
Ces sites basés sur le jeu d’argent ou la spéculation transforment l’actualité, la monnaie et même les relations sociales en jeux d’argent bourrés de dopamine.
Polymarket, ou comment transformer l’actualité en tickets PMU
« Faites confiance au marché, pas aux sondages. » Avec ce slogan, Polymarket a transformé l'information en casino géant où l'on mise sur tout et n'importe quoi. Depuis 2020, cette plateforme de « marchés prédictifs » gamifie l'actualité en proposant de parier en cryptomonnaies sur des évènements politiques, avec des cotes qui fluctuent 24 h/24 comme des actions en Bourse.
L'élection Trump-Harris a mobilisé plus de 1 milliard de dollars, mais les créateurs rivalisent d'imagination pour monétiser chaque détail : « Kamala dira-t-elle "noix de coco" ? », « Trump répétera-t-il 15 fois le mot "border" ? » La plateforme pousse la provocation jusqu'à proposer des paris sur un pape « nain », « noir » ou « trans », flirtant avec la culture incel pour choquer et attirer les parieurs crypto. Résultat ? CNN remplace ses sondages par les cotes Polymarket, l'app dépasse le New York Times en téléchargements et des millions d'utilisateurs s'informent désormais via les fluctuations spéculatives de la plateforme – ils appellent ça l’« infofinance ».
Shayne Coplan, le CEO de 27 ans, a réussi son pari : transformer chaque actualité en produit financier addictif, la « sagesse des foules » devenant prétexte à gamifier notre rapport à l'information. L'étau se resserre avec le partenariat officiel annoncé avec X en 2025 : les prédictions Polymarket s'intègrent désormais directement dans le flux Twitter via Grok, créant un écosystème où chaque tweet peut déclencher une fluctuation spéculatrice. Après Perplexity et Substack, cette alliance parachève la stratégie : faire de chaque information un produit dérivé financier. Dans cette économie de l'attention poussée à l'extrême, même la mort du pape devient un « marché prédictif », et les investisseurs les plus importants de la tech pensent que l’idée devrait être lucrative – pour eux. En mai 2024, la société a annoncé avoir levé 70 millions de dollars auprès de Vitalik Buterin, le cofondateur d'Ethereum, et de Founders Fund, une société de capital-risque fondée par Peter Thiel.
Pump.fun, ou comment gamifier la monnaie
Pump.fun, c’est avant tout un univers étrange et cryptique pour ceux qui ne connaissent pas l’univers trollesque du Web : bannières clignotantes façon MSN, bouton d'accueil « I'm ready to pump », et promesse de créer sa cryptomonnaie-mème en deux minutes et moins de 2 dollars. Fort de son 1,6 million de tokens créés, ce casino déguisé en réseau social engrange depuis janvier 2024 entre 500 000 et 2 millions de dollars par jour grâce à sa commission de 1 %. Le principe ? N'importe qui peut se targuer d'être « développeur de cryptomonnaie » et croiser les doigts pour que son petit monstre cryptographique pump (à traduire par « pomper » ), c’est-à-dire grimpe en valeur. Sauf que 99 % des cryptomonnaies-mèmes finissent par dump, soit se vider de toute valeur faute d’une communauté pour investir dedans. Pour tenter de les aider à performer, la plateforme a ouvert en novembre 2024 un espace de live streaming permettant aux utilisateurs d’attirer le chaland et de le convaincre d’investir. Rapidement, l’expérience va basculer dans l’enfer. Libres de toutes règles de modération, les utilisateurs rivalisent dans l'outrance : marathons sur toilettes, décapitations de poulets en direct, chantages au suicide, enfants menaçant leur famille à coups de fusil, et même des scènes de zoophilie. En conséquence, la plateforme a coupé court à cette expérience toxique…, avant de rouvrir les lives en avril 2025. Ces derniers sont à présent modérés et restreints aux 5 % des utilisateurs les plus performants de la plateforme.
TikTok Live, ou comment faire de l’humiliation un business model
Sur TikTok, la section live s'est muée en gigantesque fête foraine numérique où chacun peut monter son attraction. Depuis l'introduction des cadeaux virtuels en décembre 2021, les créateurs se sont transformés en véritables bateleurs, prêts à presque tout pour pouvoir rafler quelques euros. Pour cela, ils proposent aux viewers des jeux souvent inspirés des attractions de forains qui sont censés les inciter à donner des cadeaux (achetés préalablement avec de la monnaie virtuelle, mais elle-même acquise via la plateforme contre du vrai argent) qui déclenchent une action amusante ou satisfaisante.
Côté format, on peut dire que les créateurs sont imaginatifs : certains utilisent directement des jeux vidéo comme GTA V ou Minecraft pour créer des arènes au sein desquelles les spectateurs peuvent projeter des camions ou des cubes explosifs sur leur avatar. D’autres se mettent en scène dans une sorte de duel où les viewers votent (avec des cadeaux) pour désigner leur personne préférée. Enfin, les créateurs organisent aussi des « sleep streams » où ils font semblant de dormir et proposent aux spectateurs de les réveiller avec des bruits de pets, de klaxons ou de chocs électriques (sans doute simulés). Le dénominateur commun de ces lives ? La mise en place d’une relation parasociale toxique et gamifiée donnant aux spectateurs une impression de contrôle sur les streameurs. De quoi rapporter à TikTok, d’après l’agence de marketing digital new-yorkaise Amra & Elma, plus de 3,5 milliards de dollars en 2024.
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