
La représentation du territoire détermine notre vision du monde et nous offre des outils pour le changer. La cartographie, mais aussi l’infographie, interrogent nos représentations et la manière dont on peut aborder les transitions à venir. Plongée dans ces questionnements passionnants aux côtés de Clara Dealberto, graphiste et illustratrice chez We Do Data.
L’ADN est partenaire du festival Building Beyond. Organisé par Leonard, la plateforme de prospective et d'innovation du groupe VINCI, l’évènement a pour vocation d’explorer le futur de nos espaces urbains. Et pour cette sixième édition, qui se tient à Paris du 17 au 24 juin, la thématique fil rouge, « Le Futur du déjà-là », résonne fortement avec nos obsessions éditoriales. L’occasion de vous proposer un suivi de l’évènement sous la forme de comptes-rendus de conférences augmentés du regard de nos experts invités.
Au quatrième jour du festival Building Beyond, Maxime Blondeau, enseignant et conférencier qui « s’est donné pour mission d’augmenter notre conscience du territoire » a offert aux visiteurs une masterclass sur le territoire et la représentation cartographique. Un point essentiel quand on évoque la ville de demain : nos représentations et nos imaginaires conditionnent les futurs potentiels. Chloé Clair, directrice générale de NamR, et Bertrand Monthubert, président du Conseil national de l’information géolocalisée, ont de leur côté insisté sur les données et leur représentation, dans le cadre de la nécessaire accélération de la transition écologique. Clara Dealberto, graphiste et illustratrice, a assisté à cette masterclass avec L’ADN pour nous apporter un éclairage sur l’univers passionnant de la cartographie.
Les cartes peuvent changer notre vision du monde
C’est quoi, un territoire ? Bien malin celui qui pourrait trouver une définition exhaustive au mot, tant son sens est polysémique. Le territoire peut être tout à la fois la zone de vie d’un animal et ce qui n’est pas la capitale d’un pays, ou bien encore l’inverse de l’État centralisé. Et comme le territoire en tant que terme à sa diversité, les cartes peuvent nous offrir des visions plurielles d’un même lieu. « En prenant une même surface, une même dimension, différentes cartes peuvent nous apporter différentes perceptions », explique Maxime Blondeau. La carte et le territoire sont ainsi intimement liés : « Il y a une dimension graphique dans la façon dont on se représente notre monde. Les grandes ruptures cosmologiques sont aussi liées à des grandes ruptures des systèmes graphiques. La raison graphique joue un rôle majeur dans la représentation de notre territoire. »
Ces grands moments de rupture dans notre perception dont parle Maxime Blondeau ont changé notre rapport au monde : le passage de sociétés de chasseur-cueilleur à l’agriculture, la découverte de l’Amérique, la conquête des pôles au début du XXe siècle… Ces ruptures historiques ont été accompagnées de révolutions graphiques dans la représentation de notre territoire. Et c’est profondément lié à la crise écologique que nous vivons actuellement : « Le dérèglement climatique a, en soi, une forte dimension cosmologique. Elle est liée à la représentation du monde qu’on se fait », continue Maxime Blondeau.
« On choisit ce qu’on représente et la manière dont on va le faire. Ce n’est jamais neutre. La question se pose souvent sur l’immigration : si on choisit de cartographier les mouvements migratoires, ce n’est pas neutre de faire une grosse flèche rouge qui convergent vers l’Europe », abonde Clara Dealberto. Elle cite l’explosition récente des « Climate Stripes », ces bandes de de couleur qui représentent l’augmentation de la température d’année en année. De nouvelles représentations, pour relever de nouveaux défis. « En transmettant de manière claire et immédiate, à portée de clic, des réalités, même si on les connaît déjà, on participe à une prise de conscience collective », affirme-t-elle.
Les données (et leur représentation) au profit de la transition écologique
La carte, ou l’infographie, a cette capacité : offrir immédiatement, visuellement, une nouvelle perception des enjeux auxquels nous sommes confrontés. C’est une manière de créer l’attention dans le paysage informationnel, mais peut-elle, face aux défis climatiques et humains, faire avancer les choses ?
Chez NamR, explique Chloé Clair, on va fabriquer et utiliser des données pour caractériser le parc immobilier et révéler le potentiel écologique des bâtis. « Les données vont permettre de mesurer, puis de comparer les trajectoires et les plans d’action. Il y a ensuite un choix à faire, politique et social, sur leur utilisation », souligne-t-elle. « (...) Une des choses intéressantes, c’est que l’humain a besoin de représentation. Les données, aussi puissantes soient-elles, ne peuvent pas transformer notre monde si on ne leur donne pas la bonne représentation. »
Pour la transmission, la représentation elle-même est au moins aussi importante que les données, abonde Clara Dealberto. Elle prend un exemple plus ancien (et plus local) : celui de la carte de John Snow, médecin britannique du XIXe siècle qui avait représenté sur une carte les lieux de vie des habitants victimes d’une épidémie de choléra. « Il a aussi placé sur sa carte les fontaines à eau et on s’est rendu compte qu’il y en avait une pile au milieu du cœur de l’épidémie, ce qui lui a permis de comprendre l’origine du problème », explique-t-elle.

Pour revenir au monde actuel et ses enjeux, Bertrand Monthubert abonde. « On a besoin de données géolocalisées pour mettre en place la planification écologique. Mais aussi de parler un langage commun pour avancer collectivement. La donnée géographique, avec une même représentation du territoire et des références communes, c’est l’un des éléments de ce langage », explique-t-il. Pour lutter contre le changement climatique et se projeter dans la ville résiliente de demain, il faut aussi s’outiller : avoir les bonnes représentations (et les bonnes cartes) est une première étape à franchir.
Participer à la conversation