Un homme en train de crier au téléphone

Great Place to Work : « En France, il faut sortir de la culture de la râlerie »

On évalue souvent les entreprises selon leur chiffre d’affaires. Et si on questionnait les employés plutôt que les actionnaires ?

Vous l’avez peut-être déjà vu passer. Chaque année, Great Place to Work publie le classement des entreprises où il fait bon travailler. Un label fièrement affiché par les sociétés qui y figurent. Mais ce classement n’est que « la partie émergée de l’iceberg », précise Jullien Brezun, Directeur Général de Great Place to Work en France. Au quotidien, l’organisme interroge les salariés sur la perception des actions de leur entreprise.

Interview.

Pourquoi est-ce important, aujourd’hui, d’interroger les employés ?

Jullien Brezun : Ils sont le reflet de l’entreprise. Nous n’avons pas la prétention de pouvoir mesurer l’impact carbone d’une entreprise : notre objectif est de percevoir, au-delà des déclarations positives qui sont faites en public, la façon dont les employés se sentent au travail. Nous avons établi un questionnaire composé de questions fermées et de questions ouvertes, à remplir de façon numérique. En général, le taux de participation se situe autour de 80%.

Les entreprises ne peuvent-elles pas interroger elles-mêmes leurs équipes ?

J. B. : Tout le monde parle de transformation digitale, mais le vrai sujet, c’est la transformation culturelle. Les employés ont de nouvelles attentes envers leur entreprise – notamment au niveau de la relation entre femmes et hommes, ou de l’environnement. Et dans la mesure où ils doutent de la capacité des gouvernements et des ONG à mener ces combats, ils attendent un engagement de la part de leur boîte. Sauf que les entreprises sont complètement perdues sur ce terrain. Nous devons avoir un rôle d’antibrouillard. Par ailleurs, le fait de passer par une plateforme externe et anonymisée permet de libérer la parole.

Libre ensuite aux managers de faire ce qu’ils veulent des résultats…

J. B. : Nous récoltons les réponses avant de les transmettre à la direction. Les entreprises peuvent se comparer aux autres acteurs de leur secteur, ou à ceux qui ont la même taille. L’idée est évidemment de transmettre l’information aux équipes, puis de mettre en place des actions pour améliorer ce qui peut l’être. Prendre la température ne suffit pas si l’on n’agit pas derrière. D’ailleurs, on le voit bien : les dirigeants qui choisissent de ne pas partager les résultats aux équipes ou de ne pas les prendre en compte rencontrent souvent des réactions hostiles des employés. La démarche d’une entreprise mal notée qui choisira de prendre la mesure du problème et reconnaître ses faiblesses sera, au contraire, toujours mieux acceptée par les équipes.

Ça demande un certain courage de la part des managers.

J. B. : Tout à fait, mais aussi une certaine cohérence comportementale. On ne peut pas affirmer vouloir changer les choses et cacher sous le tapis ce qui ne va pas. Les patrons sont une boussole. S’ils font ce type de démarche, ils doivent avoir conscience que tout ne sera pas parfait, et que les résultats doivent donner une direction à suivre. Accepter ses faiblesses et ses torts, c’est difficile quand on dirige une boîte. Mais c’est important. C’est aussi l’opportunité de redistribuer les cartes : un leader sain doit savoir déléguer aux managers de proximité. Leur rôle est fondamental : ils doivent créer une atmosphère et une culture positives dans l’entreprise.

Y a-t-il des moments plus pertinents que d’autres pour interroger ses salariés ?

J. B. : Les crises ! Celles-ci n’ont pas toujours l’apparence que l’on imagine. Une entreprise qui grossit aura tendance à être vue comme en bonne santé. Or les crises de croissance sont parfois très difficiles à gérer en interne. Idem pour les déménagements, les acquisitions, etc. Il faut pouvoir s’attendre à avoir de mauvaises notes sur certains critères à ces périodes-là. Et ce n’est pas la fin du monde. Certaines personnes partiront, d’autres seront là pour renforcer la culture de l’entreprise. Mais l’important, c’est de comprendre les points de friction.

Y a-t-il des critères sur lesquels les entreprises françaises sont particulièrement mauvaises ?

J. B. : La rémunération ! Quand on compare aux autres pays, on se rend compte que les Français sont particulièrement critiques sur le sujet. Il y a une très faible tolérance face aux différences de rémunération en France. Certes, il y a un petit côté révolutionnaire « à la française » … mais c’est aussi le signe d’une réalité : nous avons en France besoin de réelles explications pour mieux comprendre les salaires.

Comment devenir une « Great Place to Work » ?

J. B. : Pour les leaders, il faut adopter une posture d’humilité, d’honnêteté et avoir une vision affirmée. Il faut aussi arrêter de penser que l’entreprise, c’est la lutte des classes. Tout le monde a des droits, mais aussi des devoirs. Et il faut accepter que les gens aient envie d’aller voir ailleurs. Aujourd’hui, un collaborateur doit pouvoir aller voir son patron et lui dire qu’il ne se sent plus bien. Si on n’a pas cette liberté-là, c’est le signe que l’entreprise n’a pas réussi à créer l’atmosphère nécessaire au vivre-ensemble. Et surtout, il faut sortir de la culture de la râlerie et du bougonnage. Parlons-nous !

Mélanie Roosen

Mélanie Roosen est rédactrice en chef web pour L'ADN. Ses sujets de prédilection ? L'innovation et l'engagement des entreprises, qu'il s'agisse de problématiques RH, RSE, de leurs missions, leur organisation, leur stratégie ou leur modèle économique.
commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Oh ben non !

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