le spectre de l’efficacité énergétique, la batterie est gagnante à plate couture. On a vraiment un besoin de réfléchir à l'innovation à travers des référentiels, des critères, des indicateurs qui permettent des comparaisons fiables prenant en compte le CO2, mais aussi les impacts sociaux et économiques. »

Une approche de l’innovation éco-systémique et co-construite ? 

Pour l’analyste, il est à la fois essentiel d’étudier les mécanismes des innovations passées pour comprendre le déploiement de ces solutions et, aujourd’hui, articuler des solutions matures disponibles à court terme et des solutions plus complexes à développer sur le long terme.

Mais l’ensemble doit être fait dans une approche systémique, souligne Julie Jouvencel, managing director de SoSciences. « Comment les enjeux sociétaux et environnementaux peuvent être intégrés dans une démarche technologique ? C’est la question que l’on se pose au quotidien », explique-t-elle. L’entrepreneure n’hésite pas à employer le terme d’approche éco-systémique. « Il s’agit de faire de la co-création science-société, en pensant en amont les usages » continue-t-elle. « Comme on ne peut pas anticiper les effets, on ne peut pas innover seul. Il faut aller chercher les acteurs en dehors de ses partenaires habituels pour capter les signaux faibles. » Cette approche systémique doit aller plus loin, souligne Geoffrey Dorne, qui regrette un mot dont le sens est parfois dévoyé. « Autour de la table, il faut mettre des entreprises, citoyens, acteurs divers, mais également les écosystèmes, forêts, espèces, etc. Cela peut paraître étrange dit comme cela, mais on considère aujourd’hui dans certains lieux le droit des lacs ou des forêts à être protégés. C’est encore marginal, mais ce serait très intéressant et permettrait de rejoindre une véritable approche systémique en pensant aux intérêts des écosystèmes », explique-t-il. 

Une co-construction de l’innovation qui passe aussi par le financement. L’entreprise à mission Team for the planet a ainsi « mis en place un processus fondé sur l’intelligence collective », explique Denis Galha Garcia, son cofondateur. Le principe : une communauté de plus de 100 000 investisseurs qui aide les start-up à impact à se financer. « Nous avons 7 000 personnes qui jouent le rôle d’évaluateurs. Ces citoyens, avec cinquante ou cent évaluations, vont apporter des avis différents et cela fait émerger des tendances », continue-t-il. La question essentielle, toutefois, est celle des usages : « L’innovation doit être au service de ceux qui en ont vraiment besoin. Comment on va accompagner les personnes qui sont dans la nécessité climatique ? Plus que d’apporter des chiffres et se rassurer, la vraie question est de se dire : qu’est-ce qu’on va faire qu’on a pas encore fait, comment on va penser autrement ?  », continue Geoffrey Dorne. 

Pour le panel des invités de Building Beyond, la nécessité de continuer la recherche et l’innovation est évidente. Mais elle doit aussi évoluer vers une approche plus holistique des différents enjeux, incluant de nouveaux modes de fonctionnement comme l’innovation ouverte. « Il faut s’interroger sur l’ensemble du cycle : travailler sur l’économie circulaire, mais aussi développer les vecteurs énergétiques (hydrogènes, batteries, etc) et le partage de l’électricité. C’est une vision d’ensemble à avoir, donc », conclut Laurence Petit, directrice déléguée à l’innovation du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives. 

Dé-progrès et innovation de l’adaptabilité

Pour Geoffrey Dorne, la question de l’innovation face aux enjeux climatiques ne peut être décorrélée des effets concrets du réchauffement climatique sur le globe : il faut aussi une innovation de l’adaptabilité, insiste-t-il. « Le lien semblait ici clair entre innovation et investissement, mais il y a des manières d’innover différentes », souligne le designer, auteur d’un documentaire sur la low-tech. «(...) Je pense qu’il faut questionner le dé-progrès, même si le mot n’existe pas. Le réchauffement climatique crée un dé-progrès social avec des populations qui s’appauvrissent, des droits qui reculent, des guerres qui se créent. On pense souvent le progrès comme quelque chose de linéaire et qui avance, mais c’est un combat perpétuel. Le réchauffement climatique entraîne une vie plus dure sur l’ensemble de la population mondiale » et c’est à cela que l’innovation doit répondre, avant toute chose. 

Et si l’on pensait l’innovation comme un ensemble d’outils capables de soutenir ceux qui en ont le plus besoin, au-delà des enjeux financiers ? Car l’urgence climatique est derrière nous, c’est aujourd’hui l’adaptation à un monde climatique changeant qu’il faut mettre en œuvre. « Il va falloir innover pour s’adapter. Mais la croissance et le progrès ne questionnent pas les usages du grand public ni les ressources limités qui nous entourent. Innover, mais sans croissance, c’est un défi essentiel », conclut Geoffrey Dorne. 

Mettre autour de la table de nouvelles visions, mais aussi penser l’innovation par le prisme des usages et des nécessités dans une démarche de co-construction : c’est peut être là une autre voie pour le monde de l’innovation de demain. 

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