Des captures d'un soap opera de StoryTV

Moins de budget qu’un kebab, plus de vues qu’Arte : StoryTV, la startup des mini-dramas à la française

La plateforme de streaming StoryTV, lancée par deux anciens de ChefClub, veut surfer sur l’immense succès des mini-séries dramatiques qui fait fureur en Chine et aux USA. Le renouveau du soap opera à la sauce TikTok ?

Une jeune femme qui retire son soutien-gorge devant son patron « alpha » pour prouver qu’elle est déterminée à avoir le job, une domestique maltraitée par sa patronne car elle a essayé son voile de mariée devant la glace, un homme cocufié qui entre par effraction chez l’amant supposé de sa femme ou bien un milliardaire qui tombe amoureux d’une SDF… Bienvenue sur StoryTV, une plateforme de streaming française lancée il y a quelques mois, spécialisée dans les mini-dramas, aussi appelés « reel shorts » ou « vertical dramas ».

Soap opera sauce TikTok

À la lecture des pitchs présentés plus haut, vous avez sans doute vu venir le style soap opera de ces fictions. Le genre peut prêter à sourire, d’autant que les intrigues, les dialogues et le jeu d’acteur rappellent fortement les feuilletons d’AB Productions comme Hélène et les garçons. Mais la différence avec les séries qui ont fait les grandes heures du Club Dorothée, c’est le format, parfaitement taillé pour une consommation sur les réseaux sociaux, qui change la donne. Chaque série dure environ 30 minutes et est découpée en épisodes d’une à une minute trente max', avec un début fait pour attraper l’attention et une fin en forme de cliffhanger insoutenable.

Il n’est pas étonnant que ce type de fiction ait été lancé par Adrien Cottinaud et Alexandre Perrin, deux anciens de ChefClub, une startup connue pour avoir inventé le format des vidéos culinaires virales sur Facebook notamment. « On y a appris à maîtriser les codes des vidéos qui performent sur le Web », indique Alexandre en guise d’introduction. « Avec Adrien, on a découvert ce format émergent du micro-drama il y a deux ans environ, poursuit-il. On suivait de près ce que produisaient Dramatize Me en Ukraine, ou bien Dhar Mann aux États-Unis, qui sont spécialisés dans ces formats, et on a voulu développer une branche 100 % française. »

Le drama social, carton francophone

Il faut dire que le genre est en pleine expansion, notamment grâce à la production pléthorique proposée par le studio chinois Crazy Maple Studio, dont l’application a été téléchargée plus de 30 millions de fois et dont le chiffre d’affaires mensuel moyen en 2024 était de 10 millions de dollars. Seulement voilà, il ne suffit pas de recopier une formule qui marche, mais bien de « l’adapter aux spécificités françaises », explique Adrien. « Les formats chinois, surtout au début, étaient très influencés par l’univers du manga. On voyait beaucoup de récits fantastiques, des histoires de "reines alpha", des intrigues très psychédéliques… Ce sont des codes qui ne parlent pas nécessairement au public français. Chez nous, ce qui fonctionne le mieux, c’est surtout le drame social. Nos plus gros cartons, on les a faits sur des sujets comme les violences conjugales, le racisme, la xénophobie, la transphobie… Ce sont ces thèmes qui suscitent les réactions les plus fortes. »

Désireux de ne pas s’enfermer dans un genre, les deux producteurs varient toutefois les registres et se dirigent aussi vers la dark romance. « On explore des situations sulfureuses parce qu’on sait que ça marche », indique Alexandre. On a récemment produit une fiction autour d’un homme qui exerce un pouvoir sur une femme – un peu à la 50 nuances de Grey, mais toujours avec subtilité. Il n’y a pas de sexe, c’est plutôt une dynamique de relation toxique, mais implicite. Et, on a aussi testé l’inverse : une femme qui prend le dessus sur un jeune stagiaire. » Tout est fait pour plaire au cœur de cible de la plateforme ; un cœur de cible qui est majoritairement composé de femmes, âgées en moyenne de 35 ans, situées à la fois en France mais aussi dans de nombreux pays francophones en Afrique.

« I love Cheap Trills »

La façon de réaliser est, elle aussi, différente des productions plus établies en Chine et aux États-Unis. Se définissant comme des « dealers d’émotions », Adrien et Alexandre vont à l’essentiel en démarrant les intrigues in media res, sans grands effets de mise en scène. « Il faut que l’émotion soit immédiate, explique Alexandre. Sur les réseaux ou sur notre app, les gens n’ont pas de temps à perdre. Ils regardent notre contenu en attendant le bus ou dans une file d’attente. En une minute, il faut qu’ils comprennent qui est qui, quel est l’enjeu, et qu’on les tienne en haleine pour leur donner envie de regarder la deuxième partie. Ce ne sont pas des dialogues à la Godard, on privilégie des situations percutantes. »

En plus d’exploiter ce sens du hook qu’ils ont développé chez ChefClub, les producteurs privilégient des productions et des tournages rapides et peu onéreux. « On écrit en deux jours, on tourne en deux jours et on monte en deux jours », résume Alexandre. « On est sur un budget très en dessous des 200 000 dollars que coûte en moyenne une série à l’étranger. » Cette économie serrée s’explique aussi par le modèle économique encore fragile de la plateforme. L’essentiel des vues se fait sur les réseaux, avec des audiences très bonnes, mais une monétisation relativement faible. « Aujourd’hui, on fait entre 35 et 40 millions de vues par mois cumulées sur Facebook, TikTok et YouTube, et Facebook draine à lui seul environ la moitié de cette audience, explique Adrien. Notre stratégie, c’est de diffuser gratuitement les premiers épisodes sur ces plateformes, et ensuite d’orienter les spectateurs vers notre propre application. » Une fois sur la plateforme, les utilisateurs peuvent souscrire à des abonnements hebdomadaires, mensuels ou annuels allant de 99 centimes à 79 euros. Avec plus d’un million d’abonnés sur les réseaux, l’application compte 1 000 abonnés gratuits pour une centaine de comptes payants.

Pour se développer, StoryTV cherche à lever des fonds, auprès de business angels et de chaînes de télévision voulant investir un nouveau créneau sur le web. « Ce qu’on veut avant tout, c’est ouvrir ce milieu très fermé de la fiction ciné et télé », concluent les deux producteurs. « Même avec des acteurs débutants et peu de moyens, on fait des scores lunaires. Notre ambition, c’est de créer une nouvelle approche, plus ouverte, plus accessible, et devenir, pourquoi pas, la première plateforme de streaming d’Europe. » La suite de cette aventure ? Vous devriez l’avoir au prochain épisode…

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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