
Retour des médias physiques, la place des influenceurs journalistes, usage de l’intelligence artificielle, quelles seront les grandes tendances qui se dessinent pour l’année à venir ?
Jinfluenceurs : les frontières floues du journalisme et de l'influence
Après avoir couvert le sujet de l'influence pour le New York Times puis pour le Washington Post, la journaliste américaine Taylor Lorenz vient de se lancer en indépendante sur les réseaux avec le lancement de sa marque média User Mag, qui se décompose en une newsletter, un podcast et des posts sur différents réseaux sociaux. Si elle suit un parcours maintenant classique de journaliste influente (elle est suivie par plus de 370 000 personnes sur X), sa démission du Washington Post est aussi liée à des posts Instagram où elle semble qualifier le président Biden de « criminel de guerre », en rapport avec le conflit au Moyen-Orient. La politique interne du média interdisant toute prise de position personnelle à ses journalistes, Taylor Lorenz a repris sa liberté.
Elle est loin d'être la seule. En août, le journaliste média de CNN, Oliver Darcy, est parti pour lancer Status, une newsletter dédiée aux médias, tandis que Jeremy Scahill et Ryan Grim, tous deux de The Intercept, ont lancé Drop Site News. L'année dernière, un groupe de journalistes qui travaillait pour Motherboard, de Vice, a lancé 404 Media. Si ces journalistes continuent de mener une incursion dans le milieu de l'influence, l’inverse est aussi vrai. Le média The Drum évoquait en mars l'arrivée des jinfluenceurs, c'est-à-dire des créateurs de contenus qui utilisent les réseaux et notamment TikTok pour relayer ou commenter de l'information avec un biais politique assumé. Aux États-Unis, c'est une myriade de comptes comme celui de Vitus « V » Spehar, qui anime @underthedesknews, ou bien @harryjsisson, qui commentent l'actualité sans cacher leur appartenance à un camp politique.
En France, cette tendance au commentaire politique était l'apanage des influenceurs d'extrême droite comme le Raptor, ou Papacito. À présent, ces derniers sont embourbés dans des ennuis judiciaires ou reconvertis en vendeurs de protéines, tandis que les créateurs de contenu de gauche comme Usul, Dany et Raz ou Antoine Goya prennent une place dominante sur les réseaux. Si les jinfluenceurs remportent la confiance de leur jeune public, elles posent aussi la question de la pseudo-objectivité journalistique, dernier argument, un brin fallacieux, encore utilisé (surtout outre-Atlantique) pour défendre les médias mainstream.
La fin d'Hollywood et la prise de pouvoir de la tech sur l'entertainment
« L’emprise d’Hollywood sur le monde du divertissement a disparu ». Ce n’est pas moi qui le dis, mais Barry Diller, ancien baron d’Hollywood, qui a notamment dirigé Paramount Pictures et Universal. Dans une interview donnée au Financial Times, il explique que Netflix, Amazon et Apple sont devenus les maîtres du secteur mondial du cinéma et de la télévision. Les conséquences directes de cette prise de pouvoir ? Une dilution du pouvoir décisionnel, nuisible à la création, ainsi qu’une fusion croissante avec les technologies de génération d’images par IA.
Sur le premier point, un article du New York Times décrit parfaitement ce que cela fait d’être confronté à l’entièreté du catalogue Netflix original, soit plus de 18 000 titres, s’est transformée en une sorte de labyrinthe de contenus regardés par une multitude d'audiences de niche. Pour ce qui est de l’intelligence artificielle, il ne faudra pas attendre très longtemps avant de voir débarquer les premières séries entièrement générées par ces outils. En Chine, les utilisateurs de l’application de vidéos courtes Kuaishou ont déjà massivement suivi la mini-série The Mirror of Mountains and Seas, un blockbuster d’héroïc fantasy entièrement créé par IA. Du côté d’Andreessen Horowitz, l'un des plus importants fonds d'investissement de la Silicon Valley, qui a déjà investi 7,6 milliards de dollars dans ce secteur, on estime que l’on est à « deux doigts » d’une révolution de la fiction.
