
Burberry, Chanel, Jean Paul Gaultier, Versace, Prada, Moncler... Au nom de la cause animale, de nombreuses marques ont renoncé à la fourrure animale. C'est aussi le cas du groupe Kering, tandis que LVMH ou Max Mara Fashion Group s'entêtent. Le collectif SIPE les combat et nous raconte comment.
« LVMH, stop killing ! », « Ce n'est pas de la mode, c'est de la violence ! » , « Fourrure torture » ou encore « Max Mara coupable » … Voici quelques-uns des slogans du collectif SIPE - Stop à l'Impunité des Professionnel·les de l'Élevage – un groupe de militantes et militants qui dénonce les pratiques cruelles de la production de fourrure. Comme eux, ils sont des dizaines de groupes en Europe et aux États-Unis à manifester toutes les semaines devant les sièges sociaux et les boutiques des enseignes qui n'ont pas encore renoncé à la fourrure. Leurs cibles actuelles : Max Mara et LVMH. Leur arme : la campagne de pression. Sam (nom d'emprunt), membre du collectif SIPE, nous explique les raisons de son engagement et les modalités d'actions que son groupe mobilise pour atteindre leur objectif final : l’abolition mondiale de la fourrure.
Pourquoi avez-vous rejoint le mouvement antispéciste ?
Sam : J'ai eu une prise de conscience quand j’ai découvert (fin 2015, début 2016) les vidéos de L214 dans les élevages et les abattoirs. En m’intéressant au sujet, j’ai découvert que les autres espèces animales étaient sentientes (sensibilité et conscience de soi). Elles ont la capacité subjective d'éprouver des émotions complexes telles que le plaisir, la souffrance, l'amour, l'empathie, et d'avoir des relations sociales riches et diversifiées… C’est quelque chose qui est caché. Comme l'illustrent les propos de Jean-Paul Bigard, président du Groupe Bigard (Charal) durant la Commission d'enquête de 2016 sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français : « Je n'ai aucun intérêt à ce que le consommateur fasse le lien entre le steak et l'animal. (…) Mon travail consiste en partie à empêcher qu'il le fasse. » Les industriels savent que si les gens font le lien entre un être sensible et sentient et ce qu’ils mangent et qu’en plus ils se rendent compte que ce n’est pas nécessaire (on peut adopter un régime 100% végétal complémenté en vitamine B12), ils auront tendance à se dire que ces souffrances ne sont pas justifiées.
Quelles sont les grandes figures qui vous ont inspirées ?
S. : Quelques-unes se détachent. C’est le cas de Jake Conroy. Un États-Unien qui a participé à la campagne de pression SHAC (Stop Huntingdon Animal Cruelty) entre 1999 et 2006. Elle visait HLS, l'un des plus grands laboratoires d’Europe de test sur les animaux. C'est l’une des campagnes internationales de libération animale les plus puissantes et efficaces dans l'histoire de la lutte antispéciste. Elle a pris fin après des années de répression et l’emprisonnement de certains organisateurs. Jake Conroy était considéré comme une des figures centrales de la campagne aux États-Unis. Il fait maintenant des vidéos et des conférences pour transmettre son analyse stratégique et apprendre à faire des campagnes de pression en évitant les erreurs du passé. J’ai découvert très récemment Melanie Joy, psychologue sociale et militante antispéciste active depuis plus de 20 ans. Elle est surtout connue pour son livre Pourquoi aimer les chiens, manger les cochons et se vêtir de vaches qui introduit le concept de « carnisme ». Elle informe sur les façons saines de communiquer entre militants mais aussi avec les personnes extérieures au mouvement. Elle explique comment éviter de créer de la réactance et des polarisations qui desserviraient notre cause. Mais aussi comment éviter le burn-out militant et se protéger ou guérir des traumatismes qui résultent des horreurs qu’on peut voir dans cette lutte, notamment les vidéos d'élevages et d’abattoirs.
Quels sont vos principaux modes d’actions ?
