La recherche de validation extérieure aurait-elle laissé la place durant les confinements à celle de la validation intérieure ? Plus centrées sur elles-mêmes et leur entourage proche, les femmes ont en tout cas de nouvelles aspirations.
À l’image de l’héroïne du roman d’Ottessa Moshfegh Mon année de repos et de détente, les Françaises sortent tout juste d’une longue hibernation forcée. Pendant deux ans, elles ont été contraintes de restreindre leurs sorties, leurs voyages, leurs dépenses…
Alors qu’un retour à la normale s’amorce peu à peu, quelles aspirations se dessinent pour elles ? Quels sont leurs projets, leurs envies, leurs priorités ?
À en croire une récente étude de Prisma Media Solutions réalisée auprès de plus de 600 femmes âgées de 25 à 65 ans, les consommatrices féminines ont largement changé. Ce qui était valable il y a cinq ans ne l’est plus. Fini, l’envie de sorties à outrances, de promotions sociales et professionnelles à ne plus en finir. Place au soin de soi, sans compromis, sans limite, à l’authentique et au recentrage sur l’essentiel. Il n’est plus question de négocier son plaisir, et encore moins de le faire passer au second plan…
Génération désenchantée
Un terme pourrait résumer à lui seul le ressenti général : la fatigue. Plus de neuf mois après la fin du dernier confinement, 68 % des femmes âgées de 35 à 55 ans se disent encore épuisées mentalement. Elles ont perdu en concentration, en sommeil, en santé physique et mentale…
Les enjeux qui avaient marqué la fin des années 2010, comme le changement climatique ou les droits des femmes avec le mouvement #MeToo, ne sont pour elles plus des priorités. Elles ne sont plus que 36 % à se décrire comme investies dans les enjeux de société et solidaires. Entre les injonctions à être « woke » et « green », celles liées au travail ou à la vie quotidienne, le Covid, l’inflation des matières premières ou la perspective d’une guerre en Europe, l’heure est au désenchantement… et à la survie.
Beaucoup ont opté pour des stratégies de repli par le décrochage, de retrait de la sphère publique. Au travail par exemple, elles n’hésitent plus à s’absenter, refuser une jolie promotion qui empièterait trop sur leur vie personnelle, voire à démissionner. Comme si le mouvement de la « grande résignation » né aux États-Unis – en mars 2022, pas moins de 4,5 millions d’Américains ont ainsi quitté leur emploi – avait fini par déteindre sur l’Europe. 43 % des femmes de plus de 35 ans interrogées disent investir moins leur travail depuis la crise du Covid. Chez les 25-34 ans, ce chiffre grimpe même à… 53 %.
Le retour au concret séduit plus que l’idée de métavers
Si la fatigue et le désinvestissement sont partagés entre toutes les catégories d’âge, on ne peut pour autant parler de résignation. 73 % des femmes restent ainsi optimistes sur elles-mêmes.
Pour le comprendre, il faut visualiser la société comme deux mondes qui se complètent. Il y a d’un côté le macro-monde : les enjeux de société, la politique, les élections, le changement climatique, l’inflation ou le conflit en Ukraine… Autant de choses sur lesquelles elles se sentent bien souvent impuissantes.
Mais il reste parallèlement le micro-monde. Ce cocon, c’est celui de la famille, de la maison, le temps pour soi, pour ses loisirs ou sa santé mentale.
Alors qu’on entend dans les médias parler du succès à venir des métavers, ces espaces virtuels dans lesquels on pourrait échanger avec d’autres personnes comme dans un café en ligne, la réalité est tout autre. Celles qui le peuvent ne veulent pas s’échapper de la réalité, mais au contraire s’y reconnecter : retrouver un pouvoir tangible, à leur portée et concret, rester dans le monde premier pour y gagner en qualité de vie. « Cette qualité, elle n’est pas dans les réseaux, les écrans ou le virtuel, résume Jean-Emmanuel Cortade, fondateur de l'Institut StoryMind, mais au contraire dans la déconnexion, la protoverse. » « Le métavers ne sera essentiellement qu’une roue de secours pour celles et ceux qui n’ont pas les moyens de gagner en qualité de vie dans ce monde premier et non virtuel. »
Mais alors, que faire face à ces constats ? Pour sortir de la morosité et se reconnecter à leurs envies, les femmes se retrouvent dans plusieurs grandes stratégies de résilience.
Osez le réconfort, il revient au galop
Certaines adoptent une attitude « safe drive », c’est-à-dire la recherche de réconfort. Si le monde est profondément anxiogène, autant se dorloter dans son cocon. La famille est l’un des thèmes majeurs qui est remonté dans l’étude. Le fait d’être mère, de s’investir davantage dans l’éducation de ses enfants et de passer plus de temps avec eux semble être devenu un moyen de prendre soin de soi. Dans la même veine, l’habitat domestique a été replacé au centre des préoccupations. Les personnes interrogées estiment qu’elles passent environ 80 % de leur temps libre… chez elles. Jeux, loisirs créatifs, jardinage, décoration et soin de soi : elles réinvestissent peu à peu le temps libre casanier, fuyant un extérieur angoissant.
Le réconfort peut aussi passer par la nostalgie, avec le grand retour des années 80 et 90, qui font même fantasmer les générations qui n’ont pas connu cette époque. Le temps est (re)venu de binge-watcher Friends ou Matrix, d’écouter Depeche Mode en boucle ou de s'égosiller sur les meilleurs tubes d’Indochine.
