une battle royale dans un aéroport

Comment le Battle Royale devient le modèle dominant de l’entertainment

© Michou

De Michou à MrBeast, les vidéos de divertissement diffusées sur YouTube reprennent constamment le genre du Battle Royale. Chacun doit se battre pour sauver sa peau, seul contre tous. Un modèle qui pourrait sortir des cases de l’entertainment pour être adapté dans la vraie vie ?

« Bienvenue dans Terminal. Aujourd’hui, vous allez voir 16 de vos créateurs préférés s’affronter dans un Battle Royale grandeur nature. » Posté le 7 septembre sur YouTube, Terminal est le concept de rentrée qu’il ne fallait pas rater. Le principe est limpide : pendant 48 h, 8 équipes de créateurs de contenu doivent survivre dans un aéroport désaffecté. Ils doivent trouver des rations de survie, de l’eau, des moyens de se défendre, mais surtout se cacher des traqueurs, des hommes armés qui les cherchent partout. Une balle (en plastique) reçue égale une élimination du jeu et, à la fin, il ne doit évidemment en rester qu’un.

Inspiration des jeux vidéo

Lancé en grande pompe avec une diffusion en avant-première dans quelques cinémas, Terminal se veut une « superproduction » de créateurs, dans la même lignée qu’un kaizen d’InoxTag. Et si les moyens techniques sont clairement au rendez-vous, le format même de l’émission a un goût de déjà-vu. Michou avait déjà exploité cette idée de combat à mort dans deux autres vidéos en l’espace de 4 ans. Même chose pour Amixem, 5 ans plus tôt, qui avait profité d’un partenariat avec la marque de jouets Nerf pour mettre en scène des créateurs et des internautes se tirant joyeusement dessus. Derrière ce concept, on retrouve la même dénomination : Battle Royale.

Dans le gaming, le format du Battle Royale a aussi remporté de gros succès. Durant le confinement, le jeu vidéo de tir Fortnite, créé en 2017, a passionné les plus jeunes avec ce format de bataille du « seul contre tous ». À l’instar des jeux du même genre – Unreal Tournament, DayZ ou PUBG –, Fortnite Battle Royale demande au joueur d’être le dernier survivant parmi 100 joueurs sur une île. Pour pimenter le niveau de stress, durant chaque partie, la zone jouable rétrécit progressivement et de manière aléatoire.

Si l’affiliation au gaming est clairement revendiquée par les créateurs français, il s’agit en fait d’une approche très restreinte quand on compare aux contenus similaires créés outre-Atlantique, et notamment la série du plus grand youtubeur du moment : MrBeast.

Ça se passe comme ça, chez MrBeast

Une salle gigantesque comportant 10 rangées de 100 carrés lumineux. Sur chacun se tient un candidat prêt à (presque) tout dans l’espoir de gagner 5 millions de dollars. C’est sur cette image délirante que commence Beast Games, 10 épisodes diffusés sur Amazon Prime en février 2025.

Avec une production record – 100 millions de dollars de budget et une logistique colossale – et 1 000 participants, il s’agit du plus gros jeu télévisé de tous les temps. Mais, au-delà de ce gigantisme si caractéristique de son créateur MrBeast, le plus gros youtubeur du monde – 383 millions d’abonnés –, les internautes ont été choqués par la cruauté du show. Car les mécaniques d’élimination reposaient moins sur la force, l’astuce ou même la chance… que sur la torture psychologique.

Quand le big deal tourne au carnage

Dès le premier épisode, la couleur est donnée. Un million de dollars sera partagé entre les candidats à une seule condition : qu’ils acceptent d’abandonner le jeu. Une cinquantaine fera ce choix. Pour l’épreuve suivante, une personne de chaque rangée doit se sacrifier, sans aucun gain, pour permettre aux 99 personnes restantes de continuer l’aventure.

Résultat : un chaos où tous les candidats hurlent pour inciter leur voisin à se sacrifier. Certains acceptent, les larmes aux yeux, et appuient sur un bouton avant d’être avalés par la trappe dissimulée sous leurs pieds. À la fin du compte à rebours, les rangées qui n’ont pas trouvé de personnes à sacrifier s’illuminent de rouge, toutes les trappes s’ouvrent et engloutissent des centaines de personnes en quelques secondes.

On est bien loin des parties de ball-traps rigolotes mises en scène chez les Français. Beast Games joue sur un autre registre : un nombre massif de candidats éliminés arbitrairement, avec une bonne dose de cruauté. De quoi créer une sorte de dystopie qui enchaîne des gros plans de personnes en larmes. Mais cette mécanique aussi vient de loin.

