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Face à l'attaque des clones, Hollywood cherche à sauver son âme

À l’heure où l’intelligence artificielle bouleverse l’industrie du divertissement, Hollywood et ses artistes se trouvent face à un défi inédit : concilier innovation technologique et protection des droits des talents.

YouTube capte les talents de l'audiovisuel, comme nous l'avons vu en première partie. L’intelligence artificielle, elle, menace leur essence même. Et si, paradoxalement, celui qui parvenait à sauver l’âme d’Hollywood n’était autre que l'un des plus grands gourous du développement personnel, Tony Robbins himself ?

L'affaire qui pourrait tout changer

Car Tony Robbins n'est pas content. Un « Tony Robbins GPT » a eu le mauvais goût de s'approprier son identité pour prodiguer conseils et coaching « à la manière de » – et il faut dire que la manière Robbins, entre slogans martiaux, grands mouvements de bras et voix de stentor, est facilement identifiable. Le hic ? Robbins a lui-même lancé son propre assistant IA. Le multimillionnaire réclame plus de 12 millions de dollars à InnoLeap et Mira Muse, les sociétés derrière YesChat.AI, accusées d'avoir lancé un chatbot parmi quelque 200 000 autres, entraîné à simuler sa voix, son langage et ses idées. La plainte, déposée fin août 2025 en Californie, est encore en phase préliminaire : les sociétés visées invoquent le fair use et la création d’avatars « satiriques » pour se défendre.

L'identité de Tony siphonnée par une machine : le retournement est savoureux pour celui qui a bâti un empire sur l’empowerment… Mais cette bataille juridique ouvre surtout un terrain encore vierge : que se passe-t-il quand une IA s’approprie la voix, l’image et la personnalité d’une célébrité pour en faire un produit ? Comme le note Puck, qui révèle l’affaire, l’enjeu dépasse Robbins : un précédent pourrait être établi, alors que plus de quarante procès similaires sont en cours autour de l’utilisation par l’IA de contenus protégés – de Tom Hanks à Scarlett Johansson, en passant par Drake. Dans le même sillage, des acteurs comme Character.AI ou HeyGen développent des avatars vocaux et visuels qui posent de nouvelles questions de propriété intellectuelle.

Pour les figures publiques, ce clonage pose donc une double menace : économique, en diluant leur valeur marchande ; symbolique, en leur faisant perdre le contrôle de leur identité. À qui appartient une personnalité, si une machine peut l’imiter à la perfection ?

Un arsenal juridique en construction

Face à la montée en puissance des clones numériques, les législateurs commencent à réagir. Le Tennessee a ouvert la voie en 2023 avec la loi ELVIS (Ensuring Likeness, Voice, and Image Security) – première législation du genre, spécifiquement dédiée à la protection des artistes contre l'usurpation de leur image, voix et style par des intelligences artificielles. Depuis, plusieurs États préparent des lois similaires, renforçant la protection des voix et images contrefaites. Une bataille gagnée, dans une guerre qui s’annonce longue à mener…

Mais le terrain juridique demeure incertain. La dernière fois que la Cour suprême américaine s’est penchée sur l’articulation entre Premier Amendement et droit à l’image remonte à 1977, lorsqu’Hugo Zacchini, alias le « boulet de canon humain », avait convaincu les juges qu’une chaîne de télévision de l’Ohio lui avait « volé son gagne-pain » en diffusant à l'antenne l'intégralité de son numéro. Depuis, la jurisprudence évolue par à-coups.

Les décisions récentes de la Cour suprême dans les affaires Warhol et Jack Daniel’s ont toutefois déplacé les lignes. Dans la première, la Cour a jugé que la revente commerciale d’une œuvre inspirée d’une photo de Prince par la fondation Warhol n’était pas couverte par la liberté artistique. Dans la seconde, elle a estimé qu’un jouet pour chien parodiant la bouteille de Jack Daniel’s relevait davantage du commerce que de la satire. Autrement dit, la Cour accorde désormais plus de poids à la finalité commerciale qu’à l’intention artistique ou parodique, ébranlant plusieurs années de jurisprudence protectrice du fair use créatif — y compris dans un cadre commercial.

