
À travers ses streameurs masculinistes et d'extrême droite, la petite sœur maléfique de YouTube et Twitch a largement profité du scrutin présidentiel.
C'est un record ! Le jour de l'élection présidentielle américaine, plus de 9 millions d'internautes se sont connectés en simultané pour suivre les résultats en direct sur une plateforme vidéo. D'après le site Streamchart, qui a récolté les données sur près de 15 600 chaînes diffusant du contenu en streaming, les retransmissions en direct de l’élection ont généré près de 84 millions d’heures de visionnage, soit près de cinq fois plus que l’audience des débats de septembre.

Rumble, havre de paix de l'extrême droite
Parmi les grands gagnants de cet « election day », on trouve bien évidemment YouTube, qui représente à elle seule plus de 80 % des heures vues sur le Web. Mais, alors qu'on pourrait penser que la deuxième plateforme la plus visionnée serait Twitch, cette dernière se trouve en troisième position, juste derrière Rumble, un acteur peu connu et interdit en France et qui a pourtant cumulé plus de 13 % des visionnages. Si les comptes officiels de grands médias comme Fox News ou NBC News ont remporté le plus de visionnages sur la plateforme YouTube, ce sont bien les streameurs individuels comme Dan Bongino (515 000 viewers simultanés) ou Steven Crowder (460 000 viewers simultanés) qui ont fait monter en puissance cette plateforme vidéo.
Le fait que Rumble s'impose dans le paysage médiatique américain n'est pas anodin. Cette plateforme vidéo, lancée en 2013 par Chris Pavlovski, un entrepreneur d'origine canadienne, veut en faire un refuge pour les créateurs de contenu qui seraient censurés par les plateformes mainstream comme YouTube. Évidemment, ce genre de discours censé soutenir la liberté d'expression finit immanquablement par attirer le même genre d'influenceurs, à savoir les conservateurs d'extrême droite ou les complotistes de tout bord. En 2021, alors qu'une grosse partie de ces créateurs extrémistes sont purgés de YouTube à la suite de l’insurrection du Capitole, Rumble les accueille à bras ouverts.
Rapidement, la plateforme devient une place forte des « médias alternatifs » américains et réussit son entrée en Bourse en 2022, avec une valorisation de 2,8 milliards de dollars. Pour attirer un public neuf et jeune, le site se lance dans la retransmission de sports comme le MMA, mais aussi le powerslap, une compétition de claques ultra-violentes qui cartonne sur les réseaux.*
La mainmise sur les loisirs de jeunes hommes
C'est dans ce contexte que vont évoluer des streameurs comme Dan Bongino ou Steven Crowder. Le premier est un ancien policier et membre des services secrets qui est régulièrement apparu sur le site de désinformation complotiste InfoWars. Ce défenseur de l’insurrection du Capitole, anti-woke et antivax, est ensuite devenu animateur radio avant de se lancer dans le streaming politique sur Rumble. Quant à Steven Crowder, il s'agit d'un ancien humoriste et ex-collaborateur de la chaîne Fox News, qui a milité pour la fin du politiquement correct dans les discours politiques et qui présente régulièrement des opinions homophobes ou anti-LGBT.
En regardant de plus près le tableau des streameurs les plus regardés ce jour-là, on trouve en troisième place Hasan Abi, un streameur présent sur Twitch et positionné très à gauche. Si ce dernier a cumulé plus de 313 000 vues sur son stream, il a aussi eu une analyse très juste quant au succès des idées ultra-conservatrices et à l'élection de Donald Trump. Dans un live, il rappelle que près de 50 % des jeunes hommes de 18 à 29 ans ont voté pour Trump.
D'après lui, « les moins de 30 ans ont vu leurs espaces de loisir numérique, comme les jeux vidéo, le sport en salle, les podcasts d'histoire ou les lives streaming, complètement dominés par une idéologie qui va du centre droit à la droite trumpienne. » De la même manière que les sphères des paris sportifs, des amateurs de Zyn, des fans de crypto ou des dévots d'Elon Musk, le streaming made in Rumble a contribué à fédérer les jeunes hommes au trumpisme.
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