
Le meurtre de l'influenceur suprémaciste a déclenché une guerre narrative sur les réseaux. Pointant du doigt la gauche woke en l'accusant d'être tombée dans la violence politique, la droite américaine a été mise face à ses contradictions après l'arrestation de Tyler Robinson, le principal suspect dans cette affaire. Ce dernier semble appartenir à une mouvance d'extrême droite issue du forum 4chan et appelé les Groypers.
Cet article a été mis à jour le 13 septembre à la suite de l'arrestation de Tyler Robinson
Un assassinat viral
Tout commence donc le 10 septembre quand un tir de sniper vient ôter la vie de Charlie Kirk alors que ce dernier se livrait à son activité favorite : mener des débats pour mieux faire circuler ses idées sexistes, anti-LGBT et racistes. Filmé en gros plan, le moment où la balle atteint sa gorge est diffusé sur X quelques minutes seulement après le tir et circule de manière massive. Grâce à la politique de non-modération des plateformes sociales, mais aussi à la stature de mégastar MAGA de la victime, la vidéo sera visionnée plus de 11 millions de fois deux heures après que son décès a été prononcé.

Qui est Charlie ?
Peu connu en France, Charlie Kirk est un personnage médiatique très populaire parmi les jeunes Américains. Après avoir commencé sa carrière en 2010 dans le magazine ultraconservateur Breitbart, il crée le mouvement Turning Point USA en 2012 afin de rassembler la jeunesse d’extrême droite autour des « valeurs traditionnelles américaines ». Dans les années suivantes, il met son influence grandissante au service de Donald Trump et assure la diffusion de ses idées auprès de la population étudiante, notamment via des débats très appréciés en ligne. Sur TikTok, son compte The Charlie Kirk Show comptait 7,3 millions d’abonnés, tandis que Charlie Kirk Debate Clips, centré sur ses saillies verbales, en possédait trois millions.
La bataille pour la mémoire
Alors que la vidéo de l’assassinat se répand comme une traînée de poudre, et que le tueur en fuite n'a pas été identifié, une bataille narrative se met rapidement en place. D’un côté, le camp trumpiste présente Charlie comme un père de famille et un débatteur ouvert au dialogue avec le camp woke. La gauche est rapidement désignée comme coupable de cet assassinat, alors même que l’identité du tueur n’est pas encore connue. Le compte @mobileguruUSB désigne notamment une femme trans de Seattle, Michaela, 29 ans, à la vindicte des réseaux, parce que son visage est apparu dans une recherche d’image associée à un autre compte X qui avait menacé Kirk la veille de sa venue, avant d’être effacé.
Pendant que la droite propose d’ériger des statues parlantes (avec de l’IA) ou des fresques murales pour rendre hommage à un Charlie monté en martyr, la gauche replonge dans les différents messages et posts de Charlie Kirk pour en extraire les propos les plus choquants. Soutien total à l’usage des armes à feu qui nécessitait selon lui « des sacrifices » (comprenez : des fusillades dans des écoles) pour être maintenu, interdiction de l’avortement même dans le cas d’un viol de fillette, détestation de l’empathie qu’il considérait comme « un terme new age qui fait beaucoup de dégâts », et autres opinions racistes ou transphobes ressurgissent pour dresser un bilan idéologique peu glorieux. À cela s’ajoutent des centaines de vidéos montrant des réactions positives ou des danses à l’annonce de la mort du polémiste, une réaction qui rappelle dans une certaine mesure celles qui avaient suivi l’assassinat du CEO d’Heastlcare Brian Tompson en décembre 2024. Plusieurs comptes seront ainsi « doxés » par la droite et publiés sur les réseaux en guise de vengeance.
Un narratif qui s’internationalise
Rapidement le narratif se fixe, même à l'international : les militants « woke », sont accusés par la droite d'avoir sombrer dans une violence meurtrière et deviennent le coupable tout désigné pour cette mort tandis que Charlie Kirk est presque dépeint comme un humaniste pacifiste qui avait à cœur de convaincre les jeunes de ses idées (rances) grâce au sacro-saint dialogue rationnel. Peu-importe que ses propos étaient de véritables appels à la haine ou bien que les statistiques montrent que la violence politique est majoritairement l’apanage de l’extrême droite (347 meurtres sur 371 en 20 ans d'après Libération).
Ce débat déborde largement des frontières américaines et sert de révélateur en France. Certains éditorialistes d’extrême droite, comme Eugénie Bastié, n’hésitent pas à reprendre cette rhétorique du « gentil débatteur », tandis que des commentateurs politiques de gauche sur les réseaux, comme Regelegorila, tentent de rappeler la réalité de son discours haineux, avant d’être pris pour cible en ligne.
« Et là, c'est le drame ! »
Ce narratif s’interrompt brusquement le 12 septembre, après une courte période de confusion. L’arme à feu est retrouvée dans des bois, non loin du lieu du meurtre, accompagnée de douilles marquées d’inscriptions interprétées comme « pro-trans et antifa » dans un communiqué des forces de l’ordre. On y lit notamment les phrases « Notices bulge OwO what's this? » et « if you read this you're gay, LMFAO », un extrait de la chanson « Bella ciao », ainsi que la phrase cryptique « Hey fascist! Catch! ↑→↓↓↓ », composée d’une séquence de touches issue du jeu vidéo Helldivers 2. Si ces éléments semblent accréditer la thèse d’un assassinat perpétré par un activiste de gauche, ils suscitent rapidement des doutes chez les spécialistes de la culture web, notamment ceux familiers des subcultures gamers et trolls issues du forum 4chan. La phrase « if you read this you're gay, LMFAO » est un classique des chats de jeux de tir en ligne, tandis que « Notices bulge OwO what's this? » provient d’un mème se moquant habituellement des personnes trans et des furries.
L’arrestation de Tyler Robinson, l’auteur présumé du crime, dont les réseaux sociaux sont rapidement décortiqués par des milliers d’internautes-détectives, vient largement renforcer ces doutes. Le profil qui se dessine est celui d’un jeune homme mormon de 22 ans, élevé dans une famille conservatrice, républicaine et pro-armes. Sur ses réseaux, Tyler arbore notamment un costume d’Halloween en référence à un mème spécifique lié aux Groypers.

