Cartman en train d'essayer plusieurs assistants vocaux

Interfaces vocales : « Les marques vont devoir adopter une logique de combat »

Pas langue de bois mais prudent. C’est ainsi que Laurent Habib, Président et Fondateur de Babel, s’exprime sur le sujet des interfaces vocales. Pour lui, c’est clair : les marques qui ne se préoccupent pas du sujet dès aujourd’hui risquent de mourir.

Catastrophe – les interfaces vocales (Amazon Echo, Siri, Google Home) sont à nos portes et on ne sait pas quoi en faire. Côté consommateurs, on les sollicite pour nous raconter des blagues, nous chanter des chansons ou nous donner la météo. Côté marques... On est paumé de chez paumé. Pourtant, les experts sont formels : d’ici quelques années, ils seront nos meilleurs conseillers question consommation.

Pour les entreprises, cela pose plusieurs questions.

Laurent Habib, Président et Fondateur de l’agence Babel, partage son point de vue.

 

Comment l’intelligence artificielle – et le développement des interfaces digitales comme les assistants vocaux – va-t-elle concrètement bouleverser le modèle économique des annonceurs ?

Laurent Habib : Avec l’arrivée du digital, les marques ont gagné un nouveau pouvoir : celui de pouvoir parler à chacun à des coûts parfois inférieurs à ceux nécessaires pour parler à tous – avec en prime plus de puissance, de personnalisation, de contextualisation. Ce nouveau pouvoir s’est accompagné de nouvelles stratégies d’actions, de bascules de budget incroyables... Et de contraintes. Parmi elles, et c’est un sujet délicat, la dépendance économique envers certains acteurs : les GAFA ont les outils les plus puissants et il est très compliqué de s’en passer. Pour profiter de leur puissance, il faut souvent mettre la main à la poche. Mais peut-on rester indépendant en confiant tout son argent et ses données à une seule entité ?

 

Non seulement le risque n’est pas très conscient chez les annonceurs, mais il est accentué par le développement des interfaces vocales. Celles-ci vont devenir un outil central de la relation client. Mais elles vont surtout incarner un changement radical dans la façon dont l’individu accède à internet : à terme, la moitié des connexions seront gérées par des interfaces vocales. Elles s’imposeront dans des lieux précis de la vie de l’individu : la voiture, le salon ou la chambre, la cuisine et peut-être le bureau. De la même manière que le mobile est dominé par l’interface tactile, l’interface vocale demandera de repenser totalement l’accès au contenu. Ce qui risque de se passer, c’est une exagération des traits caractéristiques du digital : vous irez au plus simple, au plus rapide, au plus efficace et au moins cher. Par exemple, vous direz : « je veux être à Rennes demain à 17h30 », plutôt que de nommer une compagnie de train en particulier. Vous voudrez juste la meilleure solution, peu importe le moyen.

Les interfaces vocales vont développer des secteurs et des usages de consommation au sein desquels les marques seront totalement anonymes.

- Laurent Habib

Dans ce schéma, les marques risquent-elles de ne devenir que des « détails » ?

L. H. : C’est tout le risque – les interfaces vocales vont développer des secteurs et des usages de consommation au sein desquels les marques seront totalement anonymes. C’est un phénomène que l’on a déjà pu constater avec l’impact de la grande distribution : plus de 25% de la consommation est dominée par les marques de distributeurs. Sans vouloir jouer à l’oiseau de mauvais augure, je pense que 25% de notre consommation sera guidée par les interfaces vocales, au détriment des marques.

 

Comment survivre dans un tel contexte ?

L. H. : En essayant d’être en première position. De la même manière qu’elles payent pour être dans la tête de gondole des résultats Google, les marques devront s’assurer d’être la première marque choisie par Google Home, Amazon Echo ou Siri. Mais à l’inverse des interfaces visuelles, où l’on peut encore s’en sortir en étant deuxième, demain ce ne sera plus suffisant : le leader sera le seul à survivre. Et la bataille pour être leader a déjà commencé : il faut créer des conditions qui ressemblent vraiment à une logique de combat, rester en relation étroite avec les consommateurs et créer un contexte pour que cette relation crée une présence à l’esprit extrêmement forte dans les moments d’acquisition... et en-dehors. Il y a des secteurs où la marque est déjà morte, où l’on pense plus à la fonction et aux critères purement rationnels qu’à la marque du produit. Mais il est toujours possible de créer une identité dans un univers qui en est dépossédé. C’est aussi notre métier.

Qui va gagner la bataille ?

L. H. : Ceux qui ont de l’argent, ceux qui ont su garder une marque très puissante, et ceux qui réussiront à tirer leur épingle du jeu en jouant à fond les règles du digital et en séduisant un public militant, qui pourra faire la communication des marques à leur place. Ce troisième cas de figure s’applique notamment aux marques qui ont peu de moyens : elles devront ruser pour rayonner auprès d’une cible donnée et restreinte. Quoiqu’il en soit, les marques vont connaître des difficultés significatives et vont devoir s’en occuper dès aujourd’hui.

Est-il envisageable de se passer des interfaces vocales – et de ceux qui les développent ?

L. H. : Les marques doivent garder leur liberté face aux grandes interfaces, elles ne peuvent pas renoncer à une relation directe avec leur audience. Si demain vous dépendez d’un autre pour exister, cela revient à vivre avec une subvention permanente et la contrainte potentielle de donner de plus en plus. Pour autant, il ne s’agit surtout pas de se passer des géants du digital. Mais il faut concevoir la digitalisation sans se mettre dans une relation de dépendance ou d’exclusivité. Il est important que les annonceurs soient lucides, trouvent des voies spécifiques.

Côté agences, ces bouleversements vont-ils changer les métiers ?

L. H. : Du côté des communicants, cela demande d’être plus stratège, mais aussi plus créatif afin de mieux appréhender le business de nos clients. Impossible de penser comme dans les années 80, 90, ou le début des années 2000. Ce nouvel univers qui se dessine questionne l’avenir des marques de façon profonde. Mais attention : ce que l’on considère comme un « bouleversement » à venir est en réalité déjà existant et ne devrait pas prendre plus de quelques années pour s’affirmer.

 

Mélanie Roosen

Mélanie Roosen est rédactrice en chef web pour L'ADN. Ses sujets de prédilection ? L'innovation et l'engagement des entreprises, qu'il s'agisse de problématiques RH, RSE, de leurs missions, leur organisation, leur stratégie ou leur modèle économique.
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