Découverte d’une nouvelle ère sexuelle à l’heure des nouveaux media. Qu’en est-il véritablement de ces nouveaux types de rencontres. Décryptage de Coralie Trinh Thi, ancienne porn star, actrice, réalisatrice et écrivaine.
Au début de ma vie sexuelle (très active) il n’existait ni applications de rencontres, ni sites Internet… ni même téléphones portables. Les rencontres se faisaient au hasard de la « vie réelle » et la présence physique de l’Autre était une condition primordiale pour envisager tout rapprochement charnel, d’une nuit ou d’une vie.
En vingt ans, Internet et les nouveaux médias ont transformé le monde : plus d’informations, plus d’échanges, plus vite, plus spectaculaire et en débit illimité… Le sexe les envahit et certains parlent de nouvelle révolution sexuelle, d’autres de marchandisation de « l’amour ».
Bien que geek pour l’époque, il ne me serait jamais venu à l’idée de draguer sur Internet - pas plus que de m’inscrire dans une agence de rencontres. Mais Internet faisait de plus en plus partie de ma vie, un moyen de communication dominant dans toutes les communautés : forums, Myspace, Facebook, une réalité alternative…
Et je me suis retrouvée à flirter sur MSN, des nuits entières à chater et échanger des photos et des vidéos (de lui, des photos et vidéos de moi étant déjà disponibles sur tous supports).
Jusqu’au premier rendez-vous, décidé sur un coup de tête après minuit, sauter dans un taxi parce que le besoin de toucher est devenu irrépressible. Le cœur qui bat, le trac qui serre le ventre, et une fois face à face, même si l’objet du rendez-vous est explicite, attendre encore que la glace se brise IRL (In Real Life) en buvant du vin.
Quelques années plus tard, j’ai entretenu une relation longue distance essentiellement virtuelle : entre deux voyages, je pianotais mes fantasmes dans la fenêtre MSN ou Skype, je le lisais les doigts humides, je le regardais éjaculer sur mon écran… et je dormais avec mon iPhone. Nous nous étions déjà fait jouir par la magie du web avant la première baise, pourtant le sang battait si fort dans mes tempes et dans mon ventre que j’ai cru défaillir en remontant le couloir menant à sa chambre d’hôtel. Puis, attendre que la glace se brise en buvant du vin. Same old story.
Alors est arrivé adopteunmec.com, une révolution. L’intérêt purement sexuel est assumé, et miracle, ça fonctionnait : des plans cul d’un soir, parfois renouvelés et le plus souvent satisfaisants. Enfin une possibilité de boire moins de vin ? Hélas, l’énorme succès du site n’a pas tardé à le rendre payant… pour les hommes. Modèle économique ancestral, qui a paradoxalement saboté l’esprit du site. Bien sûr, en apparence ce sont toujours les femmes reines qui font leur marché : mais les produits sont moins attractifs, renvoyés à leur rôle traditionnel de demandeur… chasseur. Et les reines redeviennent la proie de morts de faim – le charme s’est rompu en devenant payant.
Une révolution chasse l’autre, et voici l’ère Tinder. Encore plus mobile, plus rapide, plus efficace – bien que la com officielle parle de rencontre amicale, il est évident pour tout le monde (surtout les médias) qu’il s’agit de drague 2.0 et de plan cul 4G. Ultime libération sexuelle ? Consumérisme ? On glisse de photo en photo, like, nope, la géolocalisation évite toute perte de temps, le match garantit l’accord réciproque. Sauf que Grindr, l’app de rencontre gay qui a inspiré Tinder, s’adressait à une communauté ayant parfaitement intégré la culture du plan sexe instantané. Facile, de passer du regard au clic.
Alors, beaucoup collectionnent simplement les matchs comme des trophées, on peut même « le faire savoir à ses amis ». Tinder a du limiter le nombre de likes quotidien (mais propose une extension payante). Suit parfois le chat, indispensable préliminaire, plusieurs jours, avant, parfois, une rencontre. Très peu se concluent par un coït. La surabondance noie le désir, dans un flot de choix immédiats. Cette ouverture totale au monde, à toutes ces possibilités, provoque plus d’exigence et de méfiance… un corolaire paradoxal.
Il existe des serial-baiseurs, des deux sexes, mais ils l’étaient déjà avant Tinder. Pour eux, la surconsommation est aussi un moyen d’éviter la confrontation, la « vraie rencontre ». On est loin de la débauche effrénée « vendue » ou condamnée. Si notre sexualité était libre, on ne parlerait pas de libération sexuelle depuis 50 ans. Au secret de la honte, on substitue l’exhibitionnisme de l’éphémère, du paraître, du superficiel. On confond aisément dans le monde virtuel « plaisir » et « plaire ».
Une amie a reçu une notification Happn, nouveau must de la géolocalisation, alors qu’elle attendait le métro. Il était là, sur le quai d’en face. Elle a feint de ne pas avoir vu son portable et évité son regard. Same old story.
Je n’utilise pas Happn, mais j’ai imaginé ma scène : le cœur qui s’accélère, le regard furtif, un like, le crush, le trac avant un sourire, le coup de folie et traverser pour le rejoindre, le sang qui bat dans mes tempes, et puis… aller boire du vin.
Parcours Coralie Trinh Thi
Actrice, réalisatrice et écrivain française.
Entre 1994 et 2000, elle a joué dans une soixantaine de films pornographiques. Elle est coauteur du film Baise-moi, et a publié plusieurs livres dont un récit autobiographique La Voie humide, une œuvre au rouge paru en 2007. Elle publie depuis des guides sexuels.
Participer à la conversation