Un drapeau turx sur un pont se reflète dans l'eau

En Turquie, un outil de démocratie participative au service de la répression

© Muharrem Aydın

Depuis 2015, les citoyens turcs peuvent contacter la présidence de la République via la plateforme CIMER. Pour quels effets ?

En 2024, un écrivain kurde de Turquie, Yavuz Ekinci, s’est retrouvé face à la justice pour un roman publié en 2014. Dans une affaire rejetée depuis par les juges, il devait répondre d’accusations de « propagande terroriste » à la suite d’un signalement sur une plateforme officielle. Le CIMER, acronyme de Cumhurbaşkanlığı İletişim Merkezi (Centre de communication de la présidence), permet aux citoyens turcs de donner leurs opinions, faire des suggestions ou écrire des plaintes à la présidence de la République turque via une plateforme en ligne ou par téléphone. Toutes les demandes doivent être adressées et certaines peuvent mener à l’ouverture d’enquêtes. Créé en 2015, le CIMER succède à une autre plateforme similaire datant de 2006.

Le CIMER fait la fierté de l’État turc. En 2024, plus de 4,5 millions de demandes ont été déposées selon les chiffres de l’agence de presse Anadolu. Le projet a même remporté un prix dans le domaine de l’accès à l’information, décerné en 2019 par l’Union internationale des télécommunications, une agence des Nations unies.

Présenté comme un exemple de démocratie participative par le gouvernement turc, le CIMER permet effectivement de relever les problèmes des citoyens et de dévoiler des affaires graves. Un signalement aurait permis de découvrir un vaste réseau de fraudes qui a provoqué la mort de plusieurs nouveau-nés.

« Contrôler la société et les opposants »

Mais le CIMER est aussi devenu un outil au service de la répression orchestrée par les autorités turques. Écrivains, journalistes, médecins, ou encore professeurs d’université, sont parfois signalés pour des motifs politiques. Une épée de Damoclès sur certaines professions, à tel point que la phrase « Je vais te dénoncer au CIMER », est utilisée comme une blague. Les plaintes visent « toutes les personnalités politiques et groupes d’opposition, parfois les partis politiques, ou certains groupes minoritaires », explique Çağlar Ezikoğlu, chercheur en sciences politiques, rattaché à l’université de Birmingham, et pour qui le CIMER est « l’un des outils efficaces pour contrôler la société et les opposants ».

Il est l’auteur d’une étude sur la plateforme dans laquelle il détaille le cas d’une médecin trans ciblé par une plainte, ou celui d’un enseignant ciblé pour avoir publié une photo de lui en train de boire de l’alcool sur les réseaux sociaux. 

Çağlar Ezikoğlu a d’abord travaillé en Turquie et a lui-même été visé par des plaintes, comme beaucoup de ses collègues. « Je ne devrais pas parler de la question kurde, du sécularisme, ni du gouvernement de l’AKP [parti au pouvoir, ndlr]. Mais, alors que puis-je dire de la politique turque ? », ironise le chercheur. Une nécessité d’autocensure et un manque de liberté académique qui l’a poussé à travailler au Royaume-Uni.

Le CIMER est l’un des outils de la pression mise sur les universitaires, confirme Ayşen Uysal, dans un chapitre du livre L’enquête en danger. « Les étudiants peuvent en effet porter plainte contre les professeurs en visant le contenu d’un cours, leur manière d’enseigner, leurs publications et les questions posées pendant les épreuves, ce qui crée un fort malaise dans la relation pédagogique », décrit la chercheuse. Selon elle, les différentes formes de surveillance, dont le CIMER, « construisent une société disciplinaire, axée sur le contrôle social ».

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