
Prêts pour un futur où l’épée de Jon Snow pourrait valoir plus cher qu’un Van Gogh ?
Du 10 au 12 octobre dernier, la maison de vente aux enchères Heritage Auction a mis en vente une collection d’objets emblématiques de la série Game of Thrones, totalisant 21,5 millions de dollars. Entre les tenues de Daenerys et les crânes de dragons, les plus gros enchérisseurs ont déboursé 400 000 dollars pour l’épée de Jon Snow et jusqu’à 1,2 million de dollars pour le fameux trône de fer, véritable joyau de la vente.
Ma fortune pour un glaive
Ce n’est pas une première. L’année dernière, une maquette du vaisseau de Luke Skywalker s'est envolée pour 2,3 millions de dollars, tandis qu’un passionné de Titanic s’est délesté de 700 000 dollars pour s’offrir la célèbre porte qui a sauvé Rose et laissé DiCaprio sur le carreau. D’ici la fin de l’année, les mythiques chaussures rouges de Dorothy dans Le Magicien d’Oz, Saint-Graal des cinéphiles, pourraient atteindre entre 2 et 4 millions de dollars.
Si on est encore loin des sommes amassées par les œuvres de De Vinci, Koons ou Basquiat, ces objets, à mi-chemin entre le merchandising et l’artisanat, regroupés sous le terme de "Prop Art", s’échangent à prix d’or. La pop culture est-elle en train de devenir le nouveau pipeline de l’art marchand ?
Des enchères qui carburent à la nostalgie
Pour Colin Tait, responsable du catalogue des objets de divertissement chez Heritage Auction, cela ne fait aucun doute : « Alors que les ventes d’art traditionnel ont chuté de près de 30 % en 2024, les accessoires hollywoodiens connaissent une croissance remarquable », s’enthousiasme-t-il. Le taux de croissance du marché des Entertainment Memorabilia, objets de collection issus de films, séries, musique ou jeux vidéo, est estimé à plus de 8,6 % par an jusqu’en 2033. C’est l’une des catégories qui performe le mieux sur le marché des souvenirs et objets de collection évalué, quant à lui, à 778 milliards de dollars d’ici 2032. Bref, money is coming…
Mais ce qui rend réellement atypique cet emballement pour les épées et les trônes à l’esthétique douteuse (all due respect), c’est ce qui l’alimente. Stephen Lane, fondateur de Propstore et spécialiste des pièces rares (on lui doit notamment d’avoir “déterré” la hache de Shining), confiait en 2023 : « Le marché a été créé grâce à la demande de cinéphiles passionnés cherchant à renouer avec l’expérience nostalgique de s’asseoir au cinéma, enfant… Rien n'est plus émouvant que la nostalgie liée à ces moments figés dans le temps. »
Frontière entre souvenir et Beaux-arts
Après l’émotion esthétique et la spéculation financière, la nostalgie pourrait bien devenir le nouveau carburant des salles d’enchères. Colin Tait va plus loin : « L'hoverboard de Marty McFly ou les accessoires utilisés dans Star Wars brouillent la frontière entre souvenirs et beaux-arts. Ce n'est qu'une question de temps avant que les collectionneurs d’art traditionnels ne changent d’orientation. »
Avec des millennials biberonnés à la culture de masse, en passe de devenir la génération la plus riche de l’histoire, le prop art semble promis à un bel avenir. De là à supplanter les beaux-arts dans les salles de vente ? Pour Julie Escarignan, spécialiste des industries culturelles et du fandom, la relation entre “prop” et “fine” arts est plus subtile : « Les props ne remplaceront pas l’art ancien ou contemporain, mais ils viendront s’ajouter à ceux-ci. L’entertainment est plus "niche" en termes de public, mais il peut offrir une visibilité nouvelle aux maisons d'enchères, en quête d’un renouvellement de clientèle. » Ainsi, ces différents marchés, loin d’être cloisonnés, devraient s’alimenter. Un précédent existe : cette année, l’art médiéval, considéré comme confidentiel et peu bankable, a connu une hype inattendue lors des enchères. La raison ? L’arrivée d’acheteurs jeunes fascinés par l’esthétique médiévale et fans de… Game of Thrones.
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