
Le réalisateur Simon Bouisson signe un nouveau film interactif. Il nous raconte un soir d’attentat terroriste au travers de trois points de vue différents.
Vous vous souvenez sans doute de ce que vous faisiez le soir des attentats du 13 novembre. Entre les chaînes d’information en continu, les messages de nos proches et les centaines de notifications sur les réseaux sociaux, l’évènement dramatique a laissé des traces indélébiles. C’est pour mieux affronter le vertige provoqué par cette soirée que Simon Bouisson, réalisateur de Wei or Die, et Olivier Demangel se sont attaqués à République, un film interactif qui raconte un attentat fictif au travers des téléphones portables de trois points de vue différents. Une fois téléchargé sur son téléphone portable, le film se met en route et il est possible de swiper à l'envie sur trois flux vidéo.
Pour les iPhone et iPad République se télécharge ici.
Pour les Androïd l'application se trouve là.
Pouvez-vous nous raconter comment est né le projet ?
Simon Bouisson : Mon film interactif Wei or Die est sorti en octobre 2015, deux semaines avant les attentats du 13 novembre. Cette nuit-là fut vertigineuse. On était sur BFMTV et sur nos portables en même temps. On envoyait des messages à nos proches, on suivait les réseaux sociaux et on n’arrivait pas à arrêter. Les attentats et l’état dans lequel ils nous avaient plongés nous ont hantés pendant plusieurs mois et on a voulu faire un film là-dessus. On voulait retranscrire ce que représentait la verticalité de l’information et son instantanéité, la place de la vidéo live, mais aussi les réactions et les émotions que l’on a ressenties cette nuit.
Pourquoi avoir décidé de proposer trois points de vue différents ?
S.B. : L’idée était de permettre au spectateur de suivre un attentat fictif qui se déroule dans le métro parisien avec trois niveaux différents. On a une partie de l’histoire qui se passe à la surface, et qui montre notamment les gens qui cherchent leurs proches, l’arrivée des médias et des forces de l’ordre. On a aussi le point de vue souterrain avec deux jeunes hommes qui se trouvent au plus près de l’attentat. Enfin, on a un niveau intermédiaire qui suit deux explorateurs urbains qui viennent au secours des victimes. Comme notre objectif était de traiter un sujet très sensible, on a voulu offrir au spectateur la possibilité de choisir le niveau dans lequel il veut se plonger. Certains préfèrent rester à la surface et d’autres préfèrent au contraire se rapprocher de l’épicentre. D’autres encore zappent d’une scène à l’autre.
On se retrouve souvent à aller d’une scène à l’autre. Ne pensez-vous pas qu’il y a un risque de perdre les spectateurs ?
S.B. : C’est justement cette impression que l’on veut donner aux spectateurs. Ils doivent ressentir ce côté vertigineux en zappant d’un point de vue à un autre. Dans ces conditions, ce n’est pas tant ce qu’on regarde qui importe, mais ce qu’on rate. Par ailleurs, le récit ne montre jamais frontalement de scènes violentes, mais reste ponctué de rafales de kalachnikov qui se passent au même moment dans les trois « timeline ». Ça permet de rappeler que l’on raconte une seule et même histoire, à savoir un hommage au courage et la manière dont un évènement dramatique peut bouleverser les personnalités.
Quelles précautions avez-vous prises pour rester le plus fidèle à la réalité ?
S.B. : Très rapidement, on a voulu travailler avec des psychologues spécialisés dans les victimes d’attentats. Ils nous ont dit une chose très juste ; dans ce moment-là, il n’y a pas de gens lâches ou héroïques. Certains essaient de sauver leur peau, d’autres d’aider les autres et d’autres encore peuvent être pris de peur panique ou se trouver dans des états de sidération. On a notamment parlé à des gens qui sont confrontés à une catastrophe comme les tsunamis et dont le cerveau disjoncte complètement. Certains se mettent à courir vers la vague au lieu de fuir. On a un personnage qui fait ça dans le film et qui se dirige vers le danger sans vraiment s'en rendre compte. Au-delà de toutes ces réactions morcelées, on voulait aussi montrer que la société peut justement se ressouder quand on essaye de l’exploser.
Le film se passe au travers de l’objectif de trois téléphones portables qui filment en direct. Pourquoi avoir fait ce choix de réalisation ?
S.B. : Il faut permettre aux spectateurs de développer de l’empathie sur l’ensemble des personnages, peu importe leur réaction. Pour cela, je voulais leur donner un comportement assez contemporain qui consiste à filmer tout et tout le temps. Ce que les spectateurs voient sans vraiment le savoir, c’est que les protagonistes sont attachés à leur portable et à l’image qu’ils envoient sur les réseaux, comme à leur vie. De plus, on a ajouté un autre niveau de lecture avec les commentaires qui défilent en direct. Ça nous permet de montrer que derrière les personnages, il y a toute une ville qui les regarde en même temps que nous et qui les soutient.
Certaines tentatives de films parlants des attentats ont été mal perçues par les familles des victimes. Avez-vous envisagé cette possibilité ?
S.B. : C’est en grande partie pour cette raison qu’on a voulu travailler avec des spécialistes. On s’est beaucoup documenté, avec les témoignages qui sont sortis après les attentats, les livres ou les bandes dessinées. Là où d’autres films essayent d’ajouter de la fiction par-dessus la réalité, on a préféré faire l’inverse. On a inventé un attentat totalement fictif sur lequel on a calqué des comportements et des histoires qui ont vraiment eu lieu. On a conscience que c’est un sujet difficile, même quatre ans après. Les gens n’ont pas toujours envie de replonger dans cette ambiance. Mais avec l’interactivité, ils peuvent se sentir plus dans le contrôle.
Vous pensez que la fiction peut guérir les traumatismes des attentats ?
S.B. : C’est vraiment dans cette optique que l’on a fait ce film. Pour nous c’est une expérience cathartique ; une libération par l’émotion. Certains spectateurs qui n’avaient vraiment pas envie de se replonger dans une ambiance comme celle-là ont tenté l’aventure. Ils ont vécu l’expérience de manière douloureuse, mais à la fin ils sont venus me voir et m’ont remercié. La fiction a vraiment ce pouvoir de redonner de l’espoir aux gens.
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