Pour les marques, on attend d’elles qu’elles véhiculent des images apaisantes, en rapport avec l’enfance, la famille et la nostalgie donc, mais aussi avec celle d’une France unie et apaisée. Le Made in France, qui permet de sécuriser les emplois et soutenir une économie locale, est largement plébiscité par 71 % des 35 à 55 ans. Les femmes souhaitent aussi plus de transparence, d’honnêteté, de bons prix et d’aide au quotidien de leur part.
« Il est interdit d’interdire » : l’heure est à la liberté et à l’affranchissement des contraintes
La deuxième stratégie de résilience pourrait être résumée par le titre d’un ouvrage de Fabrice Midal, l’un des pontes de la méditation en France. Il écrivait en 2017 un livre devenu best-seller, intitulé Foutez-vous la paix ! et commencez à vivre.
Les femmes en effet, veulent se sentir libres, s’affranchir des contraintes et des obligations. « La priorité n’est plus de s’investir au travail ou dans des combats sociaux, mais de rompre avec la bien-pensance, et même ce qu’on pourrait qualifier de bien-surveillance », note Jean-Emmanuel Cortade.
On ne tient plus tellement à être bobo et suivre les tendances. Les femmes veulent surtout qu’on leur fiche la paix, une bonne fois pour toutes. Qu’on ne surveille plus ce qu’elles portent, ce qu’elles pensent, ce qu’elles disent. Elles sont uniques, singulières, et fières de l’être. Côté mode et beauté, elles veulent cultiver leur style personnel, et retrouver cette diversité dans le marketing. Plusieurs citent en guise d’exemples les dernières campagnes de Darjeeling #CommeJeSuis ou Always.
Devenues expertes pour débusquer le mensonge, les consommatrices demandent à voir les femmes telles qu’elles sont, assumant leur corps, leur âge, et leurs « imperfections ».
L’envie de liberté et d'émancipation se matérialise aussi via le temps pour soi ou les voyages en solo. Les femmes mariées ou avec des enfants se dégagent désormais davantage de plages horaires de tranquillité absolue, et partent au bout du monde seules avec elles-mêmes. C’est leur « Chambre à soi », dans laquelle elles alimentent « l’énergie de la renaissance », note Jean-Emmanuel Cortade. Toutes ne veulent plus de la « slow life » dont les médias faisaient l’apologie il y a quelques mois encore. Forcées à l’adopter malgré elles durant deux ans, cette vie au ralenti douce et cotonneuse ne fait plus toujours envie. Certaines veulent de la nouveauté, respirer, vivre pleinement à nouveau.
Dans la publicité, on observe déjà les prémices de ce changement. Ainsi, la publicité ayant le plus d’impact selon une étude était la dernière annonce pour le parfum Miss Dior. Dedans, on martèle un message simple : « Wake Up », ou « réveille-toi ». Révélateur, non ?
Côté médias, chez Bien dans ma vie by Femme Actuelle par exemple, les rubriques ont été entièrement repensées pour prendre en compte ces enjeux, mettre en avant le positif, le plaisir, la liberté de choisir et l’épanouissement de soi. Leurs nouveaux noms, « s'épanouir - profiter - optimiser - respirer » symbolisent cette nouvelle identité. On retrouve des articles autour des thématiques évoquées, comme « S’épanouir : 10 méthodes qui peuvent m’aider » ou « Dire non, c’est retrouver la liberté ! »...
Le grand paradoxe du bien-être
Les femmes interrogées partagent également l’envie d’une vie saine, au niveau de leur corps mais aussi et surtout concernant leur santé mentale. Mais cette recherche de bien-être cache un grand paradoxe.
Dans l’étude de Prisma Média Solutions, la préservation de l’environnement arrive bien loin derrière la qualité de vie et la santé en matière de priorités. Sauf que ces enjeux sont finalement connexes : préserver la planète confère, à terme, bien-être et santé…
Reconnecter ces enjeux est donc essentiel. Via l’incarnation peut-être, en montrant davantage les coulisses d’une marque, ou, pourquoi pas, grâce au rire ? Certes, on aimerait pouvoir passer au zéro déchet, faire ses produits ménagers maison, ne plus prendre l’avion, alimenter sagement son compost, acheter local, rouler au vert et ne plus jamais acheter une crème qui fasse rougir l’application Yuka.
Mais dans la réalité des faits, le compost sent mauvais, et personne ne veut voir de petits vers grouiller dans un coin de sa cuisine. Les enfants veulent parfois des bonbons qui piquent, des jouets en plastique et du dentifrice à la fraise, et vous avez le droit de craquer sur un masque à usage unique qui ne soit même pas bio une fois de temps en temps. Tout le monde oublie ses tote bags en tissu, acheter une voiture électrique, c’est chic, mais ça coûte cher, et voyager en train, c’est sympa, mais on souffre quand même un peu au bout de six heures de trajet par 35 degrés… Bref, il serait peut-être temps de dédramatiser, de souffler un bon coup, et de rappeler que personne n’est parfait, y compris dans les médias et la publicité.
Vous l’aurez compris, le plaisir n’est aujourd’hui plus négociable. Oui aux efforts, tant qu’ils nous apportent un bénéfice direct. Oui au temps libre à foison, mais on ne le passera plus devant la télévision, mais plutôt en couple, entre amis ou en famille, autour d’un bon jeu de société, si possible acheté d’occasion, avec des chips pas bio. On assiste globalement à une vraie inflexion des priorités. La volonté de bien faire demeure, mais ne prend plus le pas sur le plaisir, tous champs confondus…
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