Une image AI d'un profil féminin avec des diodes et des cheveux faits de nature

Pensée augmentée ou clone numérique : pourquoi il faut dépasser le mythe de l'intelligence artificielle générale (AGI)

© FB via Midjourney

La promesse de l’ « intelligence artificielle générale » (AGI) relève d'une impasse conceptuelle. Face à cette quête abstraite, une vision alternative émerge : l'IA en symbiose avec la cognition humaine. Moins spectaculaire, mais infiniment plus transformatrice.

L’AGI a colonisé l’imaginaire collectif. Un seuil serait imminent : celui d’une intelligence artificielle autonome, capable de « penser comme un humain ». Cette perspective séduit autant qu’elle inquiète. Elle repose pourtant sur un malentendu fondamental : croire que l’intelligence est une propriété homogène, isolable, transférable.

Or, l’intelligence humaine n’est pas un “module” que l’on pourrait copier ou extraire. Elle s’ancre dans un corps, un langage, des émotions, une histoire, une culture. Hubert Dreyfus, Antonio Damasio, Francisco Varela – entre autres – ont montré que la cognition humaine est profondément incarnée, émotionnelle, interactive, relationnelle. Elle est toujours située. Elle ne se déploie qu’au sein d’un environnement vivant.

Penser en système, pas en miroir

Face à cette illusion centralisatrice, une autre vision s’impose : l’IA comme symbiote cognitif, non pas entité autonome, mais composante active d’un holobionte cognitif. Le terme "holobionte", issu de la biologie, désigne une sorte de superorganisme composé d’un hôte et d’une multitude de symbiotes qui coévoluent, se modulent, se renforcent et se maintiennent en vie mutuellement. Transposée à la cognition, cette métaphore nous permet de sortir de la vision de l’IA centrée sur la machine ou sur l’humain seul. Elle invite à penser l’intelligence comme un phénomène relationnel, émergent, distribué, ancré dans des interactions entre humains, outils, données, environnements.

Dans cette perspective, l’hôte reste notre cognition humaine : c’est elle qui structure, oriente, donne sens. L’IA en est une extension dynamique. C’est cela, au fond, que signifie une IA centrée sur l’humain – une IA qui s’intègre sans prétendre remplacer.

Un LLM isolé ne pense pas. Mais intégré dans l’activité d’un avocat, d’un écrivain ou d’un chercheur, il devient vecteur d’exploration, accélérateur d’idées, générateur d’alternatives. Cette intelligence augmentée n’est ni strictement humaine, ni proprement artificielle. Elle est relationnelle – fruit d’un couplage entre capacités humaines et ressources computationnelles. C’est ce qu’illustrent aussi, par exemple, les travaux d’Edwin Hutchins sur la cognition distribuée dans les cockpits d’avion, ou ceux de Clark et Chalmers sur l’esprit étendu : penser n’a jamais été une activité solitaire.

Là où l’AGI postule un sujet isolé, une machine autonome douée d’intelligence générale, l’IA symbiote dessine un système. Une écologie cognitive. Elle ne vise pas l’imitation, mais l’intégration. Elle transforme non par ressemblance, mais par interaction. Et elle conserve son altérité qui nous déroute, alimentant cet anthropomorphisme qui crée une familiarité trompeuse, souvent exploitée dans les discours commerciaux. Mais cette étrangeté n’est pas le cœur du sujet. Ce qui importe, ce n’est pas ce que l’IA "semble être", mais ce qu’elle apporte à notre cognition.

Reprogrammer l’imaginaire de l’IA

Ce changement de regard a des implications profondes : il ne s’agit plus de spéculer sur ce que l’IA pourrait devenir en elle-même, mais de décider ce que nous voulons en faire collectivement, dans nos institutions, nos pratiques, nos cultures. Le cadre que l’on choisit – AGI ou holobionte – détermine les dynamiques qu’on alimente.

La vision AGI justifie des financements pharaoniques, des narratifs alarmistes, une concentration technologique sans précédent. À l’inverse, l’approche symbiotique exige des infrastructures intellectuelles partagées, des interactions éthiques, une conscience aiguë des interdépendances : sociales, culturelles, écologiques.

L’avenir de l’IA ne réside pas dans la fabrication d’un double numérique de l’esprit humain, mais dans la finesse de son intégration, dans sa capacité à enrichir nos compétences dans des contextes spécifiques. Non pas une intelligence générale, mais une intelligence pertinente, enracinée, située, utile. Une IA qui, en préservant son altérité, nous pousse à redéfinir notre pensée. Non comme clone, mais comme symbiote cognitif, au sein d’un holobionte cognitif, intime et en perpétuelle évolution.

Ce n’est ni l’IA qu’il faut redouter, ni l’AGI qu’il faut attendre. Ce qui compte, c’est la manière dont nous choisissons de cohabiter avec l’intelligence que nous avons déjà rendue possible.

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commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Merci pour ce regard et cette sémantique qui permettent de concilier intelligemment progrès et fondamentaux humains ! De préserver ce qui fait la richesse humaine tout en lui apportant de la complémentarité pour le bonheur de la vie…

  2. Avatar Steg dit :

    Une mise au point bien nécessaire vu l'absence de culture scientifique (en général et encore plus en IA) de la plupart des commentateurs destinés au grand public.

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