
Deux journalistes ont infiltré la secte masculiniste d'Andrew Tate pendant quatre ans. Ils nous expliquent les liens étroits entre le président des États-Unis d'Amérique avec ce violeur impénitent.
La décision a choqué bon nombre de médias ainsi que l’avocat des plaignantes : le 27 février dernier, l’influenceur masculiniste Andrew Tate ainsi que son frère Tristan ont pu récupérer leurs passeports confisqués par la justice roumaine et quitter le territoire pour atterrir quelques heures plus tard en Floride. Sept femmes avaient accusé les deux hommes de les avoir séquestrées dans une villa et forcées à tourner des vidéos pornographiques. Andrew Tate, bien connu pour vendre son image d’homme alpha, était aussi accusé de viol par quatre femmes.
Interrogé par cette libération qui ne dit pas son nom, le parquet de Bucarest a refusé de dévoiler qui avait demandé cette levée d’interdiction de sortie de territoire et les éléments qui ont permis de justifier cette dernière. On sait toutefois grâce au Financial Times que Richard Grenell, l’émissaire spécial de Donald Trump avait demandé deux semaines plus tôt au ministre des Affaires étrangères roumain, Emil Hurezeanu, de permettre aux deux frères de voyager.
Pourquoi Trump adore Andrew Tate ?
Pour comprendre pourquoi l’administration Trump vole au secours de ce promoteur de la haine misogyne, on peut se pencher sur le travail des journalistes Jamie Tusson et Matt Shay qui ont infiltré la communauté masculiniste pendant quatre ans et écrit le livre Clown World: Four Years Inside Andrew Tate's Manosphere, paru en septembre 2024. Dans une interview donnée au podcast The Majority Report w/ Sam Seder, les deux journalistes détaillent les différentes connexions entre le clan Trump et Andrew Tate et son entourage. On apprend que Donald Trump Jr, le fils de Donald Trump, a passé plusieurs jours à la résidence de Tate en Roumanie tandis que son autre fils Barron a recommandé à son père de faire une apparition sur le stream d'Aiden Ross, un influenceur masculiniste très proche d’Andrew Tate. Le même Barron a invité Justin Waller, un autre ami de Tate passé une après-midi à Mar-A-Lago afin qu’il puisse rencontrer son père.
Pour les deux reporters, ces rapprochements ne sont pas fortuits. Andrew Tate ne représente que l’extrémité du spectre de ce qu’on pourrait appeler la manosphère, un agrégat de communauté masculine incluant les « incels » (mouvement de célibataires involontaires), les « pick-up artists », spécialistes de la manipulation pour mieux séduire, ou bien encore les influenceurs « red pills » qui tentent de faire des jeunes garçons des mâles alpha dominants et sexistes. Grâce aux algorithmes des réseaux sociaux qui mettent plus facilement en avant un contenu outrageux et viral, Andrew Tate est devenu en 2022 l’une des personnalités les plus populaires du Web, notamment auprès d'adolescents et de jeunes hommes qui sortaient de plus d’un an d’isolement social dû à la pandémie. Dans ses vidéos, Tate estime que les femmes sont responsables de leur viol ou bien qu’elles devraient se faire tatouer sur le front le nombre de partenaires sexuels qu’elles ont eus. De quoi ouvrir largement la fenêtre d’Overton du sexisme et permettre la montée en puissance du masculinisme dont se revendique le trumpisme.
Toi aussi devient maquereau
Reste que les vidéos outrageuses d’Andrew Tate ne sont que la partie visible de son empire. Jamie Tusson et Matt Shay ont expliqué que le fonds de commerce de l’influenceur se trouve dans les formations en ligne ainsi que les stages intitulés War Room qu’ils vendent plusieurs milliers de dollars à des hommes qui appliquent ensuite sa méthode. Décrit comme un culte sectaire, la communauté War Room apprend surtout à exploiter des femmes pour en tirer de l’argent. « Nous avons découvert deux ans de messages provenant de leurs salons de discussion privés, où il expliquait comment isoler les femmes de leur famille et de leurs amis, créer de faux conflits, puis les pousser à s’excuser en se tatouant le nom de leur "compagnon", explique Jamie Tusson. Toutes ces techniques sont des méthodes classiques de trafic d’êtres humains, déjà observées dans certaines cultures proxénètes. Elles étaient directement enseignées dans le War Room. »
Parmi les méthodes les plus utilisées, celle du « Lover boy » revient le plus souvent. Elle consiste à cibler des femmes particulièrement vulnérables : jeunes, isolées socialement et occupant des emplois précaires (Starbucks, McDonald's). Les hommes du réseau créent de faux profils Instagram pour paraître riches et séduire leurs victimes. Une fois en couple, ils les manipulent pour qu’elles travaillent en webcam, leur prenant jusqu’à 100 % de leurs revenus. Par un conditionnement pavlovien, ils les isolent, les rendent dépendantes et contrôlent leurs finances. Des centaines de femmes ont été piégées, réalisant trop tard qu’elles suivaient un schéma enseigné par Andrew Tate.
Officiellement, la justice roumaine n’en a pas fini avec les frères Tate et ces derniers sont censés retourner en Europe durant le mois de mars pour assister à leur procès. Un mandat d’arrêt international pourra être émis contre eux en cas de fuite, mais est-ce que l’Amérique de Trump voudra l’exécuter ? Rien n’est moins sûr.
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