Captures de la plateforme Xiaohongshu

Xiaohongshu, l’étoile montante du « social commerce » chinois va-t-il attaquer le marché occidental ?

© Xiaohongshu

La rivalité sino-américaine bat son plein. Alors, que signifie l'investissement d'une société américaine dans un réseau social chinois ?

Après Kuaishou (rival de Douyin/Tikok), un réseau social chinois connaît une ascension fulgurante. Xiaohongshu, rentable depuis 2023, a la cote auprès des investisseurs étrangers qui misent sur une success story et son introduction en Bourse. Zoom sur ce réseau méconnu des Occidentaux, accessible en Chine, à Taiwan et en Malaisie, et sur les enjeux géopolitiques que recouvre sa récente levée de fonds.

Le petit livre rouge du « social commerce »

Xiaohongshu (aka "petit livre rouge" en mandarin), surnommé RED (Little Red Book), en référence au recueil de citations de Mao Zedong, n'a de communiste que le nom. Ce réseau créé en 2013 est un « social commerce », savant mélange de plateforme d'e-commerce comme Amazon, de réseau social type Instagram, et de galerie d'images à la Pinterest. Axé sur le lifestyle, Xiaohongshu est dédié à la recommandation et à l'achat de produits cosmétiques, de mode, de nourriture, ainsi qu'au partage d'expériences de voyage ou de conseils sur les relations, la parentalité etc. Les usagers peuvent publier des photos, vidéos, textes ou réaliser des livestreams, et sans perdre le nord capitalistique, rediriger les viewers vers un site de commerce intégré à la plateforme (in-app).

De Mbappé à Alibaba… Qui sont les fans de Xiaohongshu ?

Le réseau, qui affiche la volonté d'inspirer des vies ( « Inspire lives » ), est particulièrement prisé des jeunes femmes chinoises de moins de trente-cinq ans, urbaines, de classe moyenne, CSP+, soucieuses de suivre les dernières tendances, avec un pouvoir d'achat plus élevé que les usagers de Douyin. Signe de la place grandissante qu'il occupe dans la vie des usagères, il est souvent substitué aux moteurs de recherche. C'est le réseau qui connaît la poussée de croissance la plus rapide en Chine, avec un gain de 20 % d'utilisateurs (atteignant 312 millions d'utilisateurs mensuels) et un bénéfice net de 500 millions de dollars en 2023.

Les célébrités (comme Kylian Mbappé), les marques locales comme les marques de luxe occidentales n'ont pas manqué de déceler le potentiel de la plateforme montante. Beaucoup investissent en publicité sur le réseau et collaborent avec des leaders d’opinion (KOL) pour capter le public chinois.

Les sociétés de capital-risque n'ont pas tardé à s'intéresser à la jeune pousse : GSR Ventures, HongShan, Hillhouse, DST Global, l'investisseur singapourien Temasek, et les pachydermes du numérique Alibaba et Tencent en sont devenus actionnaires, la valorisant à 17 milliards de dollars.

Un investissement américain passé entre les mailles du filet législatif ?

La levée de fonds de Xiaohongshu auprès de la société américaine DST Global (détenue par l’entrepreneur de la tech israélien, Iouri Milner) surprend alors que Washington multiplie les mesures pour freiner l'ascension de TikTok et s’est attaqué aux investissements sortants. En effet, le 9 août 2023, le président Joe Biden a signé un décret pour limiter les investissements américains en Chine dans les secteurs de la tech jugés sensibles (comme l’IA, les semi-conducteurs, l’informatique quantique), car susceptibles d'être mobilisés à des fins militaires.

Business is business

Malgré ces restrictions, l'investissement de DST Capital n'a rien de surprenant ou paradoxal pour Charles Thibout, doctorant en science politique à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et chercheur associé à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques). « Il faut bien avoir en tête que la rivalité géopolitique entre les États-Unis et la Chine ne convient pas à un certain nombre de grandes (et moins grandes) multinationales américaines, qui seraient naturellement portées à concéder ce type d'aide à des acteurs chinois pour s'aménager une place de choix sur ce marché très convoité. Pour une entreprise, l'intérêt des affaires passe toujours devant l'intérêt national, tel qu'exprimé par les institutions publiques. Google aurait poursuivi ses investissements en Chine s'il n'y avait pas eu le tournant nationaliste de l'administration Trump, en dépit de la montée de la thématique "rivalité sino-américaine" dans le débat public américain", explique-t-il. Et d'ajouter : « Le pouvoir politique et administratif américain n'est pas tout-puissant. Au-delà des failles juridiques de la réglementation US, les moyens de contrôle du département du Trésor ne sont pas infinis, et il est possible que cette levée de fonds soit passée entre les mailles du filet. »

Reste à savoir si Pékin ne mettra pas un coup d'arrêt à l'introduction en Bourse de Xiaohongshu, par mesure de cybersécurité. En 2021, Pékin a notamment fait passer une loi aux airs de RGPD (Règlement Général de Protection des Données) pour empêcher le transfert des données personnelles des utilisateurs chinois à l'étranger. Des acteurs de la tech chinois introduits en bourse, ayant emmagasiné ces données sensibles, comme Didi (équivalent chinois d'Uber), ont fait l'objet d'une enquête de la part des autorités de régulation chinoises.

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