
Cette série d’animation montre comment les productions indépendantes peuvent faire mieux que les gros networks.
Une jeune femme amnésique se réveille dans un monde virtuel duquel elle ne peut pas s’échapper. Voilà en quelques mots le résumé de The Amazing Digital Circus (TADC), une série d’animation qui ne comporte – pour le moment – que deux épisodes, mais fait déjà l’objet d’un véritable culte sur les réseaux. Sorti en septembre 2023 sur YouTube, le pilote qui établit les personnages et l’intrigue générale a cumulé 37 millions de vues les deux premières semaines et plus de 327 millions de vues en huit mois.
Entre-temps, le second épisode, sorti en mai 2024, comptabilise déjà 96 millions de vues. Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Les différentes plateformes vidéo sont envahies de fan art (des dessins réalisés par des fans), des séquences alternatives proposées par des animateurs amateurs ou semi-professionnels, des édits centrés sur des personnages, des cosplays et d’inévitables versions pornographiques. Sur TikTok seulement, on compte plus de 230 000 vidéos postées sur ce dessin animé.
« Ce n’est pas pour les enfants »
Mais pourquoi Internet s’enflamme-t-il pour deux épisodes de 20 minutes dont l’esthétique semble tout droit sortie de vidéos de démonstration des logiciels 3D des années 2000 ? Tout d’abord, la thématique de la série et les questionnements existentiels qu’elle propose sont clairement adressés aux adolescents et aux jeunes adultes ayant grandi sur Internet avec les codes du gaming. Pomni, le personnage principal, a oublié son vrai nom et doit choisir un pseudo en arrivant. Les objets qui tombent se comportent comme des glitchs (des bugs graphiques fréquents dans les jeux vidéo), et ses compagnons de route possèdent les caractéristiques clichés des internautes anonymes sur les forums.
Tout ce petit monde est emprisonné pendant des années et doit participer à des quêtes données par une intelligence artificielle centrale qui semble tout savoir, mais ne dit rien, soit la personnification même des algorithmes. Dans le premier épisode, l’un des personnages principaux devient fou et se transforme en une sorte de troll destructeur qui se trouve banni dans le sous-sol du monde virtuel. Dans le second épisode, un antagoniste secondaire, présenté comme un NPC (personnage non joueur), sort du jeu par inadvertance et se trouve confronté à la futilité utilitariste de son existence. La série arrive à mêler en très peu de temps des références pointues de science-fiction et de culture Web. On y retrouve du Mad Max 2 ou du Westworld pour les plus connus, mais aussi des clins d’œil aux espaces liminaux, à des jeux vidéo très méta, comme The Stanley Parable, et aux romans et jeux d’horreur I Have No Mouth, and I Must Scream, qui racontent la même histoire d’enfer numérique.
La fan culture assure les arrières des créateurs
Tous ces éléments réunis pourraient déjà expliquer les chiffres d’audience, mais il y a plus. La série coche toutes les cases du « mystery show », un style de narration qui laisse des questions sans réponses et permet aux internautes d’échafauder de nombreuses théories, comme a pu le faire la série Lost dans les années 2000. S’ajoute à cela le doublage de qualité qui accompagne la série et se décline en 19 langues, permettant de toucher un public particulièrement large.
Enfin, l’écosystème même de l’industrie de l’animation est en train de changer. Glitch, le studio derrière TADC, a été monté par Kevin et Luke Lerdwichagul, deux frères spécialisés dans l’animation sur YouTube depuis 2011. Leur première série SMG4, suivie par plus de 8 millions de personnes, jouait déjà sur les codes du jeu vidéo en mettant en scène le personnage de Mario. Forts de cette communauté, la maison de production a lancé un serveur Discord payant. Là, les fans les plus engagés ont accès aux créateurs de la série, aux story-boards ou dessins préparatoires, et peuvent partager leur propre création. Les revenus publicitaires de YouTube et la vente de merchandising viennent compléter le financement du studio, qui peut proposer des séries ambitieuses comme TADC sans dépendre d’une chaîne de télé qui bride parfois la créativité. Au final, les seules contraintes auxquelles sont confrontés les créateurs sont celles de YouTube, qui oblige à censurer les injures et éviter la violence trop frontale, deux éléments que la série contourne avec élégance.
Participer à la conversation