Vue d'une ville dévastée par une tempête avec des bateaux échoués et des maisons dévastées

Assurageddon habitation : la crise financière que personne ne voit venir

© NOAA

La COP30 se poursuit à Belém, mais le risque, lui, ne s’arrête pas aux agendas diplomatiques. L’assurance habitation apparaît comme un maillon faible face au climat. Un maillon qui pourrait, en cédant, entraîner la stabilité financière mondiale avec lui.

« Un monde à + 3 °C, c'est la fin du capitalisme tel qu'on le connaît. » Le 25 mars 2025, la déclaration de Günther Thallinger, membre du conseil d'administration d'Allianz, n'est pas passée inaperçue. Cette alerte prolonge celles d'Henri de Castries, alors PDG d'AXA en 2015, et de Mark Carney, alors gouverneur de la Banque d'Angleterre et aujourd'hui Premier ministre du Canada, qui parlait déjà de la « tragédie des horizons » – le moment où les pertes climatiques dépasseraient la capacité du système financier. Mais c’est la première fois qu’un dirigeant en exercice d’un géant de l’assurance formule une mise en garde aussi frontale – et la publie noir sur blanc sur LinkedIn : le réchauffement pourrait faire vaciller le cœur du système financier mondial.

Flashback : en septembre 2008, la faillite de la banque d'affaires Lehman Brothers, emportée par la crise des subprimes et l'effondrement du marché immobilier américain, déclenche une onde de choc mondiale. Et si, aujourd'hui, c'était l'assurance habitation qui jouait ce rôle de détonateur ? C'est l'hypothèse posée par le Financial Times. Avec une différence clé : contrairement aux précédentes crises financières, celle issue du changement climatique serait non plus transitoire mais permanente.

Le changement climatique à nos portes

Les signaux d'alarme se multiplient. En février 2025, le président de la Réserve fédérale Jay Powell prévenait le Congrès : « Dans dix ou quinze ans, il y aura des régions du pays où vous ne pourrez pas obtenir d'hypothèque. Il n'y aura plus de distributeurs automatiques ni de succursales bancaires. » Deux semaines plus tard, l'homme d'affaires nonagénaire Warren Buffett (qui a pris sa retraite hier) confirme à ses actionnaires dans une lettre que « le changement climatique sonne à nos portes » et qu'un jour « une perte d'assurance massive va se produire, et rien ne dit qu'elle sera isolée ».

Et Günther Thallinger de prédire ainsi les conséquences qu'aurait un retrait des assureurs : « Si l'assurance n'est plus disponible, d'autres services financiers seront également touchés. » Son constat fait froid dans le dos : « La chaleur et l'eau détruisent le capital. Les maisons inondées perdent de la valeur. Les villes surchauffées deviennent inhabitables. Des catégories entières d'actifs se dégradent en temps réel. »

S'il n'y a pas de scénario unique, un schéma se dessine à travers les échanges menés par le FT avec plus de vingt experts. Tout commence par le retrait massif des assureurs des États américains les plus exposés – pas seulement la Californie et la Floride. Les propriétaires voient leurs primes exploser ou leur couverture carrément supprimée.

L'effet domino

C'est l'effet domino. « La contagion se propage parce que vous avez besoin d'une assurance pour obtenir un crédit immobilier. Si la couverture des assurances recule, les banques feront de même », analyse le quotidien économique. Certaines pourraient même arrêter d'octroyer des prêts immobiliers. État après État, il deviendrait impossible de trouver une agence bancaire.

La crise climatique ne connaît pas de frontières… La valeur des maisons chute partout dans le monde, entraînant avec elle une dévalorisation massive des actifs immobiliers. Comme un écho à 2008, les défauts de paiement se multiplient. À une différence près, et de taille : cette fois, « la cause sous-jacente n'est pas financière, elle est physique, et son issue n'est pas claire ».

Et en France ? Pour l'instant, le système tient. Certes, les premières tensions apparaissent, notamment dans certaines collectivités confrontées à l'intensification des risques. Mais la mutualisation et le régime Cat-Nat assurent encore un filet de sécurité. La réassurance publique CCR a même lancé une cartographie des zones sensibles, pour anticiper les retraits d'assureurs privés.

Un risque sans issue claire, c'est le nœud du problème, pour l'économiste Ben Keys : « Vous n'avez pas nécessairement besoin d'un choc important, s'il s'agit d'un choc permanent, pour avoir un effet grave et à long terme. »

Le facteur Trump

Une logique que Günther Thallinger traduit en langage business : « Nous approchons rapidement de niveaux de température où les assureurs ne pourront plus offrir de couverture. L'équation ne tient plus : les primes requises dépassent ce que les particuliers ou les entreprises peuvent payer. » Et d'aller plus loin : « La valeur économique de régions entières – côtières, arides, sujettes aux incendies – va commencer à disparaître des bilans financiers. Les marchés vont réévaluer, rapidement et violemment. »

Christopher Waller, gouverneur de la Réserve fédérale américaine, fait partie de ceux qui relativisent l'impact du climat sur la stabilité financière, convaincu que « le changement climatique ne représente pas une menace systémique directe pour le système financier ». Mais pour beaucoup d'experts, cette position revient à ignorer la nature même des risques climatiques. Lord Adair Turner, ancien président de l'Autorité britannique des services financiers, est clair : « Si je devais chercher un point de départ pour une crise financière mondiale, ce serait l'impact physique du climat sur l'immobilier. »

La réélection de Trump ne risque pas de pousser au volontarisme climatique. Dès son retour au pouvoir, son administration a lancé un démantèlement des politiques climatiques. Lee Zeldin, directeur de l'Agence de protection de l'environnement, a qualifié les efforts de lutte contre le changement climatique de « secte ». La Fed s'est retirée du Network for Greening the Financial System. Sur Fox Business, la secrétaire à l'Agriculture Brooke Rollins ne fait pas la dentelle : « On ne donne plus dans les foutaises type changement climatique ».

Le canari et ses contradictions

Seule solution ? Couper les émissions de combustibles fossiles, ou les capturer. Tout le reste n'est que « retard ou distraction », pour Günther Thallinger. Le dirigeant rappelle que nous avons les cartes en main, grâce à des solutions technologiques matures et évolutives. Ne manque plus que leur déploiement rapide et à l'échelle. « Il ne s'agit pas de sauver la planète. Il s'agit de sauver les conditions dans lesquelles les marchés, la finance et la civilisation elle-même peuvent continuer à fonctionner. »

Les assureurs, ces sentinelles du risque, tirent la sonnette d'alarme. Comme le résume au Guardian Janos Pasztor, ancien secrétaire général adjoint de l'ONU, « le secteur des assurances est un canari dans la mine de charbon du climat ». Un canari pas exempt de ses propres contradictions : si certains acteurs du secteur renoncent désormais à couvrir de nouveaux projets fossiles, se défaire des investissements hérités reste un processus lent et complexe.

Face à cette menace existentielle, les assureurs multiplient les innovations technologiques. Intelligence artificielle générative, assurance paramétrique… Ces solutions sont-elles à la hauteur de l'enjeu climatique ? Ou risquent-elles, au contraire, d'aggraver les inégalités d'accès à l'assurance ? On en parle la semaine prochaine en deuxième partie.

Carolina Tomaz

Journaliste, rédactrice en chef du Livre des Tendances Business de L'ADN.

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