Un homme affronte un souffle explosif. Dans ses lunette, le reflet du logo TikTok

S’informer sur TikTok ça ressemble à quoi ?

© Paramount Pictures

Les jeunes sont de plus en plus nombreux à utiliser la plateforme vidéo comme porte d’entrée vers l’actualité. Ils s'engagent pourtant dans un dédale informationnel.

Le 13 octobre dernier, la France entre en état de choc après l’assassinat du professeur de Lettres Dominique Bernard dans l’enceinte du groupe scolaire Gambetta-Carnot d’Arras. L’attaque qui a aussi blessé trois autres personnes est en partie filmée et massivement diffusée sur TikTok. Dans la barre de recherche, la requête « vidéo Arras sans floutage en entière » va être pendant plusieurs jours en tête des tendances de la plateforme. Symbolisées par une petite flamme, il suffira aux internautes de cliquer dessus pour tomber sur la vidéo originale, mais aussi sur de nombreux « comptes d’actualité » qui commentent l’information en singeant un dispositif journalistique. Dans les jours suivant le meurtre, de nombreuses vidéos intitulées « panique lycée » ou « alerte intrusion collège » vont régulièrement surgir, montrant des vidéos prises par des élèves dans les couloirs de leurs établissements pendant des alertes incendie. Le tout est mis en scène avec des musiques dramatiques pour donner l’impression qu’un drame serait en train d’avoir lieu. 

TikTok, un bon réseau pour s'informer ?

Ce mélange chaotique de vidéos prises sur le vif, de commentateurs et de mises en scène constitue le volet informationnel de TikTok. Si la plateforme a toujours revendiqué une volonté de divertissement, les usages ont évolué vers des fonctionnalités de moteur de recherche et de consultation d'information. Elle a accueilli en masse des vidéos issues des champs de bataille ukrainiens, le feuilleton judiciaire entre Johnny Depp et Amber Heard, et plus récemment la guerre israélo-palestinienne. D’après le rapport Reuters 2023, 20 % des 18-24 ans utilisent le réseau pour s’informer, une hausse de 5 % par rapport à l’année dernière. Aux États-Unis, une étude du Pew Research Center fait grimper cette statistique à 32 % pour les 18-24 ans, contre 9 % en 2020. Au Royaume-Uni, la plateforme est devenue la première source d'information des jeunes devant Instagram et YouTube.

L’idée selon laquelle on peut utiliser TikTok comme une plateforme d’accès à l’information a de quoi faire tiquer étant donné que les utilisateurs ne sont pas vraiment maîtres de l’algorithme et que le fil « For You » possède sa propre logique de publication. Même si on est abonné aux comptes du Monde ou du Washington Post, on n’a aucune garantie de tomber dessus durant une session de scrolling. Pour comprendre cette nouvelle pratique, il faut avant tout se pencher sur la barre de recherche de l’application.

Accessible depuis la petite loupe située en haut à droite de l’écran, la barre de recherche de TikTok est devenue une véritable alternative à Google pour 40 % de la jeune génération. C'est d'ailleurs le vice-président Senior de Google Prabhakar Raghavan qui le reconnaît en précisant que d'après leurs données, les utilisateurs utilisent TikTok pour chercher un endroit où manger plutôt que de lancer Google Map. Quand on arrive sur la page, l’application propose toute une série de suggestions parfois cryptiques, issue des termes les plus recherchés du moment. On y trouve des tendances comme, en ce moment, la phrase « j’ai très envie de t’embrasser » qui mène vers des vidéos playback assez classiques sur TikTok. On peut aussi trouver des liens vers des vidéos sponsorisées comme le hashtag #blackfriday2023 qui sont surtout là pour donner des idées shopping. Enfin, on trouve des thématiques « d’actualité » qui représente une catégorie extrêmement large. 

De la rumeur à l’info vérifiée, aucune hiérarchie

Autant le dire tout de suite, le traitement de l’information sur TikTok est un véritable Gloubi-boulga qui mélange, sans la moindre hiérarchie, de vraies informations, des news people, des rumeurs et des fake news. La semaine de l’assassinat de Dominique Bernard, on trouvera aussi des vidéos expliquant qu’une lumière divine s’est élevée au-dessus de Jérusalem et des extraits de JT commentés portant sur l’explosion de 22 bombes en Corse. Les personnalités du Web comme l'influenceur Michou sont aussi présentes et l’on trouve régulièrement des images de son accident de voiture qui aurait eu lieu au début du mois de novembre avec l'annonce de sa mort; une fausse information qui a circulé sous forme de blague pendant plusieurs jours. Toujours à son sujet, des rumeurs circulent selon lesquelles il va se convertir à la religion musulmane.

