
Detroit : Become Human, le jeu vidéo made in France qui cartonne
Non, les jeux vidéo ne se résument pas à FIFA et GTA. En témoigne le dernier succès français « Detroit : Become Human ». Misant sur une expérience narrative profondément philosophique, le jeu raconte le futur de l’humanité, plonge le joueur dans des considérations éthiques et le laisse faire ses propres choix dans un monde où tout ne se règle pas à coups de raccourcis clavier.
Vers un nouveau réalisme du jeu vidéo
Au cœur de la fiction, un parti-pris émotionnel « presque humaniste » que le studio décide d’adopter dès 2005 avec le jeu à narrations multiples « Fahrenheit », puis avec « Heavy Rain » en 2010. L’idée : montrer que l’on n’a pas nécessairement besoin de porter une arme et de dézinguer des zombies pour se sentir vivant, que l’on peut ressentir autant de choses en jouant qu’en allant au cinéma. « Créer le jeu a été un véritable défi parce que nous voulions absolument éviter les choix binaires. C’est comme développer 20 films au lieu d’un : il y a près de 65 000 variables et conséquences narratives possibles mais il n’y a jamais de bon ou de mauvais choix. L’expérience que vous vous forgez dépend de vos valeurs humaines, de ce en quoi vous croyez ! », explique plus loin David Cage.
Dès le début du jeu, le joueur est testé, une arme git au sol et il a le choix : la ramasser ou la laisser, autrement dit demeurer l’androïde obéissant qu’il est censé être depuis sa sortie d’usine ou se rebeller. Comme dans un film ou dans une série, les héros incarnés sont faillibles et plein d’aspérités. Le rendu, très cinématographique, est plus nuancé : il fait cogiter.
Est-ce que cela veut pour autant dire que les jeux trash, brutaux et ultra-sexualisés sont amenés à disparaitre ? Loin de là. Pour David Cage, Quantic Dream est encore un ovni dans le secteur. « 90% de la production mondiale, sans compter FIFA, produit essentiellement des jeux violents. Et ça marche, c’est certain. Mais développer des jeux narratifs avec des embranchements multiples reste encore un phénomène mineur. » Ailleurs, d’autres studios comme Telltale Games (The Walking Dead) aux États-Unis et Supemassive Games (Until Dawn) au Royaume-Uni tentent également de développer le genre.
« On assiste un peu à un retour des jeux textuels », souligne Simon Wasselin, lead game designer sur le jeu. « À l’époque, il était facile de retrouver ce type d’arborescence sur des jeux en 2D, d’avoir des possibilités différentes et ça ne coûtait pas très cher. Aujourd’hui, nous sommes sur des jeux en 3D et c’est beaucoup plus complexe à mettre en place ». Au total, il aura fallu près de 4 ans aux équipes pour développer le jeu.
Jusqu’où pousser la personnalisation de la narration ?

À mesure que les exigences de réalisme des joueurs se développent, les compétences techniques doivent aussi se renforcer en interne. Sur Detroit, les personnages du jeu sont des acteurs scannés en motion capture. Pour la première fois, le studio s’est aussi doté d’un directeur de la photographie. « Nous sommes très attachés au langage cinématographique. Un plan, une lumière, le grain de la pellicule, un mouvement de caméra… chacun de ces éléments traduit une émotion et c’est ce qui nous permet d’aller plus loin dans la narration, d’être plus libres », explique Simon Wasselin.
Cette tendance à la personnalisation et au réalisme de l’expérience devient commune à de plus en plus de nouvelles écritures audiovisuelles. Sorti en 2018, le film « The Moment » peut être contrôlé et modifié en fonction de vos pensées et émotions. Même schéma pour le court-métrage « The Angry River » qui utilise les technologies de suivi oculaire pour délivrer une expérience de visionnage, un type de narration, en accord avec les éléments du film que vous aurez le plus regardés.
Quant à savoir si les jeux vidéo pousseront l’immersion jusque-là, au nom d’un gameplay plus émotionnel, Simon Wasselin n’en est pas convaincu : « Il y a quelque chose de très involontaire dans le fait de se laisser aller dans la fiction par le biais de ses émotions et je ne suis pas sûr que les joueurs soient prêts à cela. La perte de contrôle du spectateur face à la fiction (interactive ou non) me semble difficile à vendre dans une industrie d'entertainment. Les spectateurs/joueurs veulent garder la maîtrise de leur expérience »
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