S. : Nous travaillons actuellement sur deux campagnes de pression : des campagnes militantes avec un objectif atteignable à moyen terme, se composant d’actions répétées. L'idée : mettre la pression sur l'entreprise ciblée de façon directe ou indirecte jusqu'à ce qu'elle accepte nos propositions de changement. Notre principal mode d'action est de créer un maximum de dérangements pour l'entreprise (manifestations bruyantes devant les sièges sociaux, les magasins et les événements, envois d’e-mails, commentaires sur les réseaux sociaux, appels téléphoniques… ), tout en restant (au maximum) dans les limites de la loi pour éviter une répression que notre mouvement ne pourrait pas gérer. La campagne ciblant LVMH (+ de 70 marques) a débuté au niveau mondial en janvier 2022. Celle visant Max Mara Fashion Group (10 marques), en janvier 2023. Elles sont menées au niveau international. On a rejoint celle de LVMH en octobre 2022. On y a vu une opportunité de ne plus être isolés et d’avoir une revendication commune, portée par une galaxie de collectifs. Compte tenu de la taille de l'entreprise on sait que la lutte portera sur plusieurs années.
Pour Max Mara, qu'on envisage comme une campagne à plus court terme, on mobilise énormément d’énergie pour avancer rapidement : actions de dérangement dans les magasins, les sièges sociaux et à l’extérieur des boutiques. Depuis peu, on concentre nos efforts sur la prise de contact avec le siège social tout en maintenant une à deux manifestations chaque semaine. Nous avons notamment commencé à manifester devant les Galeries Lafayette Haussmann où trois de leurs marques sont présentes (Max Mara, Weekend Max Mara et Marina Rinaldi). On appelle presque tous les jours le siège social parisien. On veut discuter afin de trouver un compromis et un échéancier pour l’arrêt de la fourrure. Une fois qu’on aura un engagement public de la marque, on arrêtera nos manifestations. Notre but n’est pas que les actions durent indéfiniment et s’éternisent dans le temps. C’est dérangeant pour eux et ça nous demande beaucoup d’énergie, une énergie qu’on pourrait mettre ailleurs pour faire avancer d’autres choses. Si le mouvement avance aux États-Unis – le site internet de Max Mara US a retiré les produits en fourrure – à ce jour Max Mara Fashion Group, et notamment le siège social principal en Italie, refusent toute discussion.
Pour choisir vos actions, comment prenez-vous les décisions au sein du groupe ?
S. : Au sein du collectif SIPE, nous sommes entre 10 et 20 à être régulièrement actifs sur les campagnes de pression, les manifestations et l’organisation en général. Nous sommes basés en région parisienne et nous travaillons avec d’autres groupes à l’étranger. Beaucoup d’entre nous sont anarchistes. Il n'y a donc pas de hiérarchie, ni de système de pouvoir. On essaye de ne pas recréer les schémas de domination du reste de la société au sein du collectif. Nous n'avons pas non plus de fondatrice ou de fondateur qui ait un statut de pouvoir irrévocable, et le collectif appartient et est dirigé par les personnes qui y militent. Concernant les prises de décisions, hormis les dates de manifestations qui sont décidées à la majorité, on opère généralement par consensus. Chacun s'exprime par rapport à une proposition. S'il y a désaccord, des contre-propositions sont faites jusqu’à l’obtention d’un compromis. À défaut de consensus, on abandonne l'idée et on réfléchit à une autre proposition qui répondrait aux objectifs poursuivis.
Organisez-vous des campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux ?
S. : Selon les chiffres, 90 % de la population seraient contre la vente de fourrure et favorable à son interdiction. Parmi les 10 % restants, seule une faible minorité peut se permettre de s’offrir des manteaux à 1 000 ou 30 000 euros comme on peut le voir chez Louis Vuitton. Les consommateurs et consommatrices sont donc peu nombreux et extrêmement aisés. Par conséquent, on s'investit peu sur la sensibilisation des consommateurs. On préfère orienter notre énergie à faire directement pression sur les entreprises, de sorte qu’elles cessent la vente dans le monde entier, et ainsi impacter des millions de personnes.
