un homme à moustache devant un micro de radio

L'histoire incroyable des « débats de Gérard » ou comment Fun Radio a bousculé les codes de la célébrité

© Fun Radio via YouTube

Dans son livre Le con de Minuit, le journaliste Thibault Raisse revient sur l'histoire de Gérard Cousin, invité et souffre-douleur régulier de l'émission Star System. Une réflexion qui interroge la starification de certains personnages du Web.

« Je vous préviens, si ce bordel continue, j'arrête l'émission, c'est clair, net et précis. » Dans le courant des années 90, cette phrase hurlée de manière répétitive à l'antenne de Fun Radio a fait ricaner des centaines de milliers d'adolescents. L'homme qui éructait dans le micro deux à trois jeudis par mois, entre minuit et deux heures du matin, était alors une célébrité, une légende. Il s'agissait de Gérard Cousin, dit Gérard de Suresnes, un ex-routier vivant des minima sociaux qui s'était fait connaître en déclamant des poèmes dans l'émission de libre antenne la plus écoutée du moment, Star System de l'animateur Max.

Au fil du temps, Gérard est devenu un habitué, au point de venir régulièrement dans les studios animer des débats autour de sujets très variés – le couple, les étoiles ou les slips sales. Seulement voilà, le poète ne se rend pas compte qu'il a été placé au milieu d'un gigantesque canular, un "dîner de cons" radiophonique dont l'objectif est de le faire sortir de ses gonds, état que les auditeurs ainsi que l'équipe d'animation de Fun Radio arrivent à déclencher à chaque fois. Tout y passe : des questions absurdes aux insultes directes, en passant par des moqueries autour de son hygiène, de son manque de culture générale ou de ses histoires d'amour. Entre 1996 et 2002, Gérard Cousin va animer plus de 200 débats qui vont systématiquement dérailler, obtenant une moyenne de 200 000 auditeurs, un très bon score pour l'époque.

Une star de la radio morte dans la solitude

C'est cette histoire incroyable, très typique des années 90, que Thibault Raisse raconte dans son ouvrage Le con de Minuit (Denoël). Spécialisé dans les enquêtes au long cours (il s'est fait connaître en participant à l'enquête sur Xavier Dupont de Ligonnès, publiée dans Society), le journaliste a mené une investigation de plus de quatre ans comprenant des dizaines d'interviews réalisées dans toute la France et des milliers d'heures d'archives audio et de vidéos. Motivée par la nostalgie — il était lui-même auditeur de ces débats — mais aussi par la mort prématurée de Gérard en 2005 il s'est lancé dans l'écriture de cette biographie. « J'ai découvert qu'il avait été enterré dans le carré des indigents, explique-t-il. J'ai voulu comprendre comment celui que j'imaginais, dans ma tête d'adolescent comme une vedette avait pu finir enterré dans la misère et la solitude la plus absolue. » Même pour ceux qui n'ont pas connu les années Star System, l'histoire racontée dans Le con de minuit est très touchante. Cet enfant de la DASS, maltraité émotionnellement par sa mère, a trouvé dans cette aventure cruelle et cette notoriété ambiguë une parenthèse enchantée.

Comment un tel canular a pu se mettre en place ? Au milieu des années 90, Star System reflète parfaitement l'esprit punk de l'époque. « C'est un peu la caricature des émissions de radio libre qui ont connu leur envol dans les années 80, explique Thibault Raisse. Ces émissions avaient souvent lieu en soirée et bénéficiaient d'une liberté de ton totale, inspirée du modèle d'Howard Stern aux États-Unis (animateur de radio autoproclamé "roi de tous les médias", au style hyperprovocateur - ndlr). » Franck Bargine, dit Max, surfe sur cette tendance. « La particularité de sa libre antenne, c’était que tout le monde pouvait appeler pour dire tout et n’importe quoi, poursuit le journaliste. Cette spécificité permettait à des personnages excentriques, voire marginaux, que d’autres radios auraient écartés, de s’exprimer librement. Gérard de Suresnes faisait partie de ces énergumènes, et il a pu émerger grâce à cette ouverture. Ces personnages étaient passés en priorité, parce que Max trouvait que, dans cette anarchie, ce côté punk et trash, c’était amusant d’avoir des gens qui n’avaient pas forcément les codes culturels et sociaux pour s’exprimer sur une radio nationale. »

