
#NoBadFoods, #FoodFreedom, #DitchTheDiet… Ces hashtags, à l’origine émancipateurs, sont devenus une aubaine pour les géants de l’agroalimentaire. Comment la communauté anti-régime est-elle devenue le meilleur allié de Big Food ?
Le Body Positive et l'activisme pour une meilleure acceptation de soi ne datent pas des réseaux sociaux. Depuis des décennies, le mouvement anti-régime lutte par exemple contre les préjugés autour du poids, les effets délétères de la diet culture (culture du régime) qui régit la vie de nombreux individus – des femmes en particulier. C’est notamment le cas du mouvement HAES (Health at Every Size), né dans les années 60 aux États-Unis, afin de lutter contre les discriminations liées au poids et promouvoir la santé pour tous les corps. Ou de l’intuitive eating (alimentation intuitive), dans les années 90, qui consiste à se recentrer sur les signaux physiologiques plutôt que sur le dernier régime à la mode, pour renouer avec l’estime de soi et une relation saine à l’alimentation.
#DerailTheShame, contre la « stigmatisation » des Cheerios
Dénonciation de la grossophobie, du culte de la minceur, droit à la santé pour tous et toutes… Les messages émancipateurs portés par ces mouvements ont ensuite trouvé une formidable caisse de résonance grâce aux réseaux sociaux. Mais aujourd’hui, ces mouvements progressistes sont dévoyés par l'industrie agroalimentaire pour ses propres intérêts commerciaux. En effet, Big Food n’hésite pas à recruter les influenceurs anti-régime pour faire la promotion de ses produits ultratransformés, comme le dévoile une enquête du Washington Post et de l’ONG The Examination.
L’investigation se concentre sur les pratiques de General Mills, géant américain de l’agroalimentaire, qui possède dans son portefeuille des marques de céréales ancrées dans la culture populaire des États-Unis, comme Cheerios, Cocoa Puffs ou Lucky Charms. Le fabricant de céréales a notamment couvert de cadeaux les diététiciens qui mettaient en avant ses céréales sucrées avec le hashtag #DerailTheShame (Faire Dérailler la Honte). Le Washington Post a ainsi identifié une dizaine d’influenceurs anti-régime affichant avec fierté des boîtes de Cheerios personnalisées à leur nom pour dénoncer la « stigmatisation » subie par les céréales de petit-déjeuner – pourtant l’une des catégories alimentaires parmi les plus transformées.
Ainsi sur TikTok, l’influenceuse Anti-Diet Cara Harbstreet ne recule devant rien, pas même un post sponsorisé, pour « prôner des repas nourrissants, sans peur, même des céréales » et « parce que nous méritons tous de profiter de la nourriture, sans craindre le jugement, les enfants en particulier ». À chacun ses combats.
Liaisons dangereuses
Plus largement, le Washington Post et The Examination ont passé au crible plus de 6 000 publications de 68 diététiciens, affichant plus de 10 000 abonnés. Près de 40 % de ces derniers, représentant une couverture globale de 9 millions d’abonnés, employaient régulièrement un langage anti-régime, type #NoBadFoods, #FoodFreedom, #DitchTheDiet… Et la majorité de ceux-ci, selon le Post, est sponsorisée et rémunérée par des entreprises de l’agroalimentaire.
Ces liaisons dangereuses entre influenceurs santé et industrie agroalimentaire ne sont pas une première : dans une enquête distincte de novembre 2023, The Washington Post avait identifié une douzaine d'influenceurs santé (diététiciens, professionnels du fitness...) qui avaient diffusé à leurs followers des posts défendant l'innocuité de l'aspartame, au moment où l'édulcorant était questionné par l'Organisation mondiale de la Santé. Ces influenceurs avaient toutefois omis de préciser clairement que cette campagne, qui se répandait sur les réseaux sous la bannière #safetyofaspartame, était payée par American Beverage, un groupe de lobbying représentant des entreprises comme Coca-Cola ou PepsiCo. Un manque de clarté réprimé par la FTC (Federal Trade Commission), via des lettres d'avertissement aux associations professionnelles et influenceurs concernés, notamment quant à l'usage des hashtags #ad, #sponsored ou partenariat rémunéré – sans autre indication explicite sur les organisations derrière ces campagnes.
Violation du premier amendement
Ainsi, dans un twist aussi pernicieux que cynique, parce qu’elle pourfend la restriction au profit de la « liberté alimentaire », s’oppose à la « diabolisation » des aliments et dénonce le stigma autour des troubles du comportement alimentaire, la communauté Anti-Diet est devenue le meilleur allié des vendeurs de produits ultratransformés. Une aubaine pour Big Food qui a sauté sur l'occasion, en s'appuyant aussi sur la légitimité de professionnels de la santé comme les nutritionnistes, au lieu de prendre ses responsabilités dans la crise de santé actuelle et d'amender ses pratiques.
Outre son travail d’influence sur les réseaux, General Mills utilise des méthodes plus classiques pour continuer de vendre ses produits. Financement d'études, lobbying... Le Washington Post évoque une dépense de 2 millions de dollars entre 2022 et 2023 en lobbying auprès des gouvernements fédéraux. Avec Kellogg et Post Consumer Brands, General Mills s’est notamment battue bec et ongles pour empêcher la Food and Drug Administration (FDA) de mettre en œuvre de nouvelles obligations d'étiquetage alimentaire. La FDA souhaitait réguler plus strictement l’allégation « healthy » – excluant notamment les céréales affichant plus 2,5 grammes de sucre par portion. Les entreprises ont même menacé d’aller en justice, arguant la violation du premier amendement de la constitution américaine, la liberté d'expression. Par ailleurs, le CEO de Kellogg s’était également illustré cette année sur l’antenne de CNBC, en encourageant sans ciller les consommateurs aux prises avec l’inflation à remplacer les dîners par un bon bol de Frosties.
Et selon le quotidien américain, General Mills a financé au moins sept études cherchant à démontrer le bénéfice santé des céréales. L’une en particulier – The Impact of Ready-to-Eat Cereal Intake on Body Weight and Body Composition in Children and Adolescents: A Systematic Review of Observational Studies and Controlled Trials – affirme même que « les enfants consommateurs de céréales prêtes à manger ont un IMC (indice de masse corporelle) plus sain et ont moins de risques de surpoids et d'obésité que ceux qui consomment d'autres petits-déjeuners ou qui sautent le petit-déjeuner. » Et ceci, « quel que soit le niveau de sucre ».
L’épidémie d’obésité est une réalité à l’échelle globale : elle touche aujourd’hui plus d’un milliard d’individus dans le monde, selon une étude de The Lancet. En trente ans, sa prévalence a plus que doublé chez les adultes, et quadruplé chez les enfants et adolescents. Aux Etats-Unis, 70 % de la population est obèse ou en surpoids. Si la pathologie est multifactorielle, le développement de l’alimentation transformée constitue une cause majeure d’un