Extrait d'une publicité Barbie dans laquelle un père joue à la poupée avec sa fille

Gender marketing : exit les clichés, les consos doivent s'émanciper !

Usant de clichés grossièrement genrés, le marketing est au pied du mur : il est condamné à délaisser la dialectique du bleu et du rose pour s'ouvrir à la pluralité des identités féminines et masculines.

Par Anne-Sophie Gonidec, Chargée d’études Senior, et Christophe Manceau, Directeur des études, Kantar Media.

Cet article est paru dans le numéro 13 de la revue de L’ADN – SEXE, UNE QUESTION DE GENRE. Pour vous procurer un exemplaire de la revue, cliquez ici.


 

« Le genre est une construction culturelle », explique Judith Butler, philosophe américaine. Le marketing genré prend ses racines dans un concept sociologique des années 70 qui dissocie le culturel du biologique et permet ainsi d’étudier l’identité sexuelle indépendamment du facteur biologique. Ce concept est un outil d’analyse des rapports entre les hommes et les femmes, notamment les relations de domination et de pouvoir. La théorie du genre est actuellement au cœur de problématiques sociales et éducatives. Pour arriver à l’égalité des sexes et faire disparaître les frontières entre les hommes et les femmes qui attribuent des comportements à l’un ou l’autre de façon induite, le corps enseignant envisage le non genre dans l’éducation comportementale et culturelle, afin de ne plus formater les esprits sur des schémas anciens. Pour abréger : le père chef de famille et la mère maîtresse de maison, tout comme l’attribution du rose ou du bleu, c’est fini.

Sexisme bilatéral et stéréotypes inversés

Les publicitaires se sont emparés du concept dans les années 80. La femme étant et restant la principale prescriptrice d’achats, viser le segment est apparu efficace pour les ventes. Collatéralement, le segment homme est lui-même devenu porteur pour certains types de produits. On trouve encore des cas de marketing genré fondés sur cette segmentation basique : puissance et performance pour les hommes ; Mennen conclut « une efficacité d’avance, pour nous les hommes » dans les campagnes déodorants jusque début 2017, et aide à l’entretien pour les femmes : Lidl, pour la vente flash de l’aspirateur Silver Crest, met en scène une mère qui garde sa fille et dit : « pour un nettoyage facile et rapide de votre intérieur ». Le genre et le produit sont rangés dans une même case, la démarche est réductrice.

Certaines marques ont compris l’impact négatif et excluant de l’exploitation des stéréotypes et le risque d’être boycottées quand l’égalité est un thème politique et social explosif. On assiste à une « inversion » des rôles dans les représentations. Swiffer envoie un carton de lingettes dépoussiérantes à un homme, avec Alsa, papa fait des gâteaux avec les enfants, et Vanish Gold met en scène papy qui lave les habits de ses petits-enfants. Chez Leroy-Merlin, la femme s’attaque aux gros travaux, tandis que chez Monsieur Bricolage, l’employée a du retard parce qu’elle s’est arrêtée en chemin pour réparer tour à tour une porte de garage, une tondeuse, un vélo… Mais inverser les représentations est-il suffisant pour refléter une réalité sociale ?

La Boulangère a tenté de s’engager avec la campagne « 285 excuses » , mais le terrain est glissant. Les hommes s’excusent et promettent d’aider leurs femmes. Non seulement ils vont les aider « à la maison » mais les hommes sont : un papy avec un béret, un jeune homme typé sur fond de banlieue, un homme noir féru de sape... La marque, en voulant jouer le discours égalitaire, a malheureusement sur-stéréotypé son message, les hommes sont des clichés du genre et ils promettent de soutenir la ménagère, cliché doublé !

Dans un autre registre, la campagne Not Dressing Men de Suistudio aux US présente des business women dominant des hommes nus. Mais substituer la domination des femmes à la domination des hommes n’est pas opérant, le modèle ancien est repris, le sexisme persiste.

L’alliance hommes / femmes vers un terrain égalitaire

Ce n’est pas dans un climat belliqueux que les marques peuvent transformer l’essai. En 2014, à l’ONU, Emma Watson a marqué un point de rupture avec le discours féministe issu des années 60/70. Pour l’égalité des sexes, les femmes ont besoin d’alliés, et ces alliés sont les hommes : #HeForShe. Très récemment, suite à la viralité du #MeToo, les hommes ont réagi avec #HowIWillChange. Avançons donc ensemble. Quelles sont les démarches publicitaires qui vont en ce sens ?

