
David-Alexandre Chanel, cofondateur du studio Théoriz, emprunte une technique à l'univers du jeu vidéo, qui permet de filmer des effets spéciaux sans ajout en post-production.
Dans un futur proche, deux jeunes se téléchargent dans un monde virtuel. Dans une succession d’univers aux contours futuristes, ils exécutent des mouvements de danses urbaines et interagissent avec des formes numériques. D’une veine résolument science fiction, le court métrage n’a pourtant fait l’objet d’aucun ajouts d’effets spéciaux après le tournage. Rencontre avec le réalisateur David-Alexandre Chanel, cofondateur du studio Théoriz.
PASSAGE - TRAILER from THÉORIZ on Vimeo.
On a tendance à les mélanger... Quelle est la différence entre la réalité mixte, la réalité augmentée et la réalité virtuelle ?
David-Alexandre Chanel : Il y a un décalage énorme entre les termes techniques et les termes marketing. En réalité virtuelle, l’utilisateur est complètement immergé dans un environnement artificiel. C’est notamment le cas dans le jeu vidéo avec la 3D en temps réel par exemple, ou dans le cinéma avec la captation 360°. La réalité augmentée ajoute une couche d’éléments numériques et de contenus 3D à l’environnement « réel », par l’intermédiaire d’un smartphone, une tablette ou des lunettes. Quant à la réalité mixte, elle fait coexister et interagir en temps réel des éléments virtuels et réels.
Elle est par exemple largement utilisée dans les jeux vidéos lorsque l’on intègre des éléments réels filmés dans un ensemble virtuel. Les techniques que l’on a utilisé pour réaliser le film sont assez proches puisqu’on projette des éléments virtuels dans l’environnement réel qu’est le plateau de tournage. Pourtant, on ne filme finalement que du réel puisque les effets spéciaux sont déjà intégrés au moment de la prise de vue.
Qu’est ce que l’usage de la réalité mixte change en termes de réalisation et de direction d’acteurs ?
D-A C. : Lors du tournage, un ensemble de six projecteurs diffuse des images sur le sol et les murs. Les projections s’adaptent en temps réel aux déplacements de la caméra mais aussi aux déplacements des danseurs grâce à un réseau de caméra 3D qui captent leurs positions. Le dispositif permet ainsi de calculer un effet d’anamorphose en temps réel (en art, une anamorphose est une oeuvre dont les formes ont été volontairement déformées par l’artiste : pour voir correctement ce qu’elle représente, il faut la regarder sous un angle particulier).
Le tournage a nécessité quatre jours de travail avec une grande place laissée à l’improvisation, notamment sur la danse puisqu’une scène seulement a été chorégraphiée. Nous sommes familiers des technologies comme la captation des mouvements en temps réel, les interactions réel/virtuel ou encore l’anamorphose que nous utilisions indépendamment. En comparaison aux pratiques traditionnelles qui consistent à ajouter les effets spéciaux après un tournage sur fond vert, on gagne en flexibilité : on peut tester directement sur le plateau puisque le contenu est visible en temps réel, ce qui permet de prendre davantage de risques à moindre frais. Le réalisateur comme les comédiens peuvent mieux visualiser l’environnement, ce qui permet de se projeter et pour les acteurs d’être force de proposition. La construction est plus collaborative et peut-être plus humaine, plus vivante.

Vous étiez il y a peu un studio de création plutôt confidentiel, vous collaborez désormais avec Adidas. Comment se passe la collaboration avec les marques ?
D-A C. : Nous travaillons régulièrement avec des agences de communication ou directement avec les marques. Toutes ces technologies virtuelles permettent de faire vivre des expériences au public et d’incarner les valeurs d’une marque, de faire passer des messages. Adidas développe un discours centré sur l’art et les nouvelles technologies, avec un côté disruptif emprunté à l’entrepreneuriat. Pour le lancement de la basket Deerupt à Paris, ils se sont tournés vers l’art numérique et ont sollicité des artistes du numérique comme nous. On aime travailler avec les marques de luxe qui privilégient des formes très pointues en termes de visuels et de technologies, souvent pour servir des thématiques futuristes.
Les acteurs de la communication pour la plupart suivent les tendances visuelles avec 4-5 ans de retard vis-à-vis de ce qui se créée dans le Monde de l’art. Les artistes sont la R&D de ce qui est sera récupéré ensuite par pas mal d’acteurs. Adidas a par exemple utilisé pour cette campagne ce qui s’est vu au début de l’art numérique. Les artistes créent des contenus et amorcent des tendances - notamment sur internet - que les acteurs de la communication récupèrent quelques années plus tard.
Les marques ont peur d’être trop innovantes et reprennent ce qui marche déjà chez les publics. L'agence Pavillon Noir qui a conseillé Adidas pour son évènement parisien a pourtant su faire appel à des artisans numériques plutôt que de les copier, ce qui se passe généralement. Toutes les recherches très partagées qu’effectuent les artistes ne leur rapporte pas alors que des marques font énormément d’argent avec une mauvaise copie.
D’ici combien de temps pourra-t-on vivre cette expérience dans son salon ?
D-A C. : Ce serait très différent du travail qu’on fait. Mon travail n’est pas de créer des produits pour une diffusion de masse mais plutôt de proposer une expérience évènementielle. Tout le monde peut essayer de s’emparer du procédé technique, nous ne sommes nous mêmes pas les premiers à expérimenter l’anamorphose. L’immersion vidéo en réalité mixte à domicile a été largement fantasmé mais il y a finalement beaucoup de contraintes techniques alors que la réalité virtuelle serait plus adaptée pour s’immerger dans des mondes virtuels.
Parcours de David-Alexandre Chanel :
Ingénieur, artiste et entrepreneur. Il co-fonde le studio Théoriz en 2013 avec Jonathan Richer, composé d’ingénieurs-chercheurs et d’artistes numériques. À l’aide de technologies numériques de pointe, il développe des expériences virtuelles interactives et immersives. David-Alexandre enseigne et intervient sur les thématiques des technologies créatives, de l’innovation et de l’entrepreneuriat.

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