
Des captives d'entreprise aux contrats paramétriques, l’assurance se réinvente. Mais la désinformation s'invite aussi dans l'équation, poussant les acteurs à repenser leurs stratégies. Et la tech nous promet une protection sur mesure, tout en ébranlant nos vies privées…
En route vers la total life insurance ?
Dans son article « Total life insurance: Logics of anticipatory control and actuarial governance in insurance technology » , le chercheur Jathan Sadowski explore les frontières de l'insurtech. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce penseur critique, rattaché au laboratoire de recherches sur les technologies émergentes de la Monash University en Australie, pousse le curseur très loin pour imaginer un devenir de l’assurance dans un monde infiltré par les technologies.
Sadowski articule son analyse autour de six logiques clés : l'intermédiation omniprésente, qui voit l'assurance s'intégrer partout, à la façon des assurances affinitaires, l'interaction continue, remplaçant les contacts annuels par un suivi en temps réel, l'intégration totale, pour faire converger toutes nos données sur un profil complet, l'hyperpersonnalisation, qui permet des polices sur mesure, s’appuyant sur nos comportements, la discrimination actuarielle, qui promet, quant à elle, une tarification ultra-précise, mais potentiellement inéquitable, et enfin, la réaction dynamique pour des ajustements instantanés de couverture et de prix.
Ces logiques constituent ce que Sadowski appelle la « total life insurance ». Imaginez ainsi un coach IA personnel, alimenté par vos objets connectés, qui vous guide vers une vie plus saine, donc moins risquée. C’est ce que vise, peu ou prou, le partenariat signé entre OpenAI et Thrive Global, la startup santé d’Arianna Huffington – toutefois bien discrète depuis son lancement en 2024. Pratique ? Certainement. Intrusif ? À n’en pas douter. Le concept soulève d’innombrables questions. Comment équilibrer personnalisation et mutualisation des risques ? Jusqu'où sommes-nous prêts à aller dans le partage de nos données personnelles ? L'assurance de demain sera-t-elle un outil de protection sociale ou de contrôle comportemental ?
Un contexte dans lequel les régulateurs et les consommateurs ont un rôle crucial à jouer auprès de l’industrie, dans la définition de l'assurance de demain. Aux États-Unis, la Federal Trade Commission s’est saisie du sujet, à la suite des révélations du New York Times sur les pratiques de General Motors (GM) et des courtiers en données LexisNexis et Verisk. GM s'est vue interdire la vente de données comportementales de conduite pendant 5 ans.
Captives, paramétriques, affinitaires… Les nouveaux mots de l’assurance
Tandis que le paysage des risques évolue à vitesse grand V, l’industrie garde la cadence pour s’adapter aux nouveaux besoins des entreprises et des particuliers. De nouvelles approches se diffusent pour apporter les solutions les plus adaptées en matière de garanties.
Voyez les captives, ces filiales créées par les entreprises pour s’autoassurer, afin de faire face à l’augmentation de leurs primes et à des conditions de garanties toujours plus dures. Déjà adoptée par plusieurs groupes, la pratique pourrait se développer, grâce à un nouveau cadre fiscal facilitant leur domiciliation en France – le Luxembourg, Malte ou l’Irlande étant jusqu’à présent leurs adresses de prédilection. Selon Les Echos, leur nombre a doublé en deux ans, pour atteindre 19 captives en octobre 2024 (Seb, Publicis, Lactalis, Orange…), avec plusieurs dossiers à l’instruction auprès de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Le paramétrique s’impose, lui aussi, dans le paysage. Cette technique consiste à déclencher l’indemnisation automatiquement, quand un paramètre défini en amont par le client et l’assureur voit un certain seuil atteint. Une technique qui fait montre de pertinence en matière climatique : par exemple, en proposant de s’accorder sur un niveau de pluviométrie critique, dans le cas d’une assurance sécheresse. Mais d’autres risques pourraient s’y prêter : Descartes Underwriting, startup française pionnière en ce domaine, a lancé une offre paramétrique destinée aux ETI pour couvrir le cyberrisque.
Les assurances affinitaires – vous savez, ces garanties souvent proposées à l’issue d’un achat (voyage, smartphone, etc.) – sont, elles, dans le collimateur de l’ACPR. Pas étonnant, vu les nombreux litiges qu’elles suscitent : 18 % des saisines de la Médiation de l'assurance en 2022, 12 % pour les seuls téléphones portables. « On a besoin d'une prise de conscience collective et rapide », a grondé le gendarme de l’assurance en mars 2024, qualifiant même ces produits de « pas utiles » pour le client. Visiblement, la situation ne s'est pas améliorée depuis...
La désinformation amplifiée par l'IA, nouvelle bête noire des assureurs
Climat, cyberattaques, tensions géopolitiques… Face aux risques contemporains, les assureurs ont de quoi faire. En 2025, ils se heurtent à un nouvel obstacle : la désinformation. Amplifié par l’IA et les réseaux sociaux, le phénomène perturbe de plus en plus la prévention et la gestion des risques. Le « Future Risks Report » 2024 d’Axa identifie ainsi ce signal faible, soulignant que « les risques liés à la propagation de fausses informations n’ont jamais été aussi forts ».
À l’automne 2024, les ouragans Helene et Milton en Floride ont fait l’objet de campagnes de désinformation massives, souvent orchestrées par les alliés du camp républicain, afin de déstabiliser l’administration Biden. L’allégation selon laquelle la FEMA (Federal Emergency Management Agency) n’offrait que 750 dollars aux victimes qui avaient tout perdu (en réalité, l’aide de première urgence) a été reprise par Donald Trump et son colistier, ainsi que sur Fox News. Et l’agence fédérale a dû suspendre momentanément ses visites en porte-à-porte pour cause de menaces liées à la désinformation.
Plus inquiétant encore, une attitude de rejet de la réalité se fait jour, résumée par la punchline « I don't care if it's AI » (Je me fiche que ce soit de l'IA), rapportée par The Atlantic. Le média tech 404 media évoque une « fuck it era » où l’esthétique « AI slop » prime sur la vérité – tant que les informations collent au moment, politique ou émotionnel, de ceux qui les postent. L’image d’une petite fille en larmes fuyant Helene à bord d’un canot, serrant contre elle un chiot également tétanisé, a ainsi été partagée, non seulement à des fins politiques, mais aussi économiques, voire d’escroquerie.
Pour les assurances, le défi est multiple – du plus opérationnel au plus méta. Comment évaluer les dégâts d'une catastrophe quand les fausses images prolifèrent ? Comment communiquer lorsque la confiance s'érode ? Comment intégrer ce nouveau facteur dans les modèles d'évaluation des risques ? Mais, au-delà des aspects techniques, c'est bel et bien toute la relation avec les assurés qui est à reconsidérer, avec en son cœur la nécessité de lutter contre une post-vérité qui ne se cache plus.
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