L'impact est donc le fondement de votre stratégie ?
S. : On a conscience de ne pas être suffisamment puissants pour remettre en question le système global. Notre but est d’obtenir une somme de petites victoires qui mises bout à bout ont des conséquences directes ou indirectes sur l’exploitation et le nombre de victimes non humaines. Chaque victoire nous rapproche de l’objectif final : l’abolition mondiale de la fourrure. La fin des élevages de fourrure est déjà actée dans plusieurs pays y compris en France, à l’exception des élevages d’espèces domestiquées comme les lapins / lapines. On veut également obtenir la fin de la production, de la vente et de l'import en Europe. Grâce à une initiative qui a récolté 1,7 million de signatures, une proposition doit être examinée par la Commission européenne. Chaque entreprise visée qui s’engage à ne plus commercialiser de fourrure par l'adoption d'une politique anti-fourrure (Fur Free Policy), c’est une pierre en plus à l’édifice.
Dans ce combat, estimez-vous que toutes les forces pour la cause sont bonnes à prendre ?
S. : Pas forcément. Nous adoptons une approche conséquentialiste. On cherche évidemment à avoir le plus de soutiens possibles pour atteindre notre objectif final rapidement, mais nous sommes vigilants. Nous avons été soutenus publiquement par la députée européenne Caroline Roose. Elle semble sincèrement vouloir faire avancer des sujets de justice sociale humaine et non-humaine. Si une personne souhaitait nous soutenir publiquement dans notre combat mais qu’on estime qu'elle est problématique sur d’autres sujets, on ne s'y associerait pas. Les luttes sociales humaines et non-humaines sont entrecroisées à plein de niveaux, et toutes sont importantes. On essaye au maximum de ne pas en faire progresser une aux dépens des autres.
Organisez-vous des actions groupées avec d’autres associations ?
S. : Il faut qu'on soit le plus clair possible dans nos revendications. On fait donc très attention à ce qu’une entreprise comme LVMH comprenne que nous représentons le mouvement anti-fourrure et que nous demandons uniquement l'adoption d'une politique anti-fourrure. En accédant à notre demande, elle sera débarrassée de nous pour un bon moment. Afin de ne pas diluer notre message, on ne fait pas d’actions groupées avec des collectifs qui partagent les mêmes cibles mais ont d’autres revendications que les nôtres. LVMH pourrait se dire que nous avons plusieurs revendications et quand bien même elle accéderait à notre demande pour la fourrure, elle nous aurait toujours sur le dos. Alors que si on est focus sur une seule demande, qui au final ne représente pas un coût énorme pour l’entreprise, on a plus de chance d’atteindre notre objectif.
En termes de coût, quel marché représente la fourrure ?
S. : Nous n'avons pas les chiffres exacts. À l’exception de la Chine et de la Russie, c'est en baisse constante. Mais grâce à des campagnes de pression comme les nôtres, de plus en plus de marques, pays, créateurs et créatrices se sont engagés à ne plus produire, utiliser ou vendre de la fourrure par l'adoption d'une politique interne bannissant la fourrure (Fur Free Policy). Néanmoins, la Russie et la Chine restent deux gros marchés et y organiser des manifestations revendicatives est extrêmement risqué. Obtenir l'engagement des multinationales aura également des répercussions sur les productions de ces deux pays.
Avez-vous déjà subi des pressions ?
S. : Comme pour Francois Ruffin qui a fait l'objet de surveillance pendant près de trois ans lors du tournage de « Merci Patron », LVMH a engagé une entreprise privée pour nous surveiller. Une personne s'est infiltrée dans l'une de nos actions en nous contactant sur les réseaux sociaux. C’était le début, on invitait tout le monde à nous rejoindre, on ne s’est pas méfié. On s'en est rendu compte à temps et on a dû changer de cible puisque la police était déjà sur les lieux. À chaque manifestation, y compris celles que nous avions déclarées, les agents de sécurité nous prenaient en photo individuellement. Nous avons également été suivis dans le métro.
Quels types d’informations sont susceptibles d'intéresser LVMH ?
