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Doit-on considérer les énergies renouvelables comme des biens communs ?

Avec ENGIE
© Appolinary Kalashnikova via Getty Images

Garantir un accès universel à l’énergie est un enjeu crucial aujourd'hui. Pour certains scientifiques, c’est tout le modèle actuel basé sur la surexploitation des ressources fossiles qui est obsolète. À l’inverse, la pensée autour des « communs » permet d’imaginer de nouveaux modes de production et de distribution plus axés sur la dimension locale.

Le scientifique Gilles Debizet est formel. À l’aune de la crise climatique qui se profile, nous devons repenser l’intégralité du système de production et de distribution de l’énergie, depuis ses infrastructures jusqu’à son organisation. Pour ce chercheur du laboratoire PACTE, une unité de recherche du CNRS et de l’Université de Grenoble spécialisée dans la transformation de l’expertise urbaine et territoriale, il est grand temps de s’inspirer des travaux pionniers d’Elinor Ostrom sur les communs. De quoi s’agit-il ? D’après l’économiste Benjamin Coriat, un « commun » est « un bien partagé au sein d’un collectif, qui possède des droits et des obligations attribués ; ce bien est géré par une structure de gouvernance pour assurer sa reproduction à long terme ». Appliqué au secteur de l’énergie, cette notion permet de repenser complètement le modèle de production et de distribution. Pour Gilles Debizet, l’enjeu est de parvenir à réinventer des communs énergétiques territoriaux au-delà du bipôle État et marché.

La mise en commun de l’énergie : une nécessité

« Cette réinvention est une nécessité pour au moins trois raisons, explique Gilles Debizet. Premièrement, en termes d’accès, si une ressource est épuisable, il est injuste que certains puissent la capter au détriment des autres. » De fait, dans le système actuel, l’accès à l’énergie est très inégalitaire. La directrice générale d’Engie, Isabelle Kocher estime ainsi que : « Plus d'un milliard de personnes sur notre planète n'a pas accès à l'électricité. 2,3 milliards de personnes n'ont pas accès à des moyens de cuisson non polluants (…), tandis que « les énergies renouvelables sont en train de devenir la source la moins chère pour les nouvelles infrastructures énergétiques car de nouvelles méthodes de production - telles que le solaire photovoltaïque - se prêtent bien à des réseaux extrêmement décentralisés ». D’après cette dernière, l'énergie moderne doit donc être « le tremplin vers le progrès humain et économique » . Pour cela, un accès universel et égalitaire à cette ressource fondamentale doit être garanti à toutes et tous.

Deuxièmement, cette réinvention est devenue une nécessité économique. « La distribution d’énergie s’est construite depuis la révolution industrielle sur une concentration de flux basés sur les énergies fossiles », explique Gilles Debizet, en évoquant la tendance à aller chercher des gisements d’énergie souvent très éloignés géographiquement de la zone sur laquelle ils seront distribués. « On arrive au bout de cette course à la mondialisation. Aujourd’hui, on doit chercher l’énergie autour de soi – dans le sol, l’air, l’eau et dans nos déchets – et la mettre en commun à plus grande échelle. »

Enfin, les gisements d’énergie renouvelable doivent être diversifiés. Pour Sébastien Balibar, physicien et auteur du livre Climat, y voir clair pour agir : « L’éolien et le solaire photovoltaïque sont intermittents. Faute de vent modéré ou de soleil, ils s’arrêtent et les moyens actuels de stockage de l’électricité sont très insuffisants. On a besoin d’inventer d'autres sources d’énergie pour pallier cette intermittence ». L’enjeu : développer une électricité décarbonée (nucléaire, barrages, solaire thermique, hydrogène…) afin de ne plus utiliser de combustibles fossiles. « Des outils de communication et de pilotage en temps réel de la consommation pour maintenir la stabilité du réseau électrique, mais aussi des interconnexions entre les réseaux et les formes d’énergie seront donc nécessaires », ajoute de son côté Gilles Debizet.

« On arrive au bout de cette course à la mondialisation. Aujourd’hui, on doit chercher l’énergie autour de soi – dans le sol, l’air, l’eau et dans nos déchets – et la mettre en commun à plus grande échelle. »

Vers une gouvernance collective

Par où commencer pour mettre en œuvre cette redistribution des cartes ? « Le maître mot est d’assumer la territorialité de l’énergie en impliquant de nouveaux acteurs et producteurs d’énergie » répond Gilles Debizet. « C’est déjà en train de se passer puisque les consommateurs prennent de plus en plus part à la production d’énergie », observe le chercheur. Sur le site de l’ADEME, on relève en effet qu’entre 2014 et 2017, le nombre de projets citoyens en lien avec l’accès à l’énergie a triplé en France. Plus de la moitié concerne le développement de parcs éoliens, et un quart, le développement de parcs photovoltaïques. Depuis début 2018, le site de l’association Energie Partagée Association recense plus de 260 projets citoyens (en émergence, en développement-construction ou en exploitation). Cette même tendance se constate depuis bien plus longtemps dans d’autres pays européens, comme l’Allemagne, la Belgique ou encore le Danemark.

