Un personnage de jeu vidéo lit un livre

LitRPG : nourrie de la culture du gaming, cette nouvelle littérature enchaîne les succès

Ce genre littéraire qui cartonne aux USA arrive chez nous et met à l’honneur des univers de jeu vidéo.

« Dans Primal Hunter, on suit l’histoire de personnages bloqués dans un tutoriel. On a l’impression de suivre un live Twitch, mais d’un jeu hyperréaliste et avec énormément de complexités, un truc qu’un jeu vidéo ne pourrait jamais faire tant l’univers est complexe, riche, et vaste, avec beaucoup de codes du RPG (Role Play Gaming), mais sous stéroïdes », explique Robin Batet, qui vient de créer le label Lorestone, première entité française spécialisée en LitRPG, chez Editis. Lorestone a traduit et publié en novembre dernier deux mastodontes du genre comptant des millions de lecteurs aux US, Dungeon Crawler Carl de Matt Dininman, et Primal Hunter de Zorgath.

La LitRPG : qu’est-ce ?

« Ça vient notamment des light novels de Corée ou du Japon, avec des textes publiés en épisodes, un peu comme ce qui se faisait au 19ᵉ et début du 20ᵉ, chez nous, dans la presse. C’est dans ce format que sont apparues ces histoires empruntant à l’univers du jeu vidéo, avec la prise de niveau, le fait de perdre des vies, ressusciter à un checkpoint, etc. » Dans la LitRPG, on suit donc l’histoire comme un journal de bord, sur un forum en ligne.

« Aux USA et en Russie, il existe tout un monde d’écriture en ligne, avec des auteurs qui publient gratuitement leurs textes sur des sites comme Wattpad, ou d’autres sites spécialisés en fantaisie. Le foyer de la LitRPG est sur Royal Road. » Depuis 2006, Wattpad a ouvert la voie à l’alt-lit, une littérature alternative très liée à la culture internet et publiée librement sur des sites situés entre réseau social et forum. On y trouve de la romance, des fanfictions, et depuis quelques années, beaucoup de LitRPG. Tout le monde peut commenter les derniers chapitres de son auteur préféré, avec qui il est parfois possible d’échanger.

« La LitRPG s’est développée sur le même modèle que la romance aux USA, avec un auteur qui crée une communauté, des gens qui s’abonnent, qui suivent l'histoire chaque semaine », note Robin Batet. Si Wattpad a aujourd’hui plus de 90 millions d’utilisateurs, Royal Road compte, lui, plus de 140 millions de visiteurs mensuels… Pas mal pour un conglomérat de communautés encore inconnues du grand public en France. Grâce à leur communauté forte, certains auteurs peuvent vivre très confortablement, à l’image de Zorgath (Primal Hunter), publié chez Lorestone, dont le compte Patreon est suivi par plus de 16 000 personnes, lui rapportant plus de 65 000 dollars par mois.

Communauté, gaming & société du spectacle

L’une des forces de la LitRPG, c’est cette communauté avec laquelle les auteurs peuvent avoir une relation de proximité, comme l’explique notre spécialiste, « Certains auteurs sont plus ou moins connectés à leur communauté. Zogarth qui écrit très vite, par exemple. Au tout début, il avait le doigt sur le pouls de sa communauté, il a eu beaucoup de retours sur sa façon d’écrire, son style, et ça se sent dans le premier tome, où il y a une vraie amélioration de l’écriture ; à la fin du tome, on sent qu’il est beaucoup plus à l’aise avec son style, avec sa façon de présenter les personnages. »

Il suffit d’aller faire un tour sur Royal Road pour trouver une myriade d’histoires, certaines avec une centaine de pages, d’autres avec plus de 4 000. Et ces récits de LitRPG sont loin d’être lisses, au niveau du style comme des thématiques, qui font largement écho à notre époque.

« Dans Dungeon Crawler Carl (publié en français chez Lorestone), on est dans une émission de téléréalité qui crée du divertissement sur la souffrance des personnes qui se trouvent dans ce jeu. La thématique très forte est de rester authentique, fidèle à ses valeurs, et de ne pas laisser le monde nous broyer, explique Robin Batet. Il y a aussi tout un commentaire politique sur le divertissement, jusqu’où on peut aller, une critique de ce que c’est d’exploiter la souffrance, l’existence humaine, pour en faire quelque chose de commercial. Un des credo de Carl devient : « Vous ne me briserez pas. » Acquises aux USA par la prestigieuse maison d’édition Random House, les versions physiques de Dungeon Crawler Carl se vendent comme des petits pains, et le livre est encensé par le New York Times, dont la journaliste Felicia Day se dit « obsédée ». Et Primal Hunter, la deuxième sortie de Lorestone ?

Esprit Shonen & cosy LitRPG

« On est sur un roman très inspiré du Shonen de la littérature des mangas : il y a un personnage banal qui se découvre une vocation dans une situation catastrophique, et qui doit progresser pour devenir le meilleur. Ici, le héros et ses collègues sont téléportés dans une sorte de forêt où ils doivent choisir une classe, et on leur dit qu’ils doivent survivre 63 jours à un tutoriel. Le personnage principal s’intéresse au système, il aime comprendre comment monter en niveau rapidement, quelles statistiques sont intéressantes pour lui, quelles compétences choisir pour qu’il y ait une bonne synergie, etc. On sent que Zogarth est un vrai fan de jeux vidéo, il connaît très bien son sujet, et ce serait un game designer assez monstrueux si un jour il se reconvertissait. » De fait, avec nos vies de plus en plus gamifiées et des réseaux sociaux qui adorent nous mettre en concurrence avec des milliards d’êtres humains, la mécanique des jeux vidéo fait bien écho à nos questionnements.

Succès et diversification

Mais si Dungeon Crawler Carl et Primal Hunter sont déjà des classiques du genre, la LitRPG commence à se diversifier. « Là où la LitRPG est vraiment implantée, en Allemagne ou aux US, les auteurs sont passés à autre chose. Même si les romans d’aventures marchent encore très bien, il y a maintenant des romances LitRPG, des romans un peu slice of life (tranche de vie), du roman feel good où on suit des personnages qui vivent leur vie, avec une surcouche de LitRPG, on est plus que sur de l’aventure. On trouve de la LitRPG qui se passe dans une ferme, de la LitRPG de pêche, etc. C’est génial ! J’ai hâte de pouvoir proposer ce genre de variété en France. » Une littérature qu’on pourrait qualifier de pararéelle – entre deux mondes –, qui balbutiante encore, devrait bientôt donner naissance à du cinéRPG. Primal Hunter a été acheté par les Américains pour en faire une série.

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