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Nudes et chantage sexuel : « pour les jeunes d'aujourd'hui, c'est tristement commun »

© David-Julien Rahmil via Dream Studio

Comment prévenir des dangers des nudes quand ces photos sont normalisées par les jeunes ? C'est la question que pose Aliya qui rencontre des collégiens et des lycéens pour raconter son histoire de cyberharcèlement.

À l'âge de 14 ans, Aliya a traversé une épreuve traumatisante. Après être tombée amoureuse d'un garçon rencontré dans le monde virtuel pour adolescents Habbo, la collégienne qu'elle était s'est laissée convaincre d'envoyer des nudes et de vidéos de plus en plus osées. Ce qui était son premier coup de cœur s'est alors transformé en chantage sexuel. La jeune fille a dû faire face à des demandes de plus en plus pressantes, mais aussi de plus en plus hardcores jusqu'au point de rupture. Face à son refus de continuer, son agresseur qu'elle n'avait jamais rencontré a diffusé ses photos aux élèves de son collège et à ses proches. Aliya a subi alors un deuxième harcèlement, plus direct, venant de ses camarades de classe, ce qui l'a menée au bord du suicide. Malgré une plainte, difficilement posée au commissariat, son petit copain virtuel ne sera jamais retrouvé.

Depuis Aliya s'est reconstruite. Elle a autoédité un livre et participé à un podcast en 7 épisodes (Aliya, juste une histoire de nudes) où elle raconte sa descente aux enfers. Grâce à sa médiatisation (elle est notamment passée au journal télévisé de TF1), elle intervient désormais dans les collèges et les lycées pour parler d'amour et de sexualité à l'heure des réseaux sociaux. Son histoire touche toujours les gens qu'elle rencontre, mais elle note aussi que les choses ont complètement changé en six ans. Ce qui était considéré comme une pratique taboue est à présent normalisé et même mis en valeur pour les jeunes tandis que les professeurs et les parents n'ont aucune idée de ce qui se passe sur le smartphone de leur enfant. Nous avons demandé à Aliya de nous raconter ces changements. Interview.

Ça fait un moment que le sujet des nudes circule dans les médias. Est-ce que les adultes que vous croisez dans vos interventions, les profs par exemple, ont pris la mesure du phénomène ?

Aliya : Sur 10 professeurs rencontrés, 4 ou 5 m'ont semblé largués par rapport aux pratiques. La semaine dernière, j'étais en intervention aux Essarts, en Vendée, et quelques profs ont assisté à mon témoignage dans lequel j'évoque les notions d'amour, de consentement et de pornographie. Quand j'ai parlé avec les profs, certains étaient scandalisés par mes propos. Ils pensaient que les collégiens ne connaissaient pas tout ça et que ça allait les choquer. Les enfants avaient entre 13 et 14 ans, et ils pensaient que c'était une conversation que l'on ne pouvait pas avoir avant 15 ans. Je leur ai donc appris que la moyenne du premier visionnage de film porno était aux alentours de 9 ans. J'ai eu cette réaction avec des parents aussi. Ils trouvent généralement mon histoire choquante, mais estiment que leurs enfants ne pourraient jamais faire la même chose. Pour eux, c'est toujours une exception. Ils ne veulent pas savoir, cela leur paraît totalement démesuré. Pourtant, pour les jeunes d'aujourd'hui, c'est tristement commun.

Cette histoire vous est arrivée il y a 6 ans. Or, les pratiques sur le Web évoluent très rapidement. Qu'est-ce qui a changé dans la mentalité des jeunes sur ce laps de temps ?

Aliya : Quand ça m'est arrivé, je me souviens des réactions choquées et de la sidération. On venait me voir pour me demander « mais pourquoi tu as fait une chose pareille ? » J'avais aussi cette impression d'être seule, que personne n'avait vraiment vécu ça. Je sais que c'est trompeur, car on se sent toujours seul dans ces moments-là, mais à cette époque, on n'entendait pas encore parler de revenge porn ou de cyberharcèlement à caractère sexuel. D'ailleurs, les lois qui encadrent ce genre de problèmes sont arrivées après 2016. À présent, je n'explique même plus ce que sont les nudes en classe, sinon je passe pour une ringarde auprès des jeunes. C'est vraiment entré dans les mœurs. Dans les lycées où je suis intervenue, j'ai été surprise d'entendre des filles qui parlaient de ces photos comme d'une forme de libération du corps de la femme. Le nude est considéré comme de l'art, un acte politique et féministe. J'ai moi-même été super étonnée de voir qu'on était passé d'une forme de harcèlement à une forme de libération. Sur le principe, je suis d'accord qu'on fait ce qu'on veut de notre corps, mais quand on connaît les conséquences, je ne suis pas certaine que cela soit une bonne idée.

