À l'occasion du salon de l'Agriculture 2023, interview de Jean-François Roucou, directeur de la performance durable du Groupe Pernod Ricard.
Une réduction de 50 % de l’empreinte carbone du Groupe : c’est l’objectif ambitieux que Pernod Ricard, présent dans 74 pays avec plus de 19 000 collaborateurs et 240 marques, s’est fixé pour 2030. Mais comment ? Qu’est-ce qui fait aujourd’hui qu’une stratégie RSE aboutisse à des effets concrets sur le terrain ? Et comment s’y prendre, lorsque l’on est un grand Groupe international ?
Dans le cadre du salon de l’Agriculture 2023, où Pernod Ricard a mis en avant ses engagements pour le terroir français, nous avons tenté de répondre à ces questions et mieux comprendre les ambitions du groupe en matière de durabilité, de circularité et de responsabilité. Jean-François Roucou, directeur de la performance durable du Groupe, s’est prêté au jeu des questions-réponses afin de nous faire découvrir une roadmap RSE on ne peut plus ambitieuse.
L'ADN : Quel est votre rôle en tant que directeur performance durable au sein de Pernod Ricard, et que signifie ce terme ?
Jean-François Roucou : Je suis chez Pernod Ricard depuis exactement 30 ans, où j'ai occupé des postes en recherche et développement, eu des fonctions opérationnelles et maintenant corporate. Au siège du Groupe, j'anime, dans l'équipe Opérations ce qu'on appelle la performance durable, qui est en fait une fonction support, qui s’occupe de gestion des risques et de durabilité.
De façon plus concrète, ça recouvre les sujets liés à la qualité et à l’environnement. Avec deux composantes fortes, qui sont en premier lieu l’amont agricole et en second lieu la circularité dans nos activités. Et il y a un troisième domaine dont je m'occupe également, qui est lié au partage des expertises techniques en lien avec l'innovation. C’est une activité composite qui regroupe des activités transverses. Je ne suis pas en charge de l’opérationnel, mais d’animer des thématiques d'amélioration continue, de gestion des risques et finalement de sustainability sur le long terme. C’est une fonction héritière de ce que l’on appelle parfois encore le QSE, pour Qualité, Sécurité, Environnement, dans laquelle on a intégré la question de la performance durable.
Pourriez-vous résumer les piliers de la RSE chez Pernod Ricard et ce qu’ils représentent pour vous ?
Ces piliers sont au nombre de quatre. Le premier, « préserver nos terroirs », concerne l’amont agricole et la biodiversité. Le deuxième pilier s’intitule « agir circulaire », c’est-à-dire que l’on veut que l’ensemble de notre supply chain soit empreinte de l’esprit et des méthodes de circularité. Cela touche évidemment nos sites de production, mais également des problématiques carbone et climat, ou encore les emballages. Les deux autres piliers sont « être responsable », qui traduit notre engagement en termes de consommation responsable ; ainsi que « valoriser l’humain », qui recouvre la dimension sociale et les thématiques de diversité et d’inclusion au sein de notre Groupe et de ses communautés.
Comment se concrétise cette vision, par exemple sur l’agriculture durable ? Quelles sont vos actions et votre vision ?
Ma première action a été de créer une équipe et de nous doter de compétences afin de faire en sorte qu'on ait des gens au siège chargés d'animer cela au quotidien. Ensuite, cela se traduit par un plan d'action où on a commencé par faire l'inventaire de tous nos terroirs, c'est-à-dire tracer toutes nos chaînes d'approvisionnement de façon identifiée pour chaque ingrédient de chaque formule, de chaque produit. L’idée est d’évaluer les situations, les risques et les impacts environnementaux, la maîtrise que l’on a de la chaîne d’approvisionnement, etc. Un véritable diagnostic complet !
Ensuite, il a fallu établir une stratégie pour s'assurer que tous les risques potentiels sont adressés et qu'on a un impact positif. Notre ambition est de contribuer très activement à la transformation des modèles agricoles vers des modèles plus durables. Et ça peut se traduire soit par des initiatives vers des modèles qu'on qualifie d’agriculture à faible impact, c’est à dire avec un impact réduit sur l’environnement, soit éventuellement en allant plus loin vers ce qu'on appelle l’agriculture régénératrice qui vise, elle, à inverser la vapeur et à créer de la valeur environnementale dans le système agricole.
Auriez-vous des exemples précis à me citer ?
