
En mêlant imagerie IA grotesque et désacralisation de l'image présidentielle, Donald Trump a fait de la communication politique un terrain d’expérimentation où seule compte la domination du bruit médiatique.
Cet article est la première partie d'un cadrage sur les tendances médias de 2026.
Samedi 18 octobre 2025, plus de 7 millions d’Américains sont sortis dans la rue pour rejoindre le mouvement de protestation No Kings contre le trumpisme. Face à ce qui s’avère être la plus grande journée de manifestations du second mandat de Donald Trump, le président a symboliquement répondu en repostant sur son réseau Truth Social une vidéo le montrant en train de bombarder les manifestants avec des tonnes d’excréments liquides.
Toujours plus loin
Ce n’est pas la première fois que le président américain use d’images ou de vidéos que l’on pourrait qualifier de grotesques pour faire sa communication. Depuis plusieurs mois, les comptes de Trump ou de la Maison Blanche postent du contenu douteux, souvent issu des plateformes de génération d’images. Des opposants politiques affublés de sombreros, une version « Studio Ghibli » d’une photo représentant une femme mexicaine pleurant pendant son arrestation ou la fameuse vidéo « Trump Gaza » montrant l’enclave palestinienne transformée en riviera kitsch et dorée. Utilisé comme une arme de sidération, l’usage du slop, mais aussi de mèmes cruels ou vulgaires permet de mettre à bas des décennies de communication politique mises en place par la démocratie libérale. Loin d’être une lubie passagère de l’occupant actuel de la Maison Blanche, cette nouvelle forme de communication va d’ailleurs bien plus loin que la simple réaction politique sur les réseaux.

En 2026, les États-Unis d’Amérique vont célébrer les 250 ans de leur fondation, l’occasion pour Donald Trump de mettre en scène un show dont seuls les Américains ont le secret. Le 14 juin prochain, le jardin de la Maison Blanche accueillera… un match de MMA avec 20 000 spectateurs dans les gradins. Les combattants doivent même sortir directement du Bureau ovale pour rejoindre l’octogone, un trajet hautement symbolique qui sera retransmis en direct. Si l’on se rappelle des liens d’amitié qui unissent Donald Trump au président de la fédération d’arts martiaux mixtes, Dana White, l’étonnement n’est pas vraiment de mise. Cet ancien coach sportif a, depuis 2016, mis son empire sportif et médiatique au service du trumpisme. Reste l’image même que renvoie la mise en avant de ce sport violent et souvent sanglant dans l’un des lieux de pouvoir les plus sacrés du pays.
Communication « méta-ironique »
Pour Matt Klein, responsable de la prospective mondiale chez Reddit, et Rémi Carlioz, directeur de création et fondateur associé de l’agence La War Room, ce spectacle patriotique symbolise à lui seul le changement culturel et médiatique en cours. Dans un long read publié sur le Substack Zine de Matt Klein, les deux spécialistes indiquent que les superlatifs que l’on utilisait pour qualifier cette esthétique du mauvais goût ne sont plus d’actualité. Ce spectacle de MMA ou ces vidéos IA ne sont pas vraiment kitsch, « camp » ou « cringe », car ils ne permettent plus aux spectateurs de mettre en œuvre une forme de distance critique et ironique avec ce qu’ils voient. Ces contenus nous semblent ridicules pour la simple et bonne raison qu’ils intègrent de manière consciente, cet aspect ridicule ou ironique.
Plus que de la post-ironie, qui définit des contenus surfant sur la frontière entre le sérieux et la parodie, cette manière de communiquer peut être qualifiée de « méta-ironique ». Ce concept, né sur 4chan, le forum de la contre-culture web, désigne des messages dont l’ironie a été intégrée et digérée au point où il devient impossible de les critiquer. Le fait de voir Trump chier sur des manifestants sur la bande-son triomphante de Top Gun aurait pu être une forme de satire que n’auraient pas reniée les créateurs de South Park. Le fait que ce soit le président lui-même qui poste ce message pour embrasser cette parodie de lui-même permet de contrer toute critique. On ne peut pas se moquer de ce qui inclut déjà une forme d’automoquerie.
Bienvenue dans la « dashboard culture »
Cette approche crée une rupture avec la distance critique et s'avère profondément anti-intellectuelle mais surtout elle commence à dominer le paysage médiatique. Pour Klein et Carlioz, ce nouveau paradigme porte un nom : la « dashboard culture ». En effet, s’il est devenu impossible de critiquer le contenu posté par le pouvoir, les seuls éléments qui sont vraiment pris en compte restent le bruit médiatique qu’il provoque. Ce bruit se mesure sur les réseaux sociaux aux nombres de likes, de commentaires et de vues générés. Cet engagement, souvent quantifié sur les dashboards des plateformes sociales, est le but à atteindre. Peu importe la substance du message, peu importe la vérité ou le mensonge qu’il colporte, il faut occuper le centre de l’attention et subjuguer les audiences tout le temps, sans arrêt. Comme l'indique Apolline Guillot, rédactrice en chef de Philonomiste, Trump se nourrit de l'indignité qu'il provoque et fait dans le même temps une démonstration de pouvoir brut, sans dignité, mérite ou réelle compétence. C’est ce que le philosophe Michel Foucault appelait aussi « la souveraineté grotesque », une manière de gouverner outrancière qui a justement pour objectif de manifester un pouvoir qui paraît inévitable.
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