
Repéré à Art Paris en septembre pour ses portraits de livreurs Deliveroo, le jeune peintre Arnaud Adami a fait des ouvriers modernes – invisibilisés, « ubérisés » – ses sujets de prédilection.
À l’usine pendant l’été, en école d’art le reste de l’année. Le jeune peintre Arnaud Adami commence sa carrière à cheval entre deux mondes. L’artiste originaire de Lannion, âgé de 25 ans, s’est fait repérer à la foire d’art moderne Art Paris qui se déroulait du 9 au 12 septembre. Il y présentait les portraits de livreurs Deliveroo, ceux dont il dit qu'ils font partie du « prolétariat contemporain » . Une façon de rendre hommage aux travailleurs de l’ombre, fil rouge qu’il semble vouloir conserver pour la suite de ses projets.
Tu as travaillé tous les étés en usine avant d'atterrir aux Beaux-Arts de Paris. En quoi ces deux expériences se nourrissent-elles l’une de l’autre ?
Arnaud Adami : Après un Bac STI2D (sciences et technologies de l'industrie et du développement durable, ndlr), je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. Je gribouillais déjà des dessins « craqués » sur mes cahiers de cours. Mais autant dire qu’apprendre à poser des panneaux solaires n’a rien à voir avec l’art ! À un moment, je suis parti travailler à l’usine. Je faisais de la manutention dans un relais de colis de poste. Bien sûr je ne voulais pas faire ça toute ma vie, alors j’ai sauté le pas et je me suis inscrit en école d’art. J’ai travaillé pendant cinq ans, durant les vacances scolaires, pour financer mes études. Quand j’étais en école d’art je pensais à l’usine, quand j’étais à l’usine je pensais à l’art… alors j’ai commencé à prendre en photo mes camarades de travail. Puis j’ai commencé à les peindre et je me suis rendu compte qu’il y avait une recherche qui pouvait être intéressante à mener entre ces deux mondes.
Ta série sur les livreurs Deliveroo a été particulièrement saluée. Pourquoi choisir de peindre ces travailleurs en particulier ?
A. A. : Quand je suis arrivé à Paris, je les voyais pédaler et pour moi c’était l'image même du prolétariat contemporain. Ce sont les ouvriers d’aujourd’hui, pourtant l’art contemporain ne les montre pas. On les voyait encore dans l’art du 19e, au début du 20e, mais beaucoup moins aujourd’hui avec l’art conceptuel. Cette frange de la population a disparu. J’ai voulu les remettre à l’honneur à mon niveau, parler de ce que je connaissais.
Pourquoi t’inspirer des grands thèmes de l’histoire de l’art (portraits officiels, natures mortes…) pour les représenter ?
A. A. : Il y a plusieurs raisons à cela. Déjà parce que j’aime la peinture figurative, celle du 18e et du 19e en particulier. C’est une manière très codifiée de mettre en valeur des personnages, en témoignent les portraits de rois ou de figures religieuses de l’époque. Je me suis d’ailleurs particulièrement inspiré du portrait de Louis XIV de Hyacinthe Rigaud. On y voit le roi avec ses attributs, sa canne, sa cape… À la place, j’y mets des casques de vélo, des sacs… J’aime m’inspirer de ces codes pour les transposer à cette réalité-là.

Tu explores aussi le thème de la chute dans ces portraits.
A. A. : Je me suis rendu compte qu’il y avait encore plus à montrer. Puisque je voulais montrer l’invisibilité de ces personnes, il fallait que je montre ce que l’on ne voit pas de leur quotidien. La chute en fait partie, leur manière de slalomer entre les voitures, cette course permanente qui les pousse parfois à tomber. J’ai pensé à ce parallèle avec la chute d’Icare peinte par Pieter Brueghel, quand il vole trop haut et trop près du soleil… C’est pareil pour eux en un sens. Ils vont toujours plus vite, font toujours plus de courses, dans l’espoir de gagner plus d’argent...
Les prénoms des livreurs donnent leur titre aux œuvres. Tu connais les personnes que tu peins ?
A. A. : Oui, je les connais toutes. Ce sont des personnes de mon entourage. Certains sont vraiment livreurs, d’autres non. Je joue avec ça, dans le sens où le fait qu’on les remarque, c’est justement parce qu’ils sont habillés aux couleurs de l’entreprise. Les nommer, c’est mettre en valeur ce qu’ils font.
Qu’est-ce que tu peins en ce moment ?
A. A. : Je peins toujours des livreurs, mais je m’intéresse aussi à d’autres corps de métier. Je fais une recherche autour des bouchers de Rungis, des artisans qui ont un savoir-faire manuel ou travaillent dans l’ombre. J’attaque aussi une nouvelle série sur les éboueurs de Paris, toujours dans cette idée de montrer ceux qui ne sont pas visibles.
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