Il y en a beaucoup. Les vignobles, par exemple, qui sont particulièrement importants chez nous. Nous avons des vignobles en propre dans huit zones viticoles différentes, dont deux en France qui sont dans la région de Cognac et en Champagne. Dans chacun de ces vignobles, on explore l’agriculture régénératrice : il s’agit d’inventer de nouveaux modèles, donc on ne part pas de solutions établies, mais on mesure les enjeux en fonction des lieux et climats. Chaque contexte est différent, donc on teste des pratiques pour apporter de la biodiversité dans l’écosystème, enrichir le sol, etc. C’est une démarche de recherche et développement. Aujourd’hui, ce sont 50 % des surfaces de ces vignobles qui sont en essai de viticulture régénératrice.
Au-delà des vignobles, on a une approche similaire sur les céréales par exemple. On est en contrat depuis très longtemps et de manière directe sur certaines de nos marques avec les agriculteurs ou les coopératives. On cherche à comprendre les enjeux, tester de nouveaux modèles. Avec la coopérative Euralis, qui collecte et vend du maïs dans le Sud-Ouest de la France, avec qui nous collaborons pour l’une de nos marques de whisky, nous avons engagé un système de contrat auprès des agriculteurs afin qu’ils testent des méthodes laissant une plus large place aux pratiques régénératrices.
Parlons d’un autre aspect important dans vos activités : le recyclage des bouteilles. Comment cela se passe-t-il chez Pernod Ricard ?
Chaque marque est un peu différente, en fonction notamment du pays où les produits sont distribués, mais aussi de la couleur du verre. La bouteille Ricard, qui est une bouteille verte, est composée de 81% de verre recyclé, ce qui permet d’abaisser considérablement son empreinte carbone.
Sur des bouteilles en verre blanc, on arrive aujourd’hui à passer la barre des 50 % de verre recyclé, ce qui est le fruit de beaucoup de travail avec nos fournisseurs verriers. C’est l’un des objectifs du Groupe d'élever considérablement le taux de recyclage non seulement du verre, mais aussi des autres matériaux qu'on utilise dans un esprit de circularité, une démarche qui doit nous animer en permanence. Plus largement, l’objectif est d’atteindre les objectifs de réduction des empreintes carbone que nous nous sommes fixés pour 2030.
Quels sont ces objectifs pour 2030 ?
Nous nous sommes fixé l’objectif précis de réduire de 50% l’intensité carbone de nos activités, ce qui est considérable. Un objectif ambitieux, sachant que 75% de notre empreinte carbone provient des matières agricoles et des emballages.
Vous avez prononcé à plusieurs reprises le terme de circularité. En quoi cela se concrétise pour un Groupe international comme Pernod Ricard ?
Déjà, c'est un état d'esprit. Nous devons développer de nouveaux modèles d’utilisation des ressources et sortir du modèle linéaire où il y avait production, consommation puis déchets. Il se trouve toutefois qu'on a la chance d'avoir un héritage culturel très fort avec le verre, puisque ça fait plus de 50 ans que des filières de recyclage fortes existent chez nous, en particulier en France. Aux États-Unis, le taux de recyclage du verre est de l'ordre de 30 à 40 % alors qu’il est de près de 90 % en France.
Cette histoire nous amène à pousser le même genre de raisonnement dans tous les domaines. Si je prends l'exemple agricole, l'idée est que rien ne devienne un déchet. Tout doit pouvoir être valorisé. Les vinasses de distillerie à Cognac, qui représentent 90% du volume une fois que l’on a extrait l’alcool du produit, sont longtemps restées un déchet qui au mieux était épandu sur des terres agricoles. Aujourd’hui, les vinasses sont valorisées en méthanisation. Pour ce qui est de notre marque Absolut, toutes les vinasses issues de la distillation sont cette fois-ci non pas méthanisées mais utilisées pour l'alimentation animale. Aujourd'hui, dans un large périmètre autour de la distillerie, les élevages sont alimentés en vinasse qui apportent un complément alimentaire précieux pour plus de 250.000 porcs et vaches laitières.
Comment on infuse auprès des équipes, en France comme à l’international, ces modèles et principes ?
On s'appuie sur l’appétit qu'ont les gens à s'engager. Et chez Pernod Ricard, les équipes ont un vrai esprit d’engagement. C'est un Groupe dans lequel on essaie de donner du sens à notre action. Je pense aussi qu'on a la chance d’avoir des marques fortes et très territoriales, très ancrées dans leur terroir, avec des salariés sensibles à ces valeurs. On a vraiment cet enracinement qui fait que c'est assez simple d'engager les gens du terrain chez Pernod Ricard.
Ensuite, il faut créer un projet qui fait sens, avoir une stratégie au niveau du Groupe qui soit claire et qui soit portée par le management, ce qui est totalement le cas. Alexandre Ricard a poussé le lancement de notre roadmap RSE pour 2030. Celle-ci a d’ailleurs été lancée à Cognac, depuis la distillerie de Gallienne, au sein de nos terroirs et auprès de nos collaborateurs.
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