Les formats de présentation de ces informations sont très variés. On peut en faire l’expérience sur la requête « Suppression allocations France » qui surgit régulièrement dans la liste de suggestions au moment où ces lignes sont écrites. Cet élément de recherche fait référence au vote du Sénat sur un amendement de la loi Immigration et intégration qui veut interdire les allocations familiales et l’Aide personnalisée au logement (APL) aux immigrés présents en France depuis moins de 5 ans. Cette mesure de restrictions controversée est un sujet parfait pour TikTok, et va générer de nombreuses vidéos. 

Tour d'horizon des comptes d'information

Qui sont les comptes « d’information » de TikTok ? On trouve par exemple Curieux de Savoir ou Fast Info France qui vont résumer les faits à l’aide de vidéos ou d’images copiées à la va-vite sur les réseaux et d’un texte généré et lu par une intelligence artificielle. Il s’agit généralement de flashs d’information très factuels. Certains de ces comptes comme Presse.fr varient les formats et traitent l’actualité en publiant des extraits d’émissions, de journaux télévisés ou un monologue d’un éditorial sur le plateau de BFM ou de TPMP. 

Viennent ensuite les comptes de « pseudo-journalistes », des tiktokeurs qui vont réaliser plusieurs vidéos face caméra par jour en expliquant de manière plus ou moins précise l’actualité du moment. Dans le cas de l'amendement de la loi Immigration et intégration, les tiktokeuses JujuDenonce et Mary_prdr2 font l’erreur d’indiquer que la loi a été définitivement votée alors qu’elle doit encore passer devant l’Assemblée Nationale pour être adoptée.

D’autres comptes, bien plus orientés politiquement, tentent de singer le format journalistique. C’est le cas du compte LeRendezVous tenu par le youtubeur Jeremy Marquie qui produit surtout un contenu d’éditorialiste très marqué à l’extrême droite. Enfin, l’actualité est aussi commentée par une pléthore d’utilisateurs qui vont donner leur avis, s’indigner ou faire des blagues sur le sujet. 

@rdv_info

🔴 Vidéo entière sur ma chaine YouTube (🔗 lien dans ma bio).. 🚨 Abonne toi et va me suivre sur Insta et YouTube pour plus de contenus .. 🎥 Le RDV #france #lerdv #caf #rsa #argent #salaire #travail #immigration #gauchiste☕️ #allocationsfamiliales #etrangerenfrance #migrant #emmanuelmacron

♬ son original - LeRendezVous

Plus de bordel = plus de liberté ?

Face à cette explosion de contenus qui s’éloignent toujours plus des méthodes du journalisme, doit-on déclarer TikTok comme une sorte de no man’s land informationnel ? Pour les chercheurs du Pew Research Center, les choses sont plus complexes que cela. Il faut tout d’abord prendre la manière dont les utilisateurs définissent ce qu’est une information. Sur TikTok, la hiérarchie qui consiste à faire passer une information politique française avant un potin sur un influenceur n'existe plus. Sans l’intermédiation du journaliste, les jeunes internautes plongent volontairement dans les sujets d’actualité qui les intéressent et utilisent la barre de recherche pour construire leur avis. Comme le disent les chercheurs Kjerstin Thorson et Ava Francesca Battocchio, les jeunes adultes peuvent être décrits comme « les architectes actifs de leur propre monde médiatique ». TikTok n’est peut-être pas l’endroit le plus pratique pour trouver de l’information et il présente même de nombreux pièges dans lesquels il est facile de tomber. Mais c'est sans doute cet environnement plus risqué et moins balisé qui attire les jeunes internautes qui veulent s'immerger dans un sujet sans prendre de précautions.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
commentaires

Participer à la conversation

  1. Avatar Anonyme dit :

    c est vrai que l ont trouve tout et n’importe quoi mais aussi des infos qui ne sont pas contrôlées et cachées par les médias mainstream

  2. Avatar Vive la vraie info faite par un vrai journaliste dit :

    C'est terrifiant. Le plus grand ennemi des démocraties

  3. Avatar Anonyme dit :

    Le pire de la désinformation : ce sont les médias TV français qui ont un discours coordonné et monobloc, tout en dichotomie, dicté par des puissants économiques (surpassant les Etats). La liste de leurs mensonges est fort longue, quasiment ils ont indénombrables depuis 50 ans et couvrent des domaines fort divers. Aveu, repentance et résilience leurs sont inconnus.

Laisser un commentaire