Photo d'une croix décorative avec un Christ et des anges

Un Dieu à soi : le retour du religieux... sans les institutions et les dogmes

© Rdne

Après l’échec des grandes mobilisations catholiques identitaires, le religieux se réinvente. Moins visible dans la rue, il s’exprime désormais à travers les médias, la politique et une quête spirituelle plus intime, portée par une génération en quête de sens.

Le religieux fait son grand retour. C’est le constat de Philippe Portier, politologue et titulaire de la chaire « Histoire et sociologie des laïcités » à l'École pratique des hautes études. Un phénomène qui se déroule dans une étrange contradiction. Une affirmation identitaire d’abord : depuis les années 1980, les cathos auraient peu à peu renoncé aux postures d’ouverture et revendiqueraient des normes plus fortes. Mais les nouveaux convertis voudraient aussi pouvoir vivre leur pratique en dehors des institutions et des dogmes. Une soif de dieu, oui, mais un dieu chacun pour soi ?

Comment expliquez-vous ce retour de la foi chrétienne, en particulier chez les jeunes ?

Philippe Portier : Jusqu’en 1970, il y a eu une première modernité marquée par la croyance dans le progrès terrestre. Demain allait être meilleur, porté par la raison, contre les archaïsmes religieux d’antan. On pouvait alors faire l’économie de l’hypothèse de Dieu, car le monde suffisait à répondre à nos propres aspirations. Cela s’est accompagné d’un processus de sécularisation.

À partir des années 1970-1980, on entre dans une période d'inquiétude, d'incertitude. Le monde continue de bouger, mais le mouvement n’est plus indexé à une croyance du progrès infini. Nous ne sommes plus sûrs que demain sera meilleur, il est même probable que ce soit le contraire. On peut retrouver dans le religieux une voix susceptible de répondre à nos incertitudes. En 2020-2021, des éléments conjoncturels sont venus accentuer nos incertitudes. Il y a une crise du système international, stabilisé depuis les années 1950. Pour la jeunesse contemporaine, la rupture du Covid attise la peur d’un monde incertain. Cette crise a déstabilisé la jeunesse au point d’enregistrer des faiblesses psychologiques nouvelles. L’insatisfaction devant l’existence et le sentiment de ne pas trouver sa place se sont accentués. Ces éléments, structurels et conjoncturels, peuvent expliquer les reviviscences religieuses.

Les nouvelles spiritualités que l’on voit apparaître depuis une dizaine d’années sont-elles en lien avec ce renouveau de la foi chrétienne chez les jeunes ?

P. P. : Les personnes qui adhèrent à une écologie cosmique, qui croient à la chiromancie, au tarot, à l’astrologie, refusent dans l’immense majorité de se classer à partir des religions existantes. Elles sont fixées du côté des non-religieux, mais refusent pourtant d'apparaître du côté des athées systématiques. Environ 21 % des Français se disent athées, même s’ils peuvent accepter certains éléments de spiritualité. Ils sont 37 % à se dire agnostiques, mais admettent l’idée de force transcendante à travers l’élan vital, la nature, le souffle de l’esprit, les forces du destin…, autant d’éléments qui les placent du côté d’un horizon métaphysique. Cela relève d’une pluralisation. Dans la France des années 1950, il existait 5 % de « sans religion », mais ceux-là étaient vraiment athées systématiques, c’est-à-dire des athées militants à tendance anticléricale.

Cette année, le ramadan et le carême se tenaient en même temps. Cela a semblé donner une caisse de résonance aux deux évènements. Les évolutions des différentes religions sont-elles liées ?

P. P. : Depuis les années 1970, des dialogues islamo-chrétiens existent. D’abord, par le dialogue, on produit de la paix dans la société, on réconcilie les adversaires d’hier. C’est aussi une façon pour les religions de faire obstacle à la sécularisation des mœurs – on l’a vu par exemple dans le débat sur la fin de vie. Il y a aussi des phénomènes de concurrence et de confrontation. Quand on interroge les catéchumènes, 21 % d’entre eux disent qu’un des motifs de leur adhésion à l’Église a été de réaffirmer les racines chrétiennes de la France. C’est énorme. Ce catholicisme renvoie l’idée de nation à un enracinement religieux spécifique – que peut-être l’islam viendrait remettre en cause.

