
Présentée au Festival d'Avignon, la pièce de David Geselson est une plongée dans le génome de nos ancêtres. Inspirée de l’histoire du prix Nobel de médecine et de physiologie 2022, Neandertal raconte la poursuite inlassable de nos origines. Une histoire profondément humaine et politique.
« On va comprendre qui étaient les parents d’Adam et Ève ! » Au premier abord, le sujet de la pièce paraît compliqué. La phrase est prononcée par Lüdo, le personnage principal du spectacle, qui nous plonge à San Francisco en 1986. Le spectateur est invité à un congrès sur la biologie moléculaire. Au programme : un couple de chercheurs raconte, des étoiles plein les yeux, comment ils vont réussir à comparer l’ADN de l'Homme de Néandertal au nôtre. En ligne de mire, une seule question : pourquoi avons-nous survécu, nous, et pas ce distant ancêtre ?
Un mélange vieux de 40 000 ans
Neandertal, c’est avant tout l’histoire d’un homme : Svante Pääbo. Son nom n’évoque pas grand-chose et pourtant, ce paléogénéticien suédois a accompli une prouesse sans précédent. En 2010, il a réussi à séquencer le génome de Neandertal. Autrement dit, grâce à des os vieux de plus de 30 000 ans, l’ADN de notre ancêtre a pu être comparé au nôtre. Un prix Nobel plus tard, voilà son histoire adaptée par David Geselson à Avignon.
D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Avec une tendresse et une pédagogie éblouissante, la pièce questionne sur la particularité de notre espèce et sa capacité à survivre. Le sous-titre de la pièce aurait très bien pu être « cette histoire, c’est la vôtre », tant son propos sur l’être humain est percutant. Elle raconte le mélange, il y a 40 000 ans, d’Homo sapiens et de Neandertal au Moyen-Orient. Un mariage inattendu qui nous a donné naissance.
Les manipulations de l’ADN de Netanyahou
À travers ce voyage temporel, c’est aussi la petite histoire dans la grande qui nous est contée. Avec des personnages aussi touchants que complexes, la pièce s’éloigne quelques instants de la réalité. On nous raconte l’histoire de Lüdo, dont le personnage est largement inspiré de Svante Pääbo. Abandonné par son père, le chercheur est devenu obsédé par l’origine de l’humanité, comme si elle pouvait lui ramener un peu de son passé. Son assistante, Adèle, est atteinte d’une maladie dégénérative, attaquée par son propre ADN. Sa maîtresse et compagne de recherche, Rosa, est en couple avec un autre. Ensemble, ils vont parvenir à séquencer le génome de Neandertal.
Une prouesse, dont la dimension politique ne cesse d’être abordée tout au long de la pièce. À grand renfort d’archives d’époque, David Geselon établit un parallèle entre l’origine de l’humanité, au Moyen-Orient, et le conflit israélo-palestinien. Dans cette région où l’homme est né du mariage entre deux populations différentes, on nous rappelle les évènements qui ont conduit à l’assassinat du premier ministre Yitzhak Rabin, en 1995. Comment, aujourd’hui, le dialogue entre deux peuples reste impossible dans la région ? Alors qu’il était encore leader de l’opposition, Benjamin Netanyahou avait demandé que l’on compare l’ADN des Israéliens avec celui des restes des premiers hommes de la région. Le conservateur voulait prouver qu’Israël était la terre originelle des juifs.
Un récit foisonnant
David Geselson fait aussi un détour par Zagreb, en Croatie. Les chercheurs ont besoin des os de Neandertal dont les collections du musée regorgent. Mais la guerre de Yougoslavie fait rage. L’ADN est alors utilisé pour identifier les morts dans les charniers, coupés en deux et déplacés à des dizaines de kilomètres. Le parallèle entre l’histoire de l’homme et celle, très concrète, des Croates, est saisissant.
Triangle amoureux, coups de sang, rebondissements… La pièce regorge de procédés courants dans le théâtre, sans pour autant passer à côté de l’essentiel. Sans jamais perdre le fil du récit, la pièce aborde une multitude de thèmes –la mémoire, la filiation, la résilience… Une superposition de plusieurs strates, qu’elles soient scientifiques, politiques ou profondément humaines. Qui aurait pensé que la quête inlassable de nos origines soulèverait autant de questions ?
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