
Focus sur un innovateur de talent : Timothée Boitouzet. Ce jeune architecte de formation est en passe de révolutionner l’apparence de nos villes avec un bois « magique ». Rencontré à L’Échappée volée.
Son parcours l’a mené un peu partout dans le monde, mais c’est surtout au Japon qu’il a puisé ses inspirations : chez SANAA, un célèbre cabinet d'architectes, et auprès de l’architecte Kengo Kuma, il découvre une architecture pensée en totale harmonie avec la nature. « La manière dont les Japonais traitent le matériau est incroyable. Dans leur logique, il n’existe pas de permanence, tout est en flux continu, comme dans la nature, tout est appelé à évoluer. C’est la grande différence avec notre culture occidentale et la fameuse maison familiale en pierre héritée de génération en génération, où les constructions sont pensées pour durer pour l’éternité. Au Japon, le bâtiment est conçu en rapport avec son environnement : il n’existe pas de limites entre l’intérieur et l’extérieur. L’osmose avec la nature est une réalité », explique Timothée Boitouzet. « J’ai trouvé passionnant de combiner matériel et immatériel, je me suis donc tourné vers les sciences naturelles. » Le jeune architecte s’envole pour Harvard et se met en lien avec le département de biologie moléculaire. Il troque sa règle et son compas contre un microscope. « Je me suis intéressé à la structure du matériau, à la manière dont on peut la changer, lui donner de nouvelles caractéristiques. » Dès lors, Timothée se frotte à la complexité du vivant, à la chimie organique, à la biologie moléculaire.
Après deux ans à tenter de reconstruire la matrice cellulaire du bois, il découvre un matériau inédit : un bois translucide transformé à base de monomères biosourcés qui créent des liaisons anatomiques entre toutes les fibres, beaucoup plus forts que la lignine (substance qui donne toute sa rigidité au bois). Il suffit alors de susbstituer cette dernière pour donner au bois plus de rigidité. « Le bois est composé de 50 à 90 % d’air : changer sa structure, reprogrammer ses espaces vides, s’apparente à la réhabilitation d’un bâtiment vide. Un vrai travail d’architecte. » Le matériau « hybridé » qu’il conçoit est un bois translucide, imputrescible, plus résistant au feu et trois fois plus rigide que le bois d'origine. « Je pense que ce matériau peut avoir le même impact que celui du béton armé au siècle précédent. L’intégrité de la matrice cellulaire du bois est respectée. C’est aujourd’hui, un devoir de comprendre la nature et de l’augmenter plutôt que de l’appauvrir. »
En France, chaque année, 50 % du bois qui pousse n’est pas utilisé alors qu’il est élagué : 38 % est destiné à nous chauffer, 12 % à bâtir. « Notre découverte fonctionne avec toutes les espèces de bois, mis à part certains bois exotiques : elle permet de valoriser le pin, le peuplier, le tremble dont on ne se sert pas dans l’industrie du design et de la construction car trop fragiles.» Timothée a d’ailleurs installé sa start-up Woodoo en France afin de revaloriser ces essences locales. Autre facteur du cercle vertueux : la lignine extraite. « Transformable en énergie verte, en fibres de carbone biosourcées, en médicament, etc., elle représente aujourd’hui un marché de 300 millions de dollars. D’ici 2020, les analystes prévoient que ce marché atteindra 1 milliard de dollars. C’est exponentiel. Le seul fait de l’extraire, de la transformer, de la vendre, me permet en plus de réduire mes coûts de production et de proposer un bois ultracompétitif. »
De multiples marchés se présentent : le luxe, le design, le mobilier, l’automobile, l’aéronautique… L’immobilier devrait suivre, les accréditations étant longues à obtenir. Aujourd’hui, dans le monde, pour des questions de stabilité, la construction bois ne dépasse pas en général douze étages. Nul doute que Woodoo change bientôt la donne. « Il est essentiel pour le futur de nos villes de développer des constructions en bois : c’est plus écologique, et c’est le seul matériau de construction qui pousse tout seul. » Timothée a reçu pléthore de propositions, tous secteurs confondus. Il débute son activité en France, suivront la Scandinavie, le Japon, l’Amérique du Nord.
« La France a beaucoup fait pour moi, notamment avec les bourses qu’elle a versées pour mes études. Elle est, de plus, une terre propice à l’innovation : elle aide beaucoup l’écosystème des start-up. L’innovation, aux États-unis, ne passe que par le secteur privé : je comparerais ça à de l’agriculture intensive, alors qu’en France, on prend plus le temps d’une agriculture raisonnée, pérenne. »
Pourquoi Woodoo ? « Parce qu’il s’agit un peu d’un bois magique empreint de tradition et du futur. On touche au chamanisme. » Et si ce bois venait remplacer le bitume de nos villes ? Une projection qui fait rêver…
Woodoo a été récompensé par de multiples prix, en France et à l’étranger, et récemment par le précieux MIT Innovators under 35. Timothée a travaillé sur ce projet en collaboration avec plusieurs instituts et notamment Harvard, le MIT et le Wyss Institute.
Cet article est paru dans L’ADN 8 – Timothée Boitouzet est un de nos 42 superhéros de l’innovation. Pour commander votre revue, cliquez ici.
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