
Un an après la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk, beaucoup d'utilisateurs mécontents démarrent sur BlueSky. Ce n'est pas facile... mais ça vaut le coup.
« Le 27 octobre, nous ne tweeterons pas, nous ne retweeterons pas, nous ne nous connecterons pas à X. […] Pour un Internet plus sûr et plus responsable, nous appelons tous les détenteurs d’un compte sur cette plateforme à se joindre au #notwitterday ». Paru dans le journal Le Monde au début de la semaine, cet appel à la grève du tweet a été formulé par un collectif formé par des spécialistes de la désinformation : Tristan Mendès France, Julien Pain et Rudy Reichstadt.
Un an après la prise de contrôle de la plateforme par Elon Musk, beaucoup d'utilisateurs veulent quitter X et cherchent des alternatives. Ceux qui ont opté pour Bluesky nous racontent.
Le lourd bilan d'Elon Musk
Se présentant comme un « libérateur » de la plateforme et un défenseur de la liberté d'expression, le milliardaire a imposé plusieurs choix funestes. Il a délibérément détruit le système de modération et le système de comptes vérifiés. Ces derniers permettaient d'authentifier des personnalités publiques ainsi que des journalistes et la fiabilité de leurs informations. Le système a été remplacé par un abonnement payant qui permet d'être mis en avant par l'algorithme de la plateforme et de bénéficier de revenus publicitaires corrélés au nombre de vues. Cette fonctionnalité a eu pour effet de réhabiliter des comptes de militants, entre autres ceux d'extrême droite bannis de Twitter après l'insurrection du Capitole. Autre effet constaté : depuis les massacres du 7 octobre, les utilisateurs de Twitter ont été inondés d'images de massacres et d'enlèvements, images tournées dans le but précis d'être diffusées pour provoquer la terreur. Sommé de faire le ménage et d'éviter la désinformation par le commissaire européen Thierry Breton, Musk a suggéré l'idée de fermer la plateforme en Europe pour échapper aux sanctions, tout en annonçant son envie de faire payer un dollar les utilisateurs pour qu'ils puissent tweeter.
Cet enchaînement a fini par convaincre de nombreux utilisateurs de quitter X. D'après la plateforme Apptopia qui traque les usages numériques, le réseau social aurait perdu 13 % de ses utilisateurs actifs depuis un an. 121 millions de personnes utiliseraient X tous les jours contre les 253 millions avancés par Elon Musk. Et ce n'est pas tout. Les grandes marques ont aussi fait défection. D'après le cabinet de conseil en marketing Ebiquity, seules deux marques de son portefeuille sur 31 continuent d'acheter de l'espace publicitaire tandis que les revenus de X accuseraient une perte de 60 %. « Je pense que les images violentes du 7 octobre ont servi d'électrochoc à beaucoup de gens, indique Laydgeur, un compte sur X spécialisé sur les thématiques énergétiques et nucléaires suivi par plus de 36 000 personnes. On a tous constaté que X avait perdu en fiabilité et ça a poussé pas mal de mes followers à trouver une alternative. »
Un coin de ciel bleu
C'est ici qu'intervient Bluesky, l'initiative lancée par l'ancien CEO de Twitter, Jack Dorsay, qui est maintenant devenu une alternative à X. Tandis que l'alternative Threads, lancée par Meta en août dernier, n'est toujours pas disponible en Europe et que Mastodon rebute par la difficulté de sa prise en main, le réseau semble attirer de nombreux déçus de Twitter. Pour le moment seuls les internautes invités par les utilisateurs déjà installés peuvent s'y inscrire. Cette barrière n'a pas empêché le nombre d'usagers de passer de 100 000 personnes à la fin du mois de mai 2023 à 1,6 million en octobre, ce qui place son audience juste derrière celle de Mastodon.
