Dans son best seller international, Sapiens: une brève histoire de l'humanité, Yuval Harari ose la question de l'Homme, son évolution, son ascension, son devenir... Une oeuvre passionnante. Violaine Schütz a rencontré l'écrivain.
Pourquoi et comment l’Homo sapiens est-il parvenu à s’imposer comme l’espèce dominante ?
Yuval Harari : Au départ, nous étions une espèce assez insignifiante et notre pouvoir d’action était très limité. Ce qui a fait la différence entre l’Homo sapiens et le reste des espèces, c’est sa capacité à coopérer en grand nombre qui lui permet de créer des systèmes sociaux, politiques, économiques... Les grands mammifères peuvent communiquer de manière flexible, mais ils ne le font qu’avec un nombre limité de congénères, au maximum 50 ou 100 individus. A contrario, les insectes sociaux savent coopérer en grand nombre, mais sans jamais changer leurs règles. Les fourmis et les abeilles ne se sont jamais rassemblées pour décapiter leur reine, et mettre en place un autre mode de gouvernance.
L’homme est aussi capable de se raconter des histoires. Qu’est-ce que cela signifie ?
Y. H. : Si nous sommes passés de grands singes à maîtres de la Terre, c’est parce que non seulement nous pouvons transmettre des informations sur le monde réel, mais aussi inventer des récits. L’homme est l’animal qui a créé le storytelling et les gossips. Il possède cette capacité à construire des mythes et donc du collectif autour d’idées qui rassemblent.
Quels sont ces grands mythes ?
Y. H. : Dieu, le paradis, la nation, les droits de l’homme, la justice... Aucune de ces choses n’a d’existence objective ou biologique, il s’agit d’histoires que nous avons inventées et qui nous permettent de vivre ensemble. Mais le mythe le plus réussi, celui qui nous réunit tous, c’est l’argent. Essayez d’échanger une banane contre un billet vert à un singe, cela ne marchera jamais. En revanche, vous obtiendrez de très bons résultats que ce soit à la City ou dans les rangs des partisans de Daesh.
L’amour est-il aussi un mythe ?
Y. H. : C’est une bonne question... L’amour est une réalité. Mais beaucoup de fictions et de mythologies ont été construites autour. Ce sentiment est fondé sur un processus biologique, que l’on trouve chez les animaux, notamment entre une mère et son petit. À partir de cette réalité, l’homme a construit de nombreuses fictions, à travers l’industrie cinématographique ou la littérature. Les comédies romantiques ont raconté une tonne d’histoires sur comment trouver l’amour, séduire, quoi acheter pour plaire ou sur ce que l’amour nous fait.
Dans Sapiens, vous évoquez le concept de « consumérisme romantique », qu’entendez-vous par là ?
Y. H. : Le consumérisme est l’idée que le bonheur humain peut s’acquérir en achetant des produits ou des services, et si vous ne vous sentez pas bien, c’est parce que vous ne possédez pas les bonnes choses. Il s’agit d’une mythologie. Comme lorsque l’on vous dit que c’est en payant des taxes à l’église, qu’après votre mort, vous trouverez le salut. Aujourd’hui, le supermarché est devenu une religion.
Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à l’histoire de l’humanité ?
Y. H. : J’ai toujours été intéressé par ces questions : pourquoi notre monde et notre société ressemblent à ça et pas à autre chose ? Qu’est-ce qui est vrai et qu’est-ce qui relève de l’ordre du storytelling ? Quand on grandit en Israël, on entend beaucoup d’histoires, notamment sur Dieu ou sur la nation. Mes parents n’étaient pas religieux, mais à Jérusalem – cité chargée d’histoire –, à la télévision ou à l’école, on est bercé par la religion. En tant qu’enfant, on croit facilement à ces histoires, mais en grandissant, on se pose de plus en plus de questions sur cette « réalité ». Il y a tellement de choses que l’on croit vraies alors qu’elles ont été inventées.
Votre travail sur l’histoire globale des hommes a-t-elle eu un impact sur votre propre vie ?
Y. H. : Quand on réalise que les questions qui nous préoccupent le plus collectivement relèvent de l’imagination – comme la politique, l’argent, la religion – on peut se concentrer sur autre chose. Personnellement, je médite deux heures par jour selon la méthode Vipassana. C’est une technique bouddhiste qui permet de voir les choses comme elles sont réellement. Beaucoup de philosophes prétendent que la clé du bonheur est de se connaître soi-même, mais pour y parvenir, il faut se couper d’un certain nombre de représentations qui nous empêchent de connaître nos motivations profondes. La méditation est cruciale car elle consiste à observer les simples faits, sans plus se raconter d’histoires.
Quel livre ou penseur vous ont le plus influencé ?
Y. H. : Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley est, selon moi, le meilleur livre de science-fiction jamais écrit. La plupart des autres ouvrages évoquent un monde terrible, dirigé par une police secrète et la torture. Celui-ci est sorti au moment de l’arrivée au pouvoir d’Hitler, pourtant il choisit de décrire un univers dominé par le consumérisme, et non par les camps de concentration ou la police. Dans ce monde, la valeur clé est le bonheur et l’on utilise la technologie pour rendre les gens heureux. C’est un livre très perturbant mais l’un des plus pertinents sur notre siècle. C’est lui qui m’a donné l’inspiration pour mon prochain ouvrage : Homo Deus, qui sortira en septembre, et qui pose la question du futur de l’homme.
Qu’est-ce qui nous attend ?
Y. H. : L’homme s’est supplanté à Dieu. En plus de forger des histoires, il est aujourd’hui capable de créer la vie. Avec l’intelligence artificielle et l’informatique, l’Homo sapiens est en train de se transformer en une autre espèce. L’homme tel que nous ne le connaissons aujourd’hui n’existera probablement plus d’ici un siècle ou deux. Nous vivons l’un de ses derniers chapitres.
Professeur d’histoire et auteur du best-seller international Sapiens. Une brève histoire de l’humanité, il enseigne au département d’histoire de l’Université hébraïque de Jérusalem. Spécialisé en histoire médiévale et militaire, il a obtenu son doctorat au Jesus College de l’université d’Oxford en 2002.
Son prochain livre à paraître : Homo Deus. Rencontré à la conférence à l’USI.
Cet article est paru dans le numéro 8 de la revue de L’ADN. Yuval Noah Harari est l’un de nos 42 superhéros de l’innovation. Votre exemplaire à commander ici.
Nous avons rencontré Yuval Harari aux conférences de l'USI.
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