S. : La question reste entière. On imagine que le but était de créer un dossier pour comprendre qui on est, ce qu’on fait et pourquoi. Mais aussi empêcher des actions plus spectaculaires ou dérangeantes comme celle que Francois Ruffin projetait de faire afin de perturber les assemblées générales de la multinationale. Actions qui ont pu être empêchées par LVMH grâce à des personnes infiltrées.
À propos de manifestations spectaculaires, que pensez-vous des actions, comme celle des militantes écologistes du mouvement Just Stop Oil qui ont aspergé la vitrine protégeant les « Tournesols » de Van Gogh ?
S. : Chaque action doit être analysée au regard de ce qu’elle apporte à la cause (conséquences positives et négatives). C'est pourquoi il est difficile de donner un avis sur les actions des autres groupes. La question est de savoir si ça a donné de la visibilité au message (cesser d’autoriser les nouveaux projets pétroliers, gaziers et charbonniers) et si ça a permis d’engager une discussion sur le sujet. Ensuite, est-ce que les conséquences répressives ont été absorbées par le mouvement ? Ces actions permettent à court terme de faire des coups médiatiques. En revanche, elles peuvent avoir des conséquences négatives sur le collectif en impactant le moral des militants et en diminuant les forces (les militants incarcérés ne sont plus actifs dans la lutte) mais aussi en faisant peur aux possibles nouvelles recrues. Avec le collectif SIPE, nous avons choisi des modes d'action qui ne transgressent pas la loi. On pense que dans notre cas, ils sont plus soutenables sur le long terme et nous permettent d'obtenir quand même des résultats, même si on intéresse beaucoup moins les médias.
Envisagez-vous l’activisme comme l'engagement d'une vie ?
S. : Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’antispécisme, je me suis rendu compte de l’injustice systémique qu’il y avait contre les autres espèces animales. Mais ça m’a également ouvert sur plein d’autres luttes et injustices que j’ignorais (ou que j’ignorais partiellement) : le système politique dans lequel on évolue, le capitalisme, le travail, le sexisme, le racisme et toutes les oppressions et discriminations en général. Je serai toujours en lutte pour un monde meilleur, il n’y aura pas de lutte finale, je le sais. Et si par miracle un jour tout est gagné, il y aura une surveillance nécessaire pour éviter que des dynamiques de pouvoir et d’oppression ne se remettent en place.
Est-ce parce que vous êtes anarchiste que vous avez choisi comme forme d'engagement le militantisme plutôt que la politique par exemple ?
S. : À mon sens, ce n’est pas incompatible. Là encore j'adopte une approche conséquentialiste. J'essaye d'analyser les conséquences positives et négatives des différentes options pour faire avancer la lutte et choisir celles qui semblent obtenir les meilleurs résultats même si elles ne sont pas parfaites en tous points. C’est pour cette raison que, concernant nos campagnes actuelles, nous demandons uniquement l’interdiction de la fourrure. Pourtant, les entreprises qu’on cible vendent du cuir, de la laine, des plumes… Des choses qu’on sait être tout aussi horribles pour les espèces qu’on défend. Mais on se concentre sur la fourrure parce qu’on se dit que c’est à notre portée. Au regard de notre puissance, c'est le meilleur moyen de faire avancer la lutte globale. Si on demandait trop, on nous refuserait tout en bloc, et on n'aurait pas la puissance nécessaire pour leur faire changer d'avis. J'adopte la même logique pour mes choix et mes formes d'engagement personnels. En tout cas actuellement et en ce qui me concerne, je pense que là où je peux avoir un maximum de conséquences positives pour les non-humains, c'est dans le militantisme et notamment au sein du Collectif SIPE.
Merci de nous avoir donné l'opportunité de parler de nos actions pour les êtres sensibles et les sentients actuellement exploités et massacrés pour leur fourrure !
À celles et ceux qui souhaitent nous aider et/ou nous rejoindre, contactez-nous !!
Le Collectif SIPE
Contact / Réseaux Sociaux : https://linktr.ee/collectif.sipe