Un personnage de dessin animé blond et insuportable

L’âge d’or du cartoon est mort et l’animation générée par IA prend la suite

© StEvEn & Parker

À quoi bon Miyazaki quand une IA peut pondre un épisode de dessin animé en quatre jours sans animateurs ni scénaristes et cartonner sur YouTube ?

« On a perdu le wifi…, et on est devenu fous », « Je suis passé au drive 47 fois pour UN jouet | CHAT EN DIRECT avec StEvEn ! », ou bien encore « Ils ont laissé cette chose devenir l’animal de compagnie de la classe ? ! » Depuis trois ans, la chaîne YouTube StEvEn & Parker enchaîne les vidéos dont les titres semblent tout droit inspirés du contenu d’un influenceur pour ados.

Avec 3,2 millions d’abonnés et plus de 30 millions de vues par semaine, cette série d’animation qui suit les aventures cartoonesques de deux adolescents fait un tabac auprès des 7/12 ans. Pourtant, à bien y regarder, la série n’a rien de bien exceptionnel. Les personnages hurlent constamment, les gags sont relativement drôles et le design fait globalement penser à ces dessins animés génériques qui passent en boucle sur les chaînes de TV pour enfants. On est donc assez loin d’un concept original comme peuvent l’être les productions de Vivzie Pop ou The Amazing Digital Circus.

TikTok + IA = profit !

Les raisons du succès de StEvEn & Parker s’expliquent par deux facteurs. Le premier, et le plus évident, est qu’il s’agit d’un produit dérivé des vidéos créées par Parker James, un influenceur qui cumule plus de 8,6 millions de followers sur TikTok.

La deuxième raison du succès, c’est l’incroyable productivité de la chaîne YouTube qui publie un nouvel épisode de cartoon tous les quatre jours. Chaque épisode dure entre 4 et 9 minutes et est parfaitement calculé pour plaire à l’algorithme insatiable de YouTube, qui privilégie les chaînes hyperproductives.

Pour arriver à tenir ce rythme de deux épisodes par semaine, Toonstar, la start-up à l'origine de StEvEn & Parker, ne fait pas appel à une armée d’animateurs. D’après un article du New York Times consacré à l’entreprise, elle utilise surtout une pléthore d’outils basés sur l’intelligence artificielle pour écrire, scripter, animer et doubler – un choix stratégique qui permet au studio de réduire de 80 % le temps de production et de 90 % le coût global, par rapport aux autres cartoons du même type.

En plus de permettre une production à effectif réduit, Spot, l’outil d’aide à l’écriture de Toonstar, donne aussi des conseils stratégiques en prenant en compte les données de visionnage des épisodes. L’IA peut détecter si un personnage est moins populaire que d’autres, ou si le rythme n’est pas suffisamment soutenu pour retenir l’attention des cervelles de la génération Alpha. Une fois écrits, les scénarios sont ensuite analysés par l’IA, qui lance des idées de design pour des personnages nouveaux et des décors — un travail qui était auparavant réservé à une batterie d’artistes. Le tout est supervisé par un designer en chef, qui peut ainsi créer en une vingtaine de minutes un personnage totalement nouveau. L’IA permet aussi de synchroniser à la perfection le mouvement des lèvres avec les dialogues, une étape fastidieuse qui demandait encore beaucoup de temps et de main-d’œuvre il y a quelques années.

L'étrange direction que prend l'animation

Avec plus de 7,5 milliards de vues depuis sa création et des revenus annuels estimés à 3,1 millions de dollars (pour la fourchette haute), Toonstar fait donc office de modèle très enviable – pas vraiment pour les scénaristes ou les animateurs, qui sont majoritairement vent debout contre l’usage de l’IA – mais pour les dirigeants de studios qui traversent des turbulences économiques compliquées. Selon les estimations de S&P Global Market Intelligence, les revenus publicitaires annuels de Cartoon Network et d’Adult Swim, les deux chaînes câblées américaines qui ont donné à l’animation pour enfants et adultes ses lettres de noblesse, ont chuté de 668,3 millions de dollars en 2014 à 133,7 millions de dollars l'an dernier. Et ce n’est pas comme si l’argent manquait vraiment. Le marché mondial de l'animation devrait passer de 34,2 milliards de dollars en 2024 à 60,1 milliards de dollars en 2030, selon une étude de Jefferies Financial Group Inc., citée par Bloomberg.

Mais ce gâteau est surtout partagé par YouTube, suivi de près par Netflix (qui récupère les cartons de YouTube comme Cocomelon) et Disney+ (qui peut encore compter sur la puissance de sa marque). Il est devenu difficile pour les studios de Cartoon Network, dont les contenus sont diffusés sur Max, le service de streaming de Warner Bros, de récupérer ce public qui a pris l’habitude, presque depuis le berceau, de regarder du contenu en scrollant sur le téléphone de papa ou maman. Si l’animation pour adultes, portée par Adult Swim ou bien par des studios indépendants, continue de proposer des programmes originaux et risqués, l’animation pour enfants semble de plus en plus pensée comme un contenu de flux, qui doit alimenter les plateformes coûte que coûte.

Dans ce cadre, il n’est pas étonnant de voir les prochains modèles de génération d’images entraînés spécifiquement sur de vieux cartoons, afin de produire de longues séquences d’animation sans défauts graphiques, tout en conservant une certaine cohérence. Le 7 avril dernier, Gaston Hussein, étudiant et chercheur au laboratoire d’intelligence artificielle de Stanford, a ainsi présenté un modèle capable de générer à la volée des épisodes de Tom & Jerry bluffants de fidélité.

Une prouesse technique, qui aurait sans doute été qualifiée « d’insulte à la vie » par Hayao Miyazaki, artisan obsessionnel et humaniste de l’animation – et qui semble pourtant promise à un bel avenir chez les studios désireux de produire du cartoon à moindre coût, sans âme et sans auteurs.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
Podacast : En immersion
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire