
Les anti-Greta peuvent triompher. Une bonne partie des juniors connaît mal la question du climat et oscille entre indifférence et angoisse. Et les adultes ne les aident pas.
« Mes amis, ils disent qu’ils s’en fichent un peu, du climat, mais je ne sais pas si c’est pour faire leurs intéressants. » Mathis, 14 ans, arrive à la fin de son année de quatrième dans un établissement public de banlieue parisienne. Son engagement pour la planète, il le décrit en ces termes : « je fais des petites choses comme ramasser des papiers par terre ou éteindre les lumières, mais je suis pas super écolo. »
Mathis se situe au point de bascule entre la génération Z, née entre 1997 et 2009, et les enfants de la génération Alpha, nés après 2010. Il fait partie de ces jeunes sur qui reposent nos espoirs pour l’avenir – ceux que nous imaginons volontiers plus éco-conscients, plus engagés, ceux qui sauront mieux que nous prendre soin d’une planète abîmée.
Mais tout comme la génération Z – après Greta Thunberg et les marches pour le climat – s’est avérée pleine de contradictions, la génération Alpha ne rime pas forcément avec génération climat. Abreuvés d’informations anxiogènes et de discours polarisés, beaucoup de jeunes collégiens et lycéens d’aujourd’hui se replient dans le déni ou l’indifférence, faute de se sentir concernés. Et reproduisent volontiers les discours un peu datés des générations précédentes.
Après moi, le déluge
Lorsque Mathis entend le mot « écologie », il pense « recyclage », « tri des déchets », « nature ». Pour Lana, lycéenne dans le Val-de-Marne, c’est « ours polaires » et « Arctique ». À quelques exceptions près (Joséphine cite la « surconsommation », Mohammed « El Nino » ), leurs mots pourraient être ceux des collégiens et lycéens d’il y a dix, voire vingt ans.
Ours polaires, banquise, recyclage – aucune de ces représentations n’est problématique en soi, mais toutes sont datées et leur prévalence dans les représentations des adolescents témoigne d’une éducation qui peine à se hisser à la hauteur de l’urgence. Nous savons aujourd'hui que le recyclage, longtemps présenté comme l’alpha et l’oméga de l’écoresponsabilité par les lobbies du plastique, ne peut être qu’un dernier recours, et que la priorité est à la baisse de la production et de la consommation. Et avant même que les collégiens d’aujourd’hui n’entrent à l’école, les chercheurs alertaient sur le fait qu’ériger l’ours polaire en symbole de la crise climatique nous la rendait étrangère, lointaine, exotique, comme si nous n’étions pas les premiers concernés.
Ces enfants qui auront quarante ans en 2050 et qui connaîtront peut-être une France à + 2,7°C, avec tout ce que cela implique de vagues de chaleur, sécheresses et pénuries d’eau, s’obstinent à reporter le problème à plus tard. « C’est dommage pour les suivants », se désole Mathis. « Moi, ça ira… Mais, pour les autres générations, je suis inquiet. » Même discours pour Joséphine, assise aux abords du lycée Hélène Boucher à Paris XIIe, à l’abri de la pluie : « je ne suis pas inquiète pour moi, mais pour les générations d’après. » Mohammed, élève de troisième pourtant bien informé ( « le prof de techno nous a expliqué qu’il fallait produire moins de plastique car le plastique est fait à partir du pétrole et que le pétrole, y en aura plus en 2050 » ), le dit sans détour : « moi je m’en fiche, car pour l’instant je vis bien ! C’est surtout pour mes descendants à venir, je me sens un peu mal pour eux. » Et qu’importe si en 2050, Mohammed n'aura que 41 ans et que les descendants à venir qui n’auront plus de pétrole, c’est déjà lui.
« C’est un peu un cliché, l’écologie »
« La plupart des gens autour de moi ne mesurent pas les conséquences sur leur avenir », estime Mattéo, élève de première dans la région de Rouen. « Pour eux, l’écologie c’est un peu un cliché, un sujet qui n’est pas pris au sérieux. »
Joséphine fait état de la même apathie parmi ses camarades du lycée Hélène Boucher. « Quand on a fait des débats au lycée sur l’écologie, j’ai senti beaucoup d’indifférence. Pour beaucoup de gens de notre âge, la situation n’est pas alarmante parce que jusqu’ici on a toujours trouvé des solutions. »
Entre amis, l’écologie n’est pas un sujet. « J’ai jamais parlé d’écologie avec mes potes, » avoue Mathis. « Moi non plus », confirme son frère aîné Aymeric, en troisième. Même son de cloche chez les plus âgés : « on en parle ponctuellement, quand on voit une actualité qui nous choque ou des déchets par terre, mais ça reste un sujet d’adulte », explique Mattéo.
Le plus souvent, quand ils en parlent, c’est pour la blague. « L’année dernière, nos délégués avaient parlé de l’écologie dans leurs discours pour se faire élire », se souvient Mathis. « C’était un peu pour rire mais on avait quand même fini par parler des poubelles de la cantine et de la nourriture gâchée. »
« Il ne se passe pas grand-chose »
À l’école, beaucoup reconnaissent que les programmes font désormais la part belle à la crise environnementale et climatique. « En SVT, on a parlé du temps de décomposition des déchets dans la nature », se rappelle Manon, élève de première. Certains évoquent la géographie (« l’Arctique, la fonte des glaces ») ou encore l’EMC (enseignement moral et civique), où Maxime se souvient d’un débat sur la question « faut-il limiter nos libertés pour protéger l’environnement ? ».
Pourtant beaucoup ont la sensation d'être démunis sur le sujet. Mieux informés sur la crise, ils restent dans le flou quant à ce qu'ils peuvent y faire, eux. Éteindre les lumières, trier ses déchets, moins prendre la voiture… La réduction de la consommation de viande, qui peut diminuer l’empreinte carbone d’un individu de 10%, n’est jamais citée. Et même lorsqu'ils connaissent les gestes, ils avouent ne pas être prêts à les mettre en place.
La plupart estiment que dans leurs établissements, « il ne se passe pas grand-chose » en matière d’écologie. Il y a bien des éco-délégués, un ou deux représentants élus dans chaque classe depuis 2020 pour lancer des projets. Mais à leur évocation, les adolescents ne peuvent s’empêcher de pouffer. « Les éco-délégués ? Franchement je ne sais pas ce qu’ils font », rit Mohammed. Pour Maxime, c’est pareil : « On les a élus en début d’année et je n’ai plus jamais entendu parler d’eux. »
Evidemment, la situation varie d’un établissement à l’autre. Joséphine, éco-déléguée depuis deux ans, se souvient des projets de son année de Seconde : « On avait fait des affiches, on était allés à l’Académie du Climat, on avait fait des fresques du climat et organisé des présentations en cours. » Alice, scolarisée au collège Courteline dans le XIIe arrondissement de Paris, raconte à une amie d'un autre collège du même arrondissement que les éco-délégués sont « hyperengagés », qu'il y a du compost à la cantine et des affiches partout. Axel, élève de quatrième, trouve que son collège privé de Neuilly-sur-Seine joue bien son rôle de sensibilisation : il cite les ateliers de ramassage des déchets ou de plantation d’arbres qui y sont organisés régulièrement, auxquels il a déjà participé.