De nouvelles structures prennent également forme, avec un pouvoir de décision partagé impliquant des personnes physiques, des collectivités et leurs groupements et des acteurs privés. Par exemple, on voit émerger des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), qui promeuvent une gouvernance démocratique ; ou encore les « centrales villageoises », sociétés locales qui ont pour but de développer les énergies renouvelables sur un territoire en associant citoyens, collectivités et entreprises locales.

Face à ce foisonnement diffus d’initiatives, le laboratoire PACTE a réalisé sous forme de vidéo 4 scénarios possibles pour les villes à l’horizon 2040. Dans l’un, les citoyens sont au cœur de la gouvernance via une organisation en coopératives d’habitat. Dans un autre, une grande entreprise gère les réseaux publics d’énergie d’un morceau de ville. Dans les autres, ce sont respectivement les collectivités locales ou encore l’État qui sont précepteurs de la transition énergétique. « La vérité sera sûrement un mix de ces 4 scénarios, analyse Gilles Debizet, mais pour le moment, le scénario État prédomine. »

Le numérique, pilier des communs d’énergie ?

Dans ces scenariis, le numérique joue un rôle majeur. Par exemple, grâce aux smart grids, il devient possible de maîtriser en temps réel la demande et l’approvisionnement en énergie au niveau local. Ces réseaux de partage décentralisés permettent d’organiser les échanges entre les réseaux électriques. Grâce à l’open data, la transparence complète des informations de consommation est assurée entre les différentes parties. 

La blockchain est étrangement absente des scenariis du laboratoire PACTE. Pourtant, celle-ci est par définition un registre de transaction décentralisée. « On pourrait effectivement la voir comme un système de transaction et de distribution décentralisé de l’énergie pour l’acheter et la revendre de manière transparente et sécurisée », admet Gilles Debizet. D’ailleurs, certaines entreprises l’utilisent déjà pour « certifier » l’utilisation d’énergies renouvelables. Iberdrola – l’un des plus grands fournisseurs d’énergie d’Espagne –, a annoncé utiliser cette technologie pour garantir que l’origine de l’électricité fournie est 100 % renouvelable. En Allemagne, Siemens a rejoint l’Energy web Foundation afin d’accélérer le déploiement commercial de la blockchain dans le secteur de l’énergie. En France, Engie a lancé un partenariat avec Air Products – société américaine spécialiste du gaz – ainsi qu’avec le fleuron français Ledger pour stocker et certifier les énergies vertes. Le but recherché de ces prestataires d’énergie ? Permettre à leurs clients d’identifier en temps réel les actifs de production d’énergie verte d’une installation de production, via une interface web dédiée. Les clients accèdent alors aux certificats de l’électricité verte associée aux produits qui leur sont livrés.

Pourtant, Gilles Debizet tempère : « La blockchain est un outil de traçabilité intéressant mais elle n’est pas nécessairement compatible avec les biens communs. Elle peut aussi être le support d’un modèle libertarien avec une logique de marché très poussée sans contrôle démocratique, qui fait abstraction des contraintes de gestion pérenne d’une ressource. »

Les énergies, biens communs de l’humanité

Dans tous les cas, les énergies renouvelables invitent à dépasser la gestion traditionnelle de l’énergie, à ouvrir une voie plus acceptable d’un point de vue environnemental et social. Même à l’échelle internationale. Pour Isabelle Kocher, « en créant des cadres réglementaires communs, les pays peuvent regrouper leurs demandes d’infrastructures ». Elle cite comme exemple le Bénin, le Burkina Faso, le Gabon, le Mali, le Niger et le Togo : « Ils ont lancé en septembre dernier une initiative visant à concevoir un cadre réglementaire pour l’énergie solaire partagé par tous les pays volontaires. » Une initiative soutenue par l’association Terrawatt Initiative que dirige Isabelle Kocher. Et d’ici à juin 2019, une plateforme sécurisée devrait voir le jour, où les pays africains pourront proposer des achats communs d'électricité, dans le solaire et l'éolien.


Cet article est paru dans le cadre du numéro hors-série de L'ADN "Imagine avec ENGIE", réalisé à l'occasion du programme Imagine 2030 de ENGIE

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