Kellog’s s’est appliqué à dégenrer les céréales EXTRA avec humour pour tisser la connivence : un homme en string rose se fait surprendre complètement happé par le goût des céréales ; un homme terrifié par la collection de poupées de sa nouvelle conquête cherche à se sauver mais là aussi il est happé par le goût et piégé. Les céréales légères et goûteuses ne sont pas réservées aux femmes ou liées à un régime quelconque, la marque a su élargir sa cible avec un message bi-genre.

En Inde, où la structure patriarcale reste puissante et entravante pour les femmes, Ariel a diffusé un spot dans lequel un père se questionne. Sa fille rentre du travail, elle est au téléphone, regarde ses mails, prépare la lessive, jette un œil sur les enfants et sert à la fois son mari et son père. Le point d’ancrage du discours, même s’il concerne la tenue de la maison et les enfants, c’est qu’il est temps d’éduquer les hommes autrement pour une réelle égalité. En France, Persil met en scène une mère qui apprend à son fils à faire la lessive. Ces deux exemples vont dans le sens du discours d’Emma Watson et du souhait des femmes d’être accompagnées dans leur volonté d’égalité.

Ces cas montrent que là où le marketing genré était sujet à des revendications, il est maintenant revendicatif. Les marques agiles font muer ce marketing genré pour lever haut le drapeau de leurs valeurs et de leurs engagements. L’étape de l’incitation à l’émancipation est franchie et donne une certitude d’avenir à l’approche genrée.

Des masculinités et féminités plurielles

Les marques comprennent qu’elles ont des risques à prendre et qu’il ne suffit pas de mettre une représentation à la place d’une autre pour être en adéquation avec la mutation sociétale. Au-delà du binôme hommes – femmes, les acteurs sont confrontés aux méta-genres : il n’y a pas UNE définition de la femme ou de l’homme. Il y a des féminités et des masculinités plurielles.

De nombreuses marques de beauté ont développé des produits de soin pour hommes, de l’anti-rides au fond de teint, en passant par le crayon contour des yeux. Marc Jacobs a lancé une collection de vernis pour hommes et de nombreux personnages publics, comme Jared Leto, n’ont pas hésité à s’approprier le produit. Le « métrosexuel » n’est plus un marginal urbain, ou un artiste lunaire (comme Boy Georges, dont le maquillage était perçu comme provocateur, ou encore Marylin Manson). Les hommes peuvent prendre soin d’eux et être réceptifs aux messages de confort et de douceur. Gillette offre à Antoine Griezman un rasoir doux pour sa peau. Associer un sportif performant et un produit soft tient compte de comportements masculins réels et contemporains autrefois attribués à des usages féminins.

Cartier s’est associé à Alfred pour une opération d’accompagnement des hommes avec un site dédié Merci Alfred. L’idée est d’accompagner pendant cent jours les hommes désireux de demander leur conjoint/e en mariage. Selon chaque profil et chaque personnalité, les marques déploient un parcours personnalisé pour aider le soupirant à atteindre son objectif et construire une demande qui lui ressemble.
Autre exemple, Nike lancera en 2018 aux Etats-Unis des hijabs adaptés à la pratique du sport pour un meilleur confort de la consommatrice. C’est à la fois une preuve d’ouverture d’esprit et d’engagement, la marque prend un risque fort mais contentera un bon nombre de consommateurs et consommatrices.

Dans la même veine, Mattel a récemment dévoilé sa poupée portant un hijab en hommage à la championne d’escrime Ibtihaj Muhammad, originaire d’Arabie Saoudite. Certes, c’est une occasion de pénétrer le marché, mais c’est aussi la démonstration d’une intention de considérer les femmes quels que soient leurs choix et de valoriser toutes les sortes de féminité.

On en revient bien au prédicat de départ décrivant le genre comme une construction culturelle, qui par conséquent s’enrichit des modifications culturelles et cultuelles dans le temps. En jouant avec des stéréotypes clivants, l’application du genre en marketing a été un entonnoir réducteur, qu’il s’agisse des hommes ou des femmes. Les marques qui ont compris la pluralité et l’inter-pluralité des genres ont renversé l’entonnoir. Elles ont transformé la stratégie genrée en outil d’émancipation et d’incitation à la liberté comportementale dans un monde nourri par la diversité. A l’image de l’arc en ciel, les genres ont des spécificités différenciantes tout en ayant des valeurs communes. En opérant un virage et en émettant des engagements et des valeurs, les marques donnent un second souffle au marketing genré qui entame sa deuxième vie.

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  1. […] Anne-Sophie Gonidec et Christophe Manceau, L’ADN tendances, « Gender marketing : exit les clichés, les consos doivent s’émanciper« , 16 janvier 2018, [En ligne] : https://www.ladn.eu/entreprises-innovantes/parole-expert/theorie-du-genre-gender-marketing-semancipe… […]

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