« Pas concernés »
Quand ils parlent de leur futur, les adolescents ont du mal à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent, même si l’inquiétude revient souvent. « Ça me fait peur », confie Mattéo, « mais je ne sais pas très bien comment réagir parce que c’est un sujet complexe. » Maxime, lycéen à Oyonnax, se sent impuissant : « cela me rend triste car j’ai l’impression d’être arrivé un peu trop tard pour changer les choses. » Un sentiment partagé par son entourage : « Quand on en parle en cours, beaucoup disent que c’est trop tard, que ça ne sert à rien d’essayer d’agir », rapporte l’élève de Seconde. Julien, d’un an son aîné, ne nourrit aucun espoir : « nous n’avons aucune chance de sauver la planète, c’est trop tard. »
Beaucoup ne ressentent simplement pas grand-chose. Antoine, élève de première, est de ceux-là : « Je ne saurais pas dire précisément ce que je ressens. Je sais que la situation est inquiétante, mais je ne me sens pas touché directement. »
Pour Maxime, c'est en partie une question d’âge : « On est plus jeunes, on n’a pas encore conscience de tous les enjeux ». Mais l’âge ne fait pas tout : si certains s’en moquent, c’est aussi que l’école peine à leur faire prendre la mesure de la situation, d'après Mattéo. L’élève de première est formel : « il faut tout changer », en commençant par faire vivre le sujet hors des manuels scolaires. « Les élèves, ils voient un sujet en cours, ils pensent que c’est que du cours, donc ils ne se sentent pas concernés. » Même au collège, Mathis le voit bien : « les plus grands du lycée nous disent de pas jeter des choses par terre, mais on voit bien qu’ils répètent juste ce qu’on leur a dit sans être convaincus. »
Pour Mattéo, il est urgent d'« aller chercher les élèves pour organiser des ateliers et des conférences. » Axel aimerait que les actions de ramassage des déchets et de plantation d'arbres deviennent obligatoires : « On a déjà ça mais c’est facultatif; si on faisait des journées obligatoires, ça engagerait plus les élèves. » Quant à Alice, qui en troisième se sent déjà très inquiète pour son futur, participer aux projets mis en place dans le collège lui fait du bien : « C'est bien pour nous forcer à nous préoccuper de l'environnement – enfin, pas nous forcer, mais ça nous entraîne. »
À SUIVRE : le deuxième volet de cette enquête, consacré au regard porté par les enseignants sur la place de l'écologie à l'école.
What a hell ! La parenthèse de Mohamed à Julien est sacrément Punk en fait, une Alpha et Oméga du No Future. Ils sont sacrément lucides les p'tits djeun's ; sans support pas de construction(s), pas d'usine(s)? Pas d'industrie(s)? Pas de génocide(s).
Article très intéressant et sans aucun doute le reflet d'une partie (majoritaire ?) des jeunes de la génération Alpha, mais existe-t-il des études statistiques permettant de quantifier la proportion des jeunes de cette génération dans chacune des attitudes décrites (et leurs variantes), ainsi que dans celles qui ne sont pas (il doit bien y avoir des jeunes activistes, voire extrémistes, et des "jm'en foutistes"...) ? Vous avez peut-être regardé, sans succès ? je pense que les instituts de sondage seraient plus utiles à conduire ce type d'études que de sonder tous les jours nos concitoyens pour savoir comment évoluent les intentions de vote des Français pour les élections européennes, jour après jour. et dont les médias nous abreuvent...
Bonjour,
Il existe quelques chiffres qui semblent confirmer ce type de mouvement.
Mais malheureusement il manque une étude de plus grande ampleur qui serait effectivement pertinente.
Cordialement.
Il est consternant de ne pas voir apparaître le sujet de l'agriculture car c'est à la fois le problème et la solution de la séquestration du carbone et de la gestion de l'eau
Bonjour, C'est effectivement un très bon sujet, mais ce n'est celui de cette enquête.
c'est un article ou une leçon de morale ?
Bonjour,
Il s'agit d'une enquête qui se base en l'occurrence sur le témoignage de quelques collégiens français.
Chacun est libre d'en tirer des conclusions, et elles peuvent être d'ordre moral pour certains.
Cet article s'inscrit dans le cadre d'une série qui fait le point sur notre rapport à la crise du climat.
Cordialement.
Bonjour, non, il ne faut pas baisser les bras, si pour autant l’humanité a fait beaucoup de mal à la planète, il faut tout faire pour ne pas que ce soit pire à l’avenir, même si ça semble compliqué et difficile.
Continuons tous à changer nos habitudes destructrices.
Très bon article
Très bon article
Très intéressant, merci. Je pense que c'est assez représentatif de la réalité. En tout cas, Je retrouve dans votre article des phrases et attitudes semblables à celles de mes élèves.