Beaucoup d'utilisateurs se sont inscrits sur les deux réseaux. C'est le cas de Pierre Salard, journaliste indépendant et fondateur du compte dédié à la science-fiction TheSpaceshipper, qui compte tout de même 70 000 abonnés. Ce dernier gagne une partie de ses revenus sur Patreon et a donc besoin d'un réseau social pour assurer la vitrine de son travail. « À cause de Musk, j'ai essayé plusieurs réseaux cette dernière année, raconte-t-il. Bluesky, Mastodon, Instagram, Threads, Spoutible et Hive. Spoutible et Hive sont déserts, Threads est inaccessible en Europe sauf avec manipulations fastidieuses. Il reste Bluesky, Mastodon et Instagram. Parmi ces trois, Bluesky est celui qui ressemble le plus à l'ancien Twitter, l'engagement est bon et l'outil est ergonomique sur mobile comme sur PC. Donc j'espère que ça remplacera Twitter à terme. »
Si la plateforme est encore rudimentaire – pas de possibilité de poster des threads ou des vidéos – il trouve qu'il y règne une atmosphère plus sereine. « Je suis suivi par 67 000 followers de moins, donc ma parole est plus libre. Personne n'est venu me faire une polémique sur le wokisme en 5 mois, ça fait du bien. Bluesky est un bon réseau social pour garder sa santé mentale. La timeline n'est pas trafiquée, et mieux, on peut la créer à son goût avec différentes sortes de feeds et la possibilité de voir uniquement les réponses des mutuals. »
Pierre n'est pas le seul à trouver Bluesky plus reposant. C'est aussi le cas de Tim, un artiste et spécialiste de l'exploration des lieux abandonnés qui a plus de 7 000 abonnés sur X et 10 fois moins sur Bluesky. « Twitter a toujours été un réseau très toxique, avec beaucoup de dramas, et une envie de trouver le bon mot pour vanner les autres. C'était par ailleurs difficile de s'en passer, car c'est une bonne plateforme de communication et de communautés par rapport aux autres réseaux. Mais à partir de septembre, tout s'est effondré, on a tous connu une grande baisse de reach à cause des mesures prises par Musk. À l'inverse, Bluesky est très bienveillant. Il n'y a pas encore de publicité, on ne trouve pas de bots, et l'ambiance rappelle celle des forums du début des années 2000. Les gens sont là pour discuter sans provoquer de clash. » Malgré la nouveauté du réseau et son faible nombre d'abonnés, il n'a pas l'impression de perdre au change. « Je n'ai que 700 abonnés sur Bluesky avec la baisse du reach sur X, je me rends compte que mes posts génèrent le même nombre de likes sur les deux réseaux », explique-t-il. Pierre partage ce constat. « J'ai régulièrement le même nombre de likes et de replies que sur X malgré mes 67 000 followers en moins, indique-t-il. Ça s'explique par le fait que la plateforme de Musk réclame beaucoup plus de viralités pour qu'un post fonctionne, mais aussi parce qu'il y a assez peu de comptes actifs sur Bluesky, ce qui fait que le mien gagne en visibilité. »
Le deuil de Twitter
Malgré tout, la transition entre les deux réseaux reste douloureuse pour beaucoup d'utilisateurs et notamment les journalistes qui avaient des comptes très établis sur Twitter. Sandrine Chesnel, journaliste indépendante qui utilise beaucoup les réseaux sociaux pour faire des appels à témoignages le reconnaît. « Depuis la rentrée, j'ai l'impression que de nombreux comptes sur X, et notamment la communauté des profs que je suis, ont arrêté de poster, explique-t-elle. Sur Bluesky, mes appels à témoignages fonctionnent très bien alors que je n'ai que 800 followers contre 14 000 sur X. » Pour elle, le manque de messages directs, les fameux DM, est ce qui lui pose le plus de problèmes. « Je me suis rendu compte que les DM constituaient une part importante de ma vie sociale en ligne, précise-t-elle. Je m'en sers vraiment tous les jours et je me reposais dessus pour mon travail et mon réseau. En ce moment, je suis en train de remonter tous mes messages pour récupérer les numéros de téléphone de l'ensemble de mes contacts. » Comme pour la plupart des gens interrogés, Sandrine n'envisage pas de couper définitivement Twitter, mais se prépare au cas où le réseau fermerait ses portes en raison de soucis techniques ou de désaccords politiques avec l'Europe.
Tous expriment le regret de devoir laisser derrière eux un compte patiemment construit au fil des ans. « Au tout début ça me faisait chier de perdre tout ce que j’avais sur Twitter, indique Laydgeur. Mais finalement tu retrouves vite la même chose de l’autre côté, et tu t'aperçois que ce qui compte ce n'est pas tant le nombre de followers que les interactions. » Pour Tim, il n'est pas vraiment question de claquer définitivement la porte de X, mais plutôt de le laisser tourner en attendant la fin. « J'ai encore plein d'abonnés qui n'ont pas sauté le pas et qui ne le feront peut-être jamais, explique-t-il. Ça peut se comprendre, c'est compliqué de changer de réseau. En ce qui me concerne, je vais rester sur X, mais je ne considère plus ce réseau comme ma maison. »
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