Dans votre ouvrage Métamorphoses catholiques (coécrit avec Céline Béraud, éditions MSH, 2015), vous vous intéressiez à la mobilisation du monde catholique lors du débat sur le mariage pour tous. Cet évènement politique a-t-il été charnière dans le retour du religieux aujourd’hui ?

P. P. : Cet évènement s’est préparé bien avant, par une génération formée par le pape Jean Paul II, qui voulait faire valoir la doctrine religieuse dans l’espace public. Dès les années 1980, il y a eu des manifestations énormes contre la réforme de l’enseignement privé. Sur le terrain moral, dès les années 1990 émergent des mobilisations sur la PMA (1994), sur le Pacs (1998), avec déjà une réflexion autour du rapport aux genres, au corps, à la vie. Depuis 2005 se tiennent les Marches pour la vie (manifestations annuelles anti-avortement, ndlr). Et enfin en 2012, des manifestations gigantesques sont organisées contre le mariage homosexuel. Il y a une politisation très forte de la foi catholique, en association avec d’autres mouvements (protestants évangéliques, musulmans…), qui a beaucoup à voir avec l’affirmation identitaire. Cette « Manif pour tous » a depuis perdu de sa superbe puisqu’il y a eu des défaites pour les catholiques d’identité (opposés aux catholiques d’ouverture), depuis le droit à l’avortement en 1975 jusqu’aux débats sur la fin de vie aujourd’hui. Tout est tombé en l’espace de cinquante ans.

Pourtant, la religion est toujours présente dans nos débats politiques, notamment ceux qui concernent la bioéthique, non ?

P. P. : Parallèlement à cette succession d’échecs, il existe une réaffirmation de la volonté de continuer. Elle ne se traduit plus par des manifestations dans la rue, mais par des réinvestissements médiatiques, voire politiques, avec Éric Zemmour, Marine Le Pen et le parti Les Républicains qui valorisent les racines chrétiennes de la France. Cela représente environ 45 % de la population, qui se retrouve, parfois sans le savoir, du côté de discours de réaffirmation chrétienne.

Justement, via leurs médias et leur fortune, Vincent Bolloré et désormais Pierre-Édouard Stérin imposent leur agenda religieux à grande échelle. Cette ingérence du religieux dans l’opinion publique par le biais des milliardaires a-t-elle des précédents dans notre histoire moderne ?

P. P. : Il y a en effet toute une série d’organes de presse qui valorisent l’idée de racines chrétiennes de la France avec des discours très inquiets – c’est un euphémisme – sur l’islam.

Dans la société française, l’Église a toujours mis en place des dispositifs de conquête de l’opinion publique. Sous la troisième république, lorsque la presse devient un phénomène global, de véritables organes de presse liés à l’institution religieuse se forment. C’est le cas de La Croix et de ses déclinaisons régionales. De manière plus locale, Le Nouvelliste, en Bretagne, était un journal catholique très traditionaliste. Seulement, ces titres étaient en lien avec les institutions. En 1927, Rome a ainsi décidé de changer le directeur de La Croix. À partir des années 1970-1980, la verticalité éclate. Il y a l’institution, mais à côté, des influenceurs qui, au nom de leur propre subjectivité, défendent une vision de la foi différente de celle des institutions. On peut aujourd’hui parler d’un nouvel espace de construction de la catholicité. Bolloré ou Stérin peuvent être conseillés par tel ou tel prêtre, mais ce sont des francs-tireurs vis-à-vis de l’Église, avec une distance très marquée vis-à-vis du pape.

Qu’en est-il des influenceurs chrétiens sur les médias sociaux ?

P. P. : Ce qui caractérise le monde religieux aujourd’hui est une individualisation du croire. Cela concerne Monsieur Bolloré, mais également des prêtres ou des laïques qui diffusent avec leurs propres blogs des paroles non contrôlées et non contrôlables par la hiérarchie. La technologisation permet à la parole d’être libre. Pour la hiérarchie, c’est un véritable problème.

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