
Thibaud Zamora est à la tête du premier studio français entièrement dévolu à la création de vidéos générées par intelligence artificielle. Le résultat est encore... expérimental.
« Mon nom est Sam, ce soir je traque un nouvel insecte. Une fois pris dans ma toile, il n'aura aucune chance. » Sur fond de musique techno, le court métrage Amour Interdit, Rencontre, Trahison Ultime ! s'ouvre sur le visage d'une superbe femme en robe rouge qui a pour mission de séduire un homme marié pour tester sa fidélité. Les images sont magnifiques, mais très statiques, un peu comme une bande dessinée animée. Normal. Cette petite fiction postée sur YouTube il y a une semaine a été entièrement générée avec des outils d'intelligence artificielle.
S'il ne s'agit pas de la première vidéo de ce genre, Amour Interdit n'en est pas moins historique puisqu'il s'agit de la première production du premier (et pour le moment unique) studio français de vidéos générées par Intelligence artificielle. Fictions.AI, c'est son petit nom, a été lancé il y a quelques mois par Thibaud Zamora, un artiste qui a travaillé 15 ans dans le jeu vidéo avant de se lancer à temps plein dans l'exploration des IA génératives. On lui a demandé de nous expliquer son projet.
Pouvez-vous expliquer l'idée derrière votre premier court métrage généré par IA ?
Thibaud Zamora : En lançant Fiction AI, on a voulu tester nos capacités sur un domaine que l'on connaît bien. Avec ma femme, on a créé des jeux vidéo et notamment des fictions interactives de romance. Pour notre premier projet de court métrage, on est partis d'une découverte étonnante. Aux États-Unis, il existe des agences qui mettent en place des pièges à adultère pour les clients qui veulent tester la fidélité de leur partenaire. On a voulu créer un film, mais aussi un petit dispositif autour de cette idée, avec un site Web d'une fausse agence qui s'appelle Venus Veil. Les internautes qui tombent dessus sont ensuite guidés vers notre vidéo sur YouTube. Notre objectif c'est vraiment de faire de la fiction en utilisant les outils d'IA génératives qui sont disponibles actuellement sans forcément viser la prouesse technique. On veut aussi créer des tutoriels en français sur ces techniques et ces outils qui évoluent très vite. On veut à la fois montrer ce qu'on sait faire, mais aussi faire progresser la communauté française.
Comment a été créé ce film et combien a-t-il coûté ?
Thibaud Zamora : Le site a été fabriqué très simplement avec ChatGPT et Stable Diffusion pour les images. Pour le film, ça nous a pris environ un mois et demi de travail en utilisant à peu près tout ce qui existe sur le marché des outils IA. On a créé nos propres I.Acteurs sur Stable Diffusion qu'on a ensuite animés avec Pika Lab et Runaway pour générer du mouvement. On utilise d'autres outils pour créer des voix à partir de textes puis pour synchroniser les voix aux mouvements des lèvres des personnages. Enfin, on utilise Stable Audio pour créer la musique. Le tout est ensuite monté sur Cap Cut. Si l'on exclut nos ordinateurs, le tout a dû nous coûter dans les 500 euros (achats et abonnements à ces outils).
Bien qu'impressionnants, les films générés par IA sont encore limités. Quelles sont ces limites selon vous ?
Thibaud Zamora : On a vu beaucoup de limites dans ce film et on va totalement les intégrer dans le prochain projet. Par exemple, les voix générées par IA ont un ton un peu comme dans un podcast. C'est donc très difficile de générer de l'émotion, chose gênante quand on raconte une romance. Il a donc fallu tricher avec les images pour compenser cette apparente froideur. La synchronisation labiale est aussi compliquée, car l'outil est entraîné sur des modèles soit très réalistes soit sur des images de dessins animés à la Pixar. Si l'on veut utiliser un autre style graphique, l'incrustation ne fonctionne pas. On a aussi un souci de mouvement de caméra qui est très fixe ce qui va nous pousser pour le prochain film à créer une mise en scène beaucoup plus contemplative. Enfin, c'est assez compliqué d'obtenir des personnages qui sont stables en termes d'apparence d'une image à l'autre. On a dû recourir à des astuces pour que les tenues, comme la robe rouge, soient consistantes. On se rend bien compte que la technique évolue très vite et que ce film c'est un peu l'âge de pierre. Dans quelques mois, on aura l'arrivée d'image 3D. En 2024, on pourra générer des décors en trois dimensions, mais aussi des personnages ou des objets que l'on pourra déplacer au sein du cadre. Les limites vont être repoussées très rapidement.
La création de votre studio a-t-elle généré des réactions ?
Thibaud Zamora : Nous avons eu plusieurs contacts avec des personnes intéressées par ce qu'on développe. On a notamment un studio qui cherche des regards experts pour voir comment intégrer les Intelligences artificielles dans leur projet. On leur explique tout de suite qu'ils ne vont pas créer le prochain Star Wars avec ces outils. En revanche, on estime que les IA sont parfaites pour faire du concept art, des story-boards animés ou des pilotes pour des projets de séries live (avec de vrais acteurs). Pour tout ce qui touche à la préproduction, l'IA est très forte pour aider les artistes à vendre leur idée de manière plus efficace qu'un pitch oral. On sait aussi que ces outils génèrent de l'inquiétude et de la colère. Les gens craignent de perdre leur travail et je le comprends. Il est clair que tout le milieu tertiaire va être changé par l'intelligence artificielle. Mais c'est une fusée qui a décollé et l'on ne peut plus l'arrêter.
Bonne analyse
…. Dommage que cet article très intéressant se termine par l’invariable même conclusion des qu’on parle d’IA. « La fusée est lancée, on n’a pas d’autres choix que de s’adapter »
On a totalement le choix d’y aller ou de ne pas y aller : la question de la finalité, du « pour quoi »dans un monde au bord de l’effondrement énergétique et climatique devrait justement se poser totalement….