L’IA devrait changer à la fois la manière de concevoir des narrations et de les consommer. À mi-chemin entre une série et un jeu vidéo, la génération d’images via les outils d’IA devrait permettre l’invention de fictions interactives sur lesquelles les spectateurs pourraient intervenir, sans que les créateurs, metteurs en scène ou animateurs n’aient à le prévoir. Ces œuvres génératives et interactives pourraient augmenter l’engagement des fans tout comme des spectateurs classiques, un enjeu prioritaire dans la guerre de l’attention.
Retour de la dumb tech et des magazines papiers
On le sait depuis le retour en grâce du vinyle, les « dumb tech » (comprennez ici, des appareils pas forcément connectés), comme on les appelle, ont le vent en poupe. On sent bien que l'esthétique Y2K pousse les jeunes adultes de la génération Z à s’équiper de vieux téléphones à clapet ou de chiner des appareils photo numériques antiques pour retrouver cet aspect granuleux et saturé de l’ère MySpace et SkyBlog. Outre son aspect de marqueur identitaire, ce retour à des appareils moins connectés préfigure une prise de conscience des vingtenaires et trentenaires, celle de la captation de leur attention par leurs smartphones et les plateformes sociales.
Alors qu’un sondage récent montrait que 47 % des jeunes de 18 à 25 ans regrettent l’existence de TikTok, il semblerait qu’ils s’intéressent de plus en plus au retour de la presse magazine. Le 24 septembre dernier, le média Vice, racheté en 2023 après sa faillite par un consortium de créanciers mené par Fortress Investment Group, a annoncé la sortie de son magazine papier, qui avait fait sa renommée dans les années 2000. NYLON, le célèbre magazine dédié à la pop culture et aux célébrités, a sorti une version papier cette année, tandis que le média français Views a sorti son premier numéro en kiosque en septembre dernier. Comme le dit son fondateur Léo Devaux, l’idée est de « produire du contenu original, à forte valeur ajoutée, qui ne soit pas uniquement consommé derrière un écran ou soumis aux algorithmes des réseaux sociaux, mais aussi de reprendre la main sur la distribution du contenu et de créer un objet éditorial global ». Face à la guerre ouverte que les plateformes ont déclarée aux médias journalistiques, le papier pourrait donc faire office de valeur refuge, mais aussi d’objet vintage pour une jeunesse nostalgique d’un médium qu’ils n’ont pas vraiment connu.
IA, une bulle coûteuse qui continue de grossir
(Texte extrait de notre newsletter payante Télomère)
D’après The Information, l’entreprise de Sam Altman pourrait enregistrer un déficit de 5 milliards de dollars à la fin de l’année 2024. Pour pallier ce problème, OpenAI cherche à simplifier cette structure afin d'attirer davantage de financements, avec l'objectif de lever plusieurs milliards de dollars et d'atteindre une valorisation de plus de 100 milliards. De manière globale, et à ce stade, le secteur des LLM est un gouffre financier. D’après un rapport de Goldman Sachs Research publié cet été, l’industrie technologique dans son ensemble est prête à dépenser 1 000 milliards de dollars pour développer l’intelligence artificielle au cours des prochaines années. Vous trouvez que c’est beaucoup trop ? Vous n’êtes pas les seuls. L’essayiste, blogueur et podcasteur réputé dans le milieu de la tech, Ed Zitron, a décrypté ce rapport ainsi que l’ensemble des signaux faibles économiques du secteur dans une série d’articles, et sa conclusion est sans appel. Le pessimisme et l’inquiétude semblent gagner les banques qui constatent que cette industrie a toujours besoin de plus d’argent, sans que cela impacte encore la productivité des entreprises, et encore moins le PIB des pays. Plus largement, les discours grandiloquents sur l’intelligence artificielle générale (qui serait capable de penser comme un humain), la crise énergétique ainsi que la naissante crise des données (le fait que les ressources de données de haute qualité sont limitées et s'épuisent) constituent des freins qui pourraient impacter le secteur. C’est sans doute dans cette optique que ChatGPT ou d’autres LLM comme Perplexity tentent de trouver de nouveaux modèles économiques avec des abonnements plus chers réservés aux entreprises ou des partenariats publicitaires censés supplanter Google.
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