Dans ce contexte, les traditionnelles renégociations entre studios hollywoodiens et le syndicat SAG-AFTRA, à l'horizon 2026, seront scrutées de près, notamment pour définir la place exacte de l’IA dans le cadre juridique via des Digital Replica Usage Agreements. Comme le résume le média Puck : dans un futur proche, « un Tom Cruise GPT réalisant des cascades à la demande pourrait bien voir le jour. Et la question sera alors : qui en aura une part ? »

Une révolution technique à marche forcée

Dernier rebondissement : en octobre 2025, l’agence WME, poids lourd d’Hollywood, a publiquement demandé le retrait automatique de tous ses clients (acteurs, musiciens, sportifs, mannequins…) du service Sora 2, le nouveau réseau social IA de deepfakes lancé par OpenAI. Cette décision collective vise à préserver la valeur et la souveraineté de leurs artistes, à un moment où cette plateforme permet la création et la diffusion virale de vidéos hyperréalistes mettant en scène des personnalités sous tous les angles – souvent sans leur consentement explicite. Mis sous pression par cette fronde, OpenAI a promis d’offrir aux ayants droit un contrôle « plus granulaire » sur l’utilisation de leurs images, sans toutefois dissiper l’incertitude quant à l’application concrète de ces garde-fous. Ce bras de fer annonce une nouvelle phase des négociations entre plateformes, studios, syndicats et agences sur la gouvernance des identités à l’ère de l’IA.

Pourtant, malgré les polémiques, l'industrie n’attend pas. Les investissements explosent et les startups affluent pour redessiner la chaîne de production audiovisuelle. Business Insider a mappé les acteurs et usages qui comptent dans ce nouveau paysage.

Trois secteurs émergent en priorité. L'animation d'abord, avec par exemple Toonstar qui produit des épisodes à bien moindre frais, ou Chronicle Studios, cofondé par Chris deFaria (ex-DreamWorks), qui aide les créateurs à « trouver une audience » au-delà de YouTube. Les effets spéciaux ensuite : Runway, après avoir levé 545 millions de dollars, signe avec Lionsgate et AMC Networks, tandis que Deepdub propose du doublage temps réel pour le sport et les actualités. Enfin, l'optimisation de production avec Moments Lab qui crée des clips pour réseaux sociaux « sept fois plus rapidement » que les méthodes conventionnelles pour Warner Bros., Discovery et Hearst.

Pour les investisseurs, la priorité ne se limite plus à créer du contenu IA. Il s'agit désormais de réinventer la chaîne de production. Gains de temps, économies d’échelle : Hollywood se restructure.

Moment de vérité à Culver City

Pour prendre la mesure du changement, direction Culver City. La ville, berceau historique de la production hollywoodienne – des anciens studios MGM où furent tournés Le Magicien d’Oz et Autant en emporte le vent jusqu’à l’actuel siège de Sony Pictures — devient l’épicentre de sa mutation. En seulement trois ans, la conférence AI on the Lot y est passée d'un petit événement post-grève des scénaristes à une vitrine majeure, où l'industrie du cinéma dialogue désormais ouvertement avec le monde de la tech.

L'édition 2025, sold out avec 1 200 participants, rentrait de plain-pied dans l'intégration concrète de la technologie. L'objectif n'est plus de produire du contenu par l’IA, mais avec elle. Le mot d'ordre : efficacité, réduction des coûts, et nouveaux modes de création. Des figures majeures comme Amazon MGM Studios ont pris la parole publiquement pour la première fois sur l'intégration concrète de l'IA dans leurs processus de production. 

Autre débat clé, les modèles « propres », ces IA entraînées sur des bases de données légalement licenciées. Google Veo 3, entraîné sur du contenu YouTube sous licence, ou Adobe Firefly, utilisant les images Adobe Stock, incarnent cette approche, conçue pour éviter les risques juridiques. 

Netflix incarne cette transformation à double niveau : d'une part en publiant des directives strictes pour encadrer l'usage de l'IA générative dans la création (exemples concrets comme dans la mini-série télévisée argentine The Eternaut, où l'IA a accéléré les effets visuels de 10 fois), d'autre part en recrutant à prix d'or (jusqu'à 700 000 dollars /an) des experts pour déployer des outils d'IA interne qui font économiser 18% du temps de travail.

Le modèle est-il cassé ?

Une autre équation pousse aussi l'industrie à accélérer : avec des coûts de tournage pouvant atteindre 200 000 dollars par jour à Los Angeles, la fermeture de studios VFX traditionnels et des chocs comme les incendies de 2024, le modèle Hollywood est-il cassé ?

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : - 22 % de tournages à L.A. au premier trimestre 2025, une fréquentation des salles toujours très inférieure aux niveaux préCovid, et une part de marché mondiale passée de 85 % à 69 % en dix ans face à l'émergence chinoise. Même le projet de Trump de taxer à 100 % les films tournés à l'étranger – jugé inapplicable, voire contre-productif – révèle l'ampleur de la crise. Dans cette tempête parfaite, l'IA s'impose presque moins comme un choix, que comme une nécessité économique pour sauver un modèle devenu insoutenable. Reste à savoir quel miroir la technologie tendra à Hollywood...

Carolina Tomaz

Journaliste, rédactrice en chef du Livre des Tendances de L'ADN. Computer Grrrl depuis 2000. J'écris sur les imaginaires qui changent, et les entreprises qui se transforment – parce que ça ne peut plus durer comme ça. Jamais trop de pastéis de nata.

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