Une grenouille multicolore

Après le carbone, le vivant : pour une écologie qui aille au-delà des bilans carbone

© Hartonosbg

Depuis trente ans, l’écologie mondiale a eu un visage, celui du changement climatique. Mais il est temps d’élargir notre regard.

Frédéric Gruet est auteur de l’essai Et si ce n’était pas le climat ? La biodiversité, le combat pour changer le monde, EDISENS, 2025, (préfacé par Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité), Il est aussi Polytechnicien, responsable de la Commission pour la biodiversité du parti Les écologistes et auteur de L’art de creuser un trou, Gallimard, 2011, prix du Jeune romancier.

Le réchauffement planétaire cristallise l'attention des journalistes, des chercheurs, des politiques. Chaque année, plus de 50 000 articles scientifiques paraissent sur le sujet. Le terme est mentionné huit fois plus que tout autre terme écologique dans les médias. Les COP climat rassemblent quatre fois plus de délégués que les COP biodiversité, boudées par les chefs d'État. L'accord de Paris est un succès historique.

Cette prépondérance de la cause climatique s'explique aisément, et il serait injuste de la condamner rétrospectivement. Elle présente des caractéristiques que nos sociétés modernes savent appréhender. Elle est uniforme, quantifiable en degrés et en tonnes de CO₂. Elle peut être abordée de manière centralisée avec des outils économiques comme les marchés carbone ou des innovations technologiques. Elle s'adapte à nos narratifs et à nos modes de vie, laissant aux États et à la finance internationale un rôle crucial.

Le succès a été retentissant. La cause climatique a éveillé les consciences. Elle est désormais partout : médias, politiques, entreprises, écoles, etc. Marqueur culturel, elle a pénétré nos habitudes de consommation, nos mots du quotidien, et même la publicité. On parle de "génération climat". On ne peut plus l'ignorer. Même les climatosceptiques se positionnent, en pratique, par rapport à ce sujet.

Néanmoins, il est temps de passer à une nouvelle étape du combat écologique, tant d'un point de vue technique que politique.

Du climat au vivant

Techniquement, centrer une politique écologique sur le climat n'est pas le plus efficace. Le rapport Nexus de l’IPBES (décembre 2024), élaboré par plus de 1 000 chercheurs internationaux, affirme que nous devons privilégier des solutions globales aux crises écologiques, centrées sur l'équilibre des écosystèmes. Non pas abandonner le combat climatique, mais l'intégrer dans une approche plus vaste. Résoudre la crise climatique sans traiter celle du vivant revient à soigner un symptôme en ignorant la maladie.

La gestion forestière illustre parfaitement ce point. L'approche climatique favorise les plantations d'arbres à croissance rapide pour maximiser la séquestration carbone. C'est la logique du plan de relance français : 200 millions d'euros pour 58 millions d'arbres plantés, dont plus de 80 % en plantations uniformes d'essences non indigènes. Une approche écosystémique serait toute autre : elle favoriserait la diversité des essences, le maintien d'arbres de fort diamètre, devenus rarissimes, la conservation de certains arbres morts, etc.

Le bilan de ces politiques forestière centrée sur le climat est accablant... même pour le climat ! Les monocultures sont vulnérables : la mortalité des arbres a augmenté de plus de 50 % en dix ans, selon l'Inventaire Forestier National de l'IGN. Pauvres en biodiversité, elles deviennent par endroits émettrices nettes de carbone. Bien plus, des projections envisagent qu'en 2030, c'est l'ensemble de la forêt française qui pourrait le devenir. Sans compter l'échec économique : notre balance commerciale du bois reste largement déficitaire malgré notre important couvert forestier. Nous avons créé des usines à bois, pas des écosystèmes vivants.

Une écologie plus désirable pour les citoyens

Politiquement, si la focalisation sur le climat a permis d’éveiller les consciences, elle a également eu un coût. Avec le seul prisme climatique, les citoyens sont invités à des efforts qui paraissent abstraits et dérisoires pour éviter une catastrophe : baisser le chauffage, renoncer à la voiture… Les recherches en psychologie sociale montrent qu'une telle mobilisation atteint vite ses limites, d'où cette perception d'une « écologie punitive », un sacrifice sans bénéfice tangible.

L'approche écosystémique offre un narratif différent : amélioration concrète et immédiate de la santé, cadre de vie embelli, retour des oiseaux et des pollinisateurs. Elle propose des actions aux bénéfices visibles localement : végétalisation d'une cour d'école, restauration d'une zone humide. Les citoyens deviennent acteurs de transformations qu'ils peuvent constater et sur lesquelles ils ont prise.

La France à la croisée des chemins

La France, qui a mobilisé le monde lors de la COP21 en 2015, a l'opportunité de devenir pionnière de cette écologie écosystémique. Notre pays dispose d'atouts considérables : diversité d'écosystèmes remarquable, territoires ultramarins abritant des hotspots de biodiversité, tradition scientifique d'excellence en écologie, citoyens conscients des enjeux.

Cette transition vers une écologie du vivant exige une révolution. En économie, l’externalité écologique n’était traitée jusqu'à présent que comme une charge, négative. Il est temps d’en faire une opportunité, positive. Les besoins financiers sont colossaux, dépassant de loin ceux nécessaires à la simple lutte climatique et appellent à revoir notre politique monétaire.

Il s'agit aussi de passer à une écologie de projets territoriaux. Chaque bassin versant, chaque massif forestier, chaque métropole, chaque écorégion a ses spécificités écologiques qui appellent des réponses sur mesure. La transition écologique ne se décrète plus depuis Paris : elle se construit dans les territoires.

Il ne s'agit pas de renier les acquis de la lutte climatique, mais de les enrichir. Le climat reste un enjeu majeur, mais il doit devenir une composante d'une approche plus large, et non plus l'alpha et l'oméga de notre action écologique. C'est ainsi que nous transformerons l'écologie de contrainte en un projet enthousiasmant de construction collective d'un monde désirable.

La première phase, l'écologie climatique, est derrière nous.
La deuxième phase du combat écologique, centré sur l'équilibre des écosystèmes, peut commencer.

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