Le confinement a-t-il été un point de bascule dans cette normalisation ?

Aliya : Je pense que c'était normalisé avant la pandémie, sans que personne ne prenne vraiment conscience du problème. Le confinement a peut-être accéléré le phénomène, mais les pratiques étaient déjà en place et valorisées par des influenceurs qui parlent de sexualité sur Instagram tout en se revendiquant féministes. On a un discours déculpabilisant sur le revenge porn ce qui est plutôt positif vis-à-vis des victimes, mais personne ne veut qualifier cette pratique de dangereuse. On entend d'ailleurs souvent de la part de ces influenceurs qu'il faut prendre des précautions comme le fait ne pas filmer sa tête pour éviter d'être identifié par d'autres personnes. En ce qui me concerne, c'est exactement ce que j'avais fait et pourtant, ça n'a pas empêché tout le collège d'être au courant. La rumeur et la possibilité de faire des rapprochements entre les photos et ce que les autres peuvent voir de mon corps en cours de sport par exemple ont suffi pour me faire harceler.

Est-ce que votre témoignage leur permet de changer de perception ?

Aliya : Les réactions sont mitigées. Mon histoire est glaçante la plupart du temps et permet à pas mal de jeunes de s'apercevoir des conséquences désastreuses que peuvent avoir les nudes. Mais on me rétorque aussi que j'ai pu m'en sortir et que j'ai même gagné en visibilité médiatique. En gros, j'ai percé et c'est ce qu'ils retiennent aussi. J'ai même rencontré une collégienne qui m'a dit qu'elle enviait ma situation et espérait qu'une chose pareille puisse lui arriver. Ça me fait me poser constamment la question de l'impact que je peux avoir sur les jeunes en fin de compte. Je vois aussi que cette histoire de harcèlement peut être instrumentalisée. J'ai eu plusieurs propositions pour intervenir sur le plateau de TPMP ou bien pour témoigner du harcèlement aux côtés de Magalie Berdah. J'ai préféré décliner.

Dans le podcast, vous revenez sur Habbo 6 ans après et vous observez que les choses n'ont pas changé. On vous envoie même une dick pick très rapidement. Pensez-vous que les choses peuvent changer ?

Aliya : Je rigole souvent quand on me dit qu'il y a de la modération et que tout est fait pour protéger les jeunes. On nous dit qu'en tant que mineurs on ne peut pas envoyer notre adresse mail ou notre numéro de téléphone ou nos liens Snapchat. En fait il suffit de changer l'ordre des lettres pour faire de l'algospeak, ou d'envoyer des phrases divisées en plusieurs mots ou phrases séparées pour devenir invisible aux yeux de l'algorithme.

Que faudrait-il faire selon vous pour améliorer cette situation ?

Aliya : Il faudrait surtout prévenir les jeunes des dangers qu'ils peuvent rencontrer sur les réseaux et peut-être limiter leur accès à des smartphones pouvant envoyer des photos. Après il faut convenir qu'Internet est aussi intéressant pour les ados, car c'est un endroit où l'on peut échapper à son milieu social sans faire face aux jugements habituels. Si je suis allée sur Habbo en premier lieu, c'était pour échapper aux harcèlements et aux critiques sur mon physique que je subissais au collège. Sur cette plateforme, j'étais un avatar et je pouvais parler avec des garçons tout en me sentant protégée par l'écran. Cette sensation de protection est très agréable pour les ados, mais aussi trompeuse et c'est sans doute là-dessus qu'il faudrait insister.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.
commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    "on prit" la mesure du phénomène ? Je saigne des yeux

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