Tous contre tous

Pour créer son émission hors norme, MrBeast s’est moins inspiré des jeux vidéo récents que de la série au succès international Squid Game. Le youtubeur avait déjà réalisé une vidéo de 25 minutes intitulée Squid Game dans la vraie vie, dans laquelle 456 jeunes Américains très motivés tentaient de gagner un prix de 1,5 million de dollars. Comme dans la série de Netflix, les participants étaient soumis à des défis en apparence enfantins – le saut à la corde ou « 1, 2, 3, soleil » –, mais redoutablement éliminatoires. La série coréenne est elle-même l’héritière d’une longue exploitation du genre du Battle Royale. En 2012, la saga The Hunger Games usait des mêmes ressorts : un groupe de personnes s’entretuant dans un spectacle organisé par des ultrariches dans une Amérique du Nord postapocalyptique et fasciste.

Et si l’on remonte encore douze ans en arrière, on retrouve le même concept dans le film japonais Battle Royale de Kinji Fukasaku, adapté en 2000 du roman éponyme de Kōshun Takami. Ici, on suivait une classe de lycéens forcés de participer à un combat à mort très semblable à un jeu vidéo, dans un Japon lui aussi dominé par un régime autoritaire. Toutes les œuvres qui s’approprient le concept du Battle Royale interrogent les pouvoirs autoritaires, le rôle délétère et toxique de l’argent qui pousse les individus à la soumission et à toutes les formes de crime. Rien d’étonnant quand on connaît l’histoire des véritables « Battles Royales » qui se sont déroulées dans le sud des États-Unis pendant la période de l’esclavage, mais aussi après son abolition?

Ces combats, organisés par les riches propriétaires terriens, mettaient en scène une centaine de combattants noirs, parfois attachés les uns aux autres, qui devaient se taper dessus jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un. Le vainqueur de ce jeu cruel pouvait espérer gagner sa liberté et 500 dollars. Le second finaliste était récompensé avec une pastèque. Les racines particulièrement violentes et racistes de ces combats ont sans doute inspiré l’angle critique des œuvres qui les remettent en scène.

Mais cet aspect-là semble complètement oublié par les créateurs de contenu comme Michou ou MrBeast. Le premier se concentre uniquement sur l’aspect ludique de la chasse à l’homme, tout en gardant une barrière morale : ce sont uniquement des créateurs de contenu qui participent dans le but de fournir du divertissement, sans réel enjeu pécuniaire. Du côté de MrBeast, les choses se gâtent un peu. Non seulement le youtubeur dépolitise le propos du Battle Royale, mais il prend aussi son modèle d’exploitation cynique au premier degré. Les participants sont généralement là pour gagner de grosses sommes d’argent, avec parfois des enjeux de survie sociale ou de santé à la clé. Face à ces concurrents qui tentent le tout pour le tout, MrBeast se complaît dans un rôle de pseudo-méchant annonçant à qui veut l’entendre que « la prochaine épreuve sera encore plus cruelle ».

De la téléréalité à la réalité tout court

Les Beast Games sont entrés dans l’histoire comme le show télévisé de tous les records. Mais son succès a été relativement mitigé. Amazon a triomphalement affiché 50 millions de vues au cours des vingt-cinq premiers jours de diffusion de la série sur sa plateforme, prenant notamment la première place des séries non fictionnelles. Sur YouTube, les trois premiers épisodes ont respectivement fait 42, 39 et 14 millions de vues.

Ces chiffres sont impressionnants. Toutefois, comparés aux résultats de la chaîne YouTube de MrBeast, on est loin du compte. Au moment où ces lignes sont écrites, la vidéo intitulée : « Perds 45 kg et gagne 250 000 $ !  » a cumulé près de 153 millions de vues en deux semaines seulement. Quant à sa vidéo Squid Game, elle a atteint 844 millions de vues.

Mais c’est surtout du côté des critiques que les choses se gâtent. Dans la presse et sur YouTube, la série est qualifiée à la fois de « spectacle indigne », de « dystopique », mais aussi de show « tiédasse », voire de « flop ». De nombreux commentateurs s’indignent d’une série se limitant à éliminer de la manière la plus expéditive possible un grand nombre de candidats auxquels personne n’a vraiment eu le temps de s’attacher.

Mais n’allez pas croire que ce demi-échec signe la fin du Battle Royale. En mai 2025, Kristi Noem, secrétaire à la Sécurité intérieure et responsable des opérations d’expulsion du Pentagone, a indiqué qu’elle envisageait de faire gagner la citoyenneté américaine aux immigrants en les faisant participer à une série d’épreuves télévisées. D’après l’idée originale du producteur Rob Worsoff, les participants visiteraient Ellis Island, rejoueraient la ruée vers l’or de la Californie ou bien intégreraient une chaîne de montage automobile à Detroit. Et à la fin, il n’en resterait qu’un.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire