Depuis quelques années, un constat s'affirme sur le marché : le modèle de l'agence est concurrencé dans le secteur crucial qu'est le recrutement. Il suffit de prendre quelques minutes à la sortie des établissements pour observer la perte d'attractivité. Une tribune signée par Julien Casiro, directeur de l’agence Braaxe.
Lorsque le « et pourquoi ? » tente d'approfondir la question, les réponses se font plus évasives. Manifestement aussi évasives que leur connaissance globale des agences telles qu'elles existent aujourd'hui. Le modèle de l'agence est peu et mal connu. Qu'est-ce qu'une agence ? Que fait une agence ? Comment est la vie en agence ? Pourquoi travailler en agence ? Combien gagne-t-on en agence ? Les talents de demain ne le savent pas vraiment. Bien entendu, les bastions historiques comme Publicis, BETC ou le réseau Havas résistent encore : l'autorité de l'institution et le rayonnement de ses clients pèsent toujours. Mais le bât blesse pour les acteurs suivants.
L'autre problématique qui se pose, c'est qu'à défaut d'être bien appréhendée, l'image de l'agence peut même être parfois couverte de soupçons. Les fantômes d'une culture pub des années 80 et 90, emprunts de vieux fantasmes à la 99 Francs, peuvent éloigner les nouvelles générations en quête de sens dans la société dans laquelle ils vivent et consomment. Les valeurs comptent, la peur du vide oppresse. Le constat peut paraître amer quand, en comparaison, les Google, Facebook et Twitter, pourtant pas exempts de polémiques éthiques largement médiatisées, arrivent à incarner l'entreprise de demain.
Les agences avaient bénéficié pendant des années de ce même souffle attractif. Aujourd'hui, celui-ci ne demande qu'à être vivifié, d'autant plus que les atouts ne manquent pas pour ces structures désormais arrivées à maturité. Formatrices, polyvalentes et actrices du changement, elles n'ont rien à envier aux acteurs émergents.
Poussons la porte des Entreprises Cactus
Mode d'emploi pour être attractif : tables en bois, mugs ou tumblers type Starbucks, babyfoot, Macs, iPhones et inévitablement un cactus. Les start-up ont réussi un tour de force ces dernières années : la promesse d'un monde idéal qui casse le modèle de l'entreprise parentale, sans hiérarchie, sans contrainte, organisé par des CEO, omniprésents sur Linkedin et Medium et par des « Responsable de la joie ». La Cactus Corporation peut fleurir ! La France a raté suffisamment de révolutions pour ne pas chercher à restreindre cette fièvre startupeuse.
Cependant, belle de l'extérieur, s'y frotter, c'est souvent s'y piquer, tel un cactus. En tant que recruteur, nous croisons souvent les revenants de cet univers. Bien que certaines initiatives soient d'immenses réussites et que la culture des nouveaux modèles dépoussière un grand nombre de nos secteurs, il est important de prendre garde à l'effet d'annonce. 18 mois après la levée de fonds, la partie de babyfoot ne suffit plus. L'implication personnelle du début, en temps et en énergie, peut s'évaporer en quelques semaines lorsque l'essai économique ne se transforme pas. Mais malgré cela, l'attractivité reste excellente tant la communication est bien menée.
Solidement implantée dans l'esprit des étudiants, la start-up est devenue le modèle d'attractivité pour n'importe quelle entreprise. Des mastodontes du CAC40 aux micro-entreprises, la communication autour du travail s'inspire de ce modèle.
Les entreprises cactus n'incarnent pas l'unique épine dans le pied des recruteurs
A l'instar des grandes entreprises, ils sont présents dans les meilleures écoles en participant, moyennant finance, à la formation des étudiants, profitant par ce biais d'une tribune puissante et d'un observatoire idéal pour dénicher les talents de demain. Leur modèle reste, pour autant souvent, très institutionnel, organisé et hiérarchisé, ce qui peut ne pas convenir à ceux qui aiment travailler dans des cadres plus agiles, libres et créatifs.
Il y a aussi les annonceurs qui, forts d'une exposition quotidienne, conservent leur attractivité de toujours en s'appuyant sur les nouvelles méthodes de management et l'intégration de plus en plus importante des compétences. La puissance de la marque résonne auprès des cibles jeunes qui ont été éduquées dans un monde ultra marketé.
Enfin, les SSII, les GAFA ou les start-up centrées sur la tech, profitent du très grand désir de la nouvelle génération de travailler sur les défis de demain avec de nouveaux outils puissants. Les jeunes diplômés regardent dorénavant les technos utilisées, les méthodes de gestion de projet et l'innovation comme critères primordiaux de sélection d'un employeur.
L'agence est morte, vive les agences
- Les agences sont un levier déterminant dans la création de valeur pour les entreprises
Acteur phare de la transformation digitale du pays, elles oeuvrent au quotidien sur des sujets concrets qui font avancer les entreprises et l'économie. Elles accompagnent l'arrivée à maturité de ces structures et restent pourtant mal identifiées par le grand public et les étudiants sur ce point essentiel.
- Dans un monde ultra-connecté, le travail des agences est plus présent que jamais
Souvent effacé au profit de la marque, il ne doit pas rester pour autant invisible. Au quotidien, des millions de personnes interagissent avec le savoir faire des agences sans toutefois l'identifier, à travers une campagne nationale, un site e-commerce, des conversations sur les réseaux sociaux ou l'expérience offerte par une application. Des campagnes de prévention comme Louise Delage ou la sécurité routière incarnent également ce rôle fondamental qu'il faut marteler auprès des talents de demain.
- Les agences sont ouvertes par nature
Et c'est ce qui les différencie d'autres modèles, souvent auto-centrés sur leurs services et leurs produits. Travailler en agence, c'est être ouvert aux autres pour pouvoir répondre aux problématiques de secteurs multiples, en permanence. Les méthodes de travail sont malléables, agiles, en mouvement, elles se réinventent. Le challenge intellectuel est stimulant. Le quotidien est rythmé par les évolutions sociétales, artistiques, les transformations de la consommation, l'innovation ou le bouleversement des usages. La vie en agence est par ailleurs plébiscitée. Un récent baromètre en témoigne : 88% des personnes travaillant en agence le recommandent.
- Les agences, en particulier dans le digital, recrutent et recrutent même beaucoup
Le secteur des agences est l'un de ceux qui fait le plus confiance aux juniors : cette jeunesse est représentée partout avec des possibilités importantes au sein de l'entreprise. Les responsabilités arrivent plus vite, dans un environnement plus stable que celui d'une start-up. Les agences présentent en effet un modèle économique installé depuis des années, fort d'une expérience et d'une réputation sérieuse dans ce domaine. Elles ne connaissent pas ou peu l'incertitude de la perfusion financière générée par la levée de fond et les impératifs de rentabilité en temps record. Ce qui est aussi une vraie garantie pour les jeunes diplômés.
Un pour tous, tous pour un
- Parvenir à l'unité
Les agences doivent avancer ensemble pour défendre leur modèle. La France a la chance d'avoir des fleurons reconnus dans le monde entier dans ce secteur. Ensemble, elles doivent parler d'une même voix, la chapelle devant disparaitre au profit du modèle, grandes et petites agences devant témoigner de la richesse de leurs métiers et de leurs cultures. Gregory Pascal (Sensio Grey) et Laurent Habib (Babel) ont manifesté leur désir d'avancer sur ce sujet à travers leur engagement dans l'AACC.
- Incarner le sujet
Un secteur est d'autant plus entendu qu'il est incarné par une ou des personnalités puissantes, charismatiques et médiatiques. Les agences regorgent de personnalités passionnantes, pouvant témoigner de leurs métiers. Entrepreneurs, directeurs d'agence, directeurs de création ou CTO sont les meilleurs ambassadeurs de ce modèle. Ces figures sont attendues pour témoigner dans les écoles, les forums et les médias. Incarner auprès des étudiants une ambition, un parcours, une histoire.
- Communiquer pour mieux régner
Les baromètres de la profession témoignent de la vitalité du secteur, de sa richesse et du plaisir d'exercer. Tant d'atouts qui doivent être mis en avant auprès des cibles étudiantes. Les agences savent être créatives pour leurs clients. Elles doivent l'être pour elles-mêmes. Utiliser encore mieux les nouveaux usages et les codes générationnels. Ouvrir leurs portes et communiquer sur leurs actions qui impactent le paysage culturel et économique du pays. Changer également la perception de l'agence, pour lui ôter son image de structure encore souvent vue comme prétentieuse, parisienne ou rattachée au système. Les journées « agences ouvertes » de l'AACC (prochaines le 27 mars 2018) vont dans cette dynamique.
- Faire la chasse aux cours
Les écoles, de manières très schématique, ont construit leurs sélections d'intervenants via les entreprises partenaires (assurant le financement), ou via le réseau des anciens étudiants qui ont gravi les échelons de différents secteurs. A ce niveau encore, les cabinets de conseil, les annonceurs et quelques rares agences puissantes emportent la palme de la présence. Ce système ne laisse pas toujours la place à la mise en avant des agences traditionnelles, de leurs métiers et de leurs diversités. Sous une bannière unie, celles-ci doivent trouver une place au sein des structures enseignantes. Il s'agit de convaincre les instances pédagogiques des débouchés possibles pour leurs étudiants et, dans un second temps, de venir exposer la pluralité des métiers, des carrières possibles et des opportunités au sein du modèle agence auprès des talents.
Face à ces nouveaux défis, les décideurs doivent prendre au sérieux la nouvelle concurrence qui entrainera, si rien ne bouge, une paupérisation des niveaux et donc la mise en danger du modèle agence. C'est unies et sous des bannières puissantes, que celles-ci garantiront leur avenir.
Avec la contribution de François Bévierre, Concepteur Rédacteur chez Braaxe.
Good job