Apparus en 2019 sur la section /pol/ (pour politics) de 4chan, les Groypers sont une communauté d’internautes ultranationalistes et suprémacistes blancs, menée par l’influenceur Nick Fuentes, et qui ciblent les conservateurs et autres figures de la droite qu’ils jugent insuffisamment extrêmes à leur goût. C’est dans cette culture particulière que s’inscrivent les références au morceau « Bella ciao ». Si ce dernier est bien connu comme un air antifasciste pour le grand public, son remix figure dans une playlist intitulée Groypers War, visant en particulier… Charlie Kirk.
Alors que les politiques et les figures médiatiques de droite pensaient tenir les coupables idéaux, ils se sont rapidement laissés dépasser par des militants encore plus extrémistes qu’eux. Même Nick Fuentes s’est récemment senti obligé de se désolidariser de certains de ses followers ayant décidé de prendre les armes, voyant sans doute le retour de bâton arriver. Mais cette affaire, qui est loin d’être terminée, pose une question bien plus dérangeante : jusqu’à quel point les discours extrémistes de Charlie Kirk ont-ils pu être normalisés, au point de faire considérer ce dernier comme un martyr de la liberté d’expression et du wokisme ? Et jusqu’à quel point certains médias sont-ils prêts à embrayer sur ces narratifs accusateurs pour tordre la réalité dans leur sens ?






C'est tout à votre honneur d'avoir republié cet article avec les nouvelles informations concernant le tueur ; n'oubliez pas de faire une 3e version au vu des révélations qui viennent d'être faites quant à la situation de couple de cette personne, cela peut peut-être éclairer aussi son acte ?...