
Quel impact auront les millennials sur la publicité de demain ? Nous avons demandé à Maria Mercanti-Guérin, Maître de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers, de répondre à nos questions sur la génération Y et ses modes de consommation numériques.
Maître de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers, Maria Mercanti-Guérin est l'auteur de nombreux articles dans des revues telles que Recherche et Applications en Marketing, Revue des Sciences de gestion ou Management et Avenir. Son champ d'expertise comprend notamment les réseaux sociaux, le consommateur créatif et le e-commerce. En 2015, elle participe à l'élaboration de l'ouvrage Digital Natives : Culture, génération et consommation, et explore les stratégies de communication des banques pour cibler les millennials. Elle répond aujourd'hui à nos questions et nous offre quelques prospectives en matière de publicité, de consommation et de "comportements jeunes".
Pensez-vous que les digital natives sont des consommateurs plus résistants parce qu’ils possèdent une meilleure connaissance de leur environnement en ligne ?
M. M-G : Alors, ce n’est pas évident. Cela dépend en fait des plateformes sur lesquelles ils s’expriment. On parle de jeunes qui sont attachés à des marques, plus en moins transgressives vis-à-vis des valeurs de leurs parents. Donc quelque part, ils font partie intégrante du système de consommation. En revanche, ils ont une vision de la vie privée qui est radicalement différente de celle de leurs aînés, ils la partagent sans résistance avec leur communauté, sur le réseau social principal qu’ils utilisent. Il n’y a plus d’intimité. S’ils sont résistants et avertis vis-à-vis de la société et de la consommation en général, ils ne résistent pas face à leur communauté en ligne.
Sont-ils capables de percevoir les leviers marketing utilisés par les marques pour les cibler ? Le fait de savoir les identifier les rend-il plus réticents à consommer ou à effectuer un achat auprès de ces marques ?
M. M-G : Alors, oui, ils perçoivent ces leviers. Mais tout dépend s’ils les acceptent ou pas ! S’ils sont ludiques et communautaires, ça fonctionne. En revanche, “faire du jeune, parler jeune”, ça ne marche pas. On est à arrivé à un modèle qui mise sur la transparence et l’authenticité.
Pensez-vous que certains leviers marketing traditionnels sont encore adaptés à une cible aussi mouvante que celle des digital natives ?
M. M-G : Tout ce qui est levier traditionnel, et je parle ici des médias traditionnels -télévision, radio, presse - ça ne marche pas. L’affichage, c’est différent, puisque les contenus évoluent de plus en plus vers le digital. Mais il y a une délinéarisation de la consommation média, des vitres additionnelles comme le mobile, la tablette, l’ordinateur… Aujourd’hui, c’est la pub digitale et le cross-media qui sont les plus adaptés.
À quoi ressemblera la publicité de demain ? Sera-t-elle directement impactée par la façon dont les digital natives consomment le numérique aujourd’hui ?
M. M-G : La publicité de demain sera une publicité qui ne dit pas son nom, qui se fait invisible. Elle sera aiguillée par des leaders d’opinion; youtubeurs, blogueurs… Comme c’est déjà le cas de nos jours. La publicité de demain pénétrera les usages, elle sera servicielle et dans la continuité de ce qui se passe déjà aujourd'hui.
Vous parlez d’une publicité servicielle. Pensez-vous alors que le modèle économique de la “gratuité”, particulièrement apprécié des jeunes, fera partie intégrante de cette nouvelle publicité ?
M. M-G : Je pense, en termes de pérennité du modèle économique, que c’est la fin de la gratuité. La publicité sur Internet se fait de moins en moins efficace, les taux de clics sont en chute libre, il faut désormais faire payer les utilisateurs, les inciter à s’abonner sur des plateformes payantes. Néanmoins, le modèle de l’abonnement ne durera qu’un temps selon moi. Les utilisateurs se lassent vite et se désabonneront s’il la marque ne se réinvente pas, car le marché est très émietté et en perpétuelle évolution et les concurrents se repositionnent très vite. Il ne faut pas non plus oublier que nous sommes dans une période de récession, je pense que c’est aussi à prendre en compte pour les marques.
Pour reprendre la métaphore de Marc Prensky et en sachant que les technologies de l’information et de la communication évoluent à toute vitesse, pensez-vous que les digital natives d’aujourd’hui feront les “digital immigrants” de demain ?
M. M-G : À mon sens, et en restant dans la prospective, je pense qu’il y a un basculement majeur qui se présente, celui de la fin de l’écriture. Les Digital Natives d’aujourd’hui sont des gens qui écrivent encore, ceux de demain n’écriront plus. L’Internet de demain sera fait de plateformes vidéos et interactives. On fait énormément de progrès sur tout ce qui est sémantique et reconnaissance vocale. Pensez déjà aux chatbots. Je pense aussi à ce débat sur l’apprentissage de l’écriture cursive aux États-Unis, on se pose aujourd’hui la question de savoir si l’on doit apprendre ou non, l’écriture manuscrite à nos enfants. Cela laisse songeur et en dit long sur ce qui se profile...!
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