
Cette femme et cette marque repensent un geste qui malgré sa magie initiale s'est banalisé : celui de se parfumer. Repenser toute une expérience ne se fait pas sans peine mais ça paye. Rencontre avec une révolutionnaire qui vous veut du bien.
D’où vient votre amour pour le parfum ?
Isabelle Masson-Mandonnaud : Pour moi le parfum est un moteur d’émotion(s) aussi fort que le goût, et je pense qu’on va lui donner plus d’importance dans les années qui viennent. Si on enlève le mot parfum qui est connoté « luxe », et que l’on revient aux odeurs, on touche à quelque chose de fondamental. Je crois que tout le monde a l’odeur de sa mère gravé quelque part dans la tête. C’est la première odeur. C’est une chose fondamentale, qui n’a pas encore été complètement exploité.
On voit également que les hôpitaux s’intéressent aux odeurs pour soigner et apaiser. L’odeur c’est également le goût, la mémoire, la joie… voir la peur ! L’olfaction est un sens fondamental qui est très souvent considéré comme mineurmais qui devient majeur.
Avec cette marque, vous revenez à une pratique ancestrale…
I.M. : J’ai voulu revenir aux origines du parfum, avec les concrètes du parfum. La société mère s’appelle d’ailleurs Parfumaré parce qu’en Italien c’est Par Fumare « par la fumée ». Les premiers parfums étaient des éléments naturels ou organiques qu’ils faisaient brûler et c’est par la fumée que le parfum se dégageait. Tout de suite après sont arrivés les premiers onguents qui étaient des graisses. Ces graisses captaient le parfum, les personnes s’enduisaient le corps, celui de leurs défunts, et le parfum était un vrai cérémonial dans les tombes égyptiennes. Il accompagnait le mort au même titre que l’or. Le parfum était vénéré et vénérable. Ce qui me parle profondément.
… tout en intégrant un geste très moderne
I.M. : Quand j’étais dans le métro, ou en vélo, dans le rythme de la ville, je me disais que j’aimerais me parfumer avec un objet adapté à ces déplacements… En réfléchissant je me suis dit que s’il y avait bien un objet qui a su prendre cette forme nomade, c’est le rouge à lèvres. Quelle libération pour la femme, quel geste ! J’ai donc commencer à travailler une forme de parfum-rouge à lèvres que l’on puisse mettre sur la peau. J’ai même pensé l’appelé Caresses de parfum pendant un moment.
Dans votre démarche vous optez pour des produits volontairement accessibles. Pourquoi ?
I.M. : On a des versions du parfum un peu plus écrin mais notre produit phare est ce bâton de parfum à 22 euros, volontairement accessible. C’est très important pour moi, je veux bien qu’on tire vers le luxe mais on n’est pas Hermès (que j’adore), on est une nouvelle forme de luxe, que l’on appelle plus souvent premium. On a des ingrédients extrêmement luxueux. Je peux vous promettre que nos parfums sont de très belles compositions. Il y a beaucoup d’amour, d’attention, d’application. Je suis entourée de jeunes avec des têtes bien remplies et du courage.
Vous avez gravit les échelons jusqu’à devenir la N°2 de Sephora, vous avez ensuite créé une première entreprise en 2005 avec « Crazy libellule and the poppies ». Depuis environ un an vous êtes de retour avec Sabé Masson, comment envisagez-vous cette nouvelle aventure ?
I.M. : Après l'explosion en vol de crazylibellule j’ai pris un an pour prendre du recul. Les gens me disaient d’y retourner mais quand vous avez pris un mur il est dur d’y retourner. Et puis les hasards de la vie vous font rencontrer les bonnes personnes. Aujourd’hui je suis associée de façon équitable et qualitative. Je crois que c’est la première fois de ma vie que je suis sereine dans mon entreprise même si je reste stressée au quotidien. Je sais que mon associé est juste et qu’il sait que je veux porter cette marque vers la réussite.
Vous dites que la notion de temps vous tient particulièrement à cœur dans l’entreprise. Pourquoi ?
I.M. : C’est assez drôle comment on accepte qu’un bébé avance étape par étape (il ne se met pas debout à 4 mois), alors que l’on a aucune ou peu de patience pour une entreprise. Je sais aujourd’hui que faire un produit c’est 9 mois… comme par hasard. On peut le faire en 5 mois mais on s’expose à des problèmes. Les grands groupes quant à eux le font en deux ans, on peut comprendre qu’ils se sur-protègent. Je pense que ces process très longs peuvent abimer la créativité des gens. On peut faire peur aux collaborateurs à sans cesse sur-vérifier, à tel point que l'on oubie de créer et le sens des choses se perd parfois le long du chemin.
Lorsque je travaille, je le fais de façon très libre avec les parfumeurs, je leur livre un dessin avec le nom et une couleur et je leur fais confiance. Leur métier est de créer de la différence. Sur 3 propositions, on décide collectivement avec ma petite équipe.
Et il y a également le temps de la levée de fonds dans l’entreprenariat qui est important. Trop souvent on pense à faire une levée de fonds quand on en a besoin. En vérité lorsqu’on réussit une levée de fonds, c’est le moment de penser à la suivante. Plus on attend, plus les gens qui vont investir ont l’opportunité de resserrer votre marge de manœuvre. Et c’est le jeu… plus ils rentrent bas dans une entreprise dans laquelle ils croient un maximum, plus la bascule derrière est grande.
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