L'ère des freaks

Cette logique préside aujourd'hui sur le Web qui, lui aussi, fait naître de ces monstres de foire. Que ce soit Nikocado Avocado, le youtubeur qui s'humilie en s'empiffrant, ou la tiktokeuse Morgane Makeup, qui met en scène (ou simule, les choses ne sont pas très claires) un retard mental, le processus est le même que pour Gérard. Ces freaks explosent les normes médiatiques et suscitent immédiatement attention, mais aussi moqueries et haine. La seule différence entre les années 90 et notre époque, c'est que les freaks s'autoproduisent sur les réseaux, tandis que Max avait dû mettre en place tout un système pour entretenir ces faux débats. « Tout le monde à la radio était complice, indique Thibault Raisse. C’était vraiment orchestré. Les auditeurs étaient dans la confidence, personne n’appelait pour débattre sérieusement du sujet proposé. Même l’équipe autour de Gérard participait : le standardiste, le réalisateur… Ils avaient pour mission de "faire bouillir la marmite". »

Plusieurs stars comme Thierry Ardisson, Cyril Hanouna, Jean-Paul Rouve, Franck Dubosc et même Jean-Luc Delarue participeront à cette farce. Par ces moments d'hystérie, Gérard a pu accéder à une forme de célébrité, même si cette dernière reste à nuancer. « C’était une célébrité "underground", précise l'auteur. Pour les auditeurs de Fun Radio et les habitués des débats de Gérard, il était une figure incontournable. Mais en dehors de cet univers, sa notoriété restait limitée. Il n’a pas accédé à la célébrité de manière conventionnelle, comme on l’entend habituellement. Pour lui, les débats représentaient surtout une évasion, un moment où il pouvait être quelqu’un d’autre, où il avait une voix et une place. Mais dans sa vie quotidienne, cela n’a pas vraiment changé les choses. »

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    être célèbre parce qu'on est moqué par une horde de personnes, ça s'appelle être harcelé non ?

  2. Avatar Anonyme dit :

    Adolescent à l'époque j'étais fan de ces "débats", maintenant adulte je trouve que c'était un jeu bien cruel...

  3. Avatar Anonyme dit :

    Ahhhh le star système : Gérard,Françoise,Amédée le quiqui donc? Jacky les croissants chauds...
    J'avais 13 ans et j'écoutai toutes ces bêtises en secret dans mon walkman.
    Des pur moments de bonheur à l'époque.
    Triste pour Gégé.

  4. Avatar suceuse dit :

    en fait c'est le truman show

  5. Avatar tenar dit :

    C'est très très glauque avec du recul, pourquoi croyez vous que Max est le seul absent du livre...

  6. Avatar Tony dit :

    Le type etait un Sale egoiste vivant des allocs, ignare d'une inculture crasse et avec aucun desir de s'ameliorer, seulement en recherche de succes facile et sand efforts, bref le gars etait le prototype de ce qu"allait devenir 25 ans plus tars le francais moyen... de nos jours millenium et gen z sont tous des gerards. Visionnaire sand le vouloir le gars.

  7. Avatar Antoine Block dit :

    Je susi d'accord avec plusieurs commentaires qui dénoncent du harcèlement. Même si les "débats de Gérard" ont été de grands moments de radio, c'était en réalité très cruel. Exploiter la naïveté et le dénuement d'un marginal pour faire de l'audience, ce n'est vraiment pas fameux.
    Je serais curieux de savoir ce qu'en pense Max aujourd'hui, avec le recul. Et surtout Manu...
    Le type est mort dans la misère, sans aucune aide concrète de la part d'une radio qui avait trouvé un bon filon pour pas cher.

  8. Avatar Grâce dit :

    C'est minables. Abuseurs auraient pu lui offrir un enterrement décent Bravo les inhumains

  9. Avatar Grâce dit :

    Il faudrait que vous les passiez les commentaires ?

  10. Avatar dodo al faillite dit :

    Sérieux vous êtes des haineux, à lire vos commentaires aigris, c'etait une émission unique faite de délires, gérard etait con comme un manche a balai et adorait venir a la radio, le reste, il s'en foutait, il etait clochard dans l'âme, ce que vous pigez pas avec vos commentaires débiles. évidemment certains se moquaient mais il s en tamponnait, il aimait cette célébrité et si c'etait à refaire il aurait signé de suite, vous êtes vraiment fermés mes pov' gars,vous vous donnez bonne conscience, et vous mêmes ,êtes vous exempts de critiques devant vos voisins? vos collègues de boulots sur lesquels vous vous ressuyez les pieds a longueur de temps? cette emission refletait une époque, alors cracher aujourd'hui ,c'est un peu de la ringardise... les débats de gégé c est unique et ça le restera, les aigris comme vous vous aimez pas , allez voir ailleurs tout comme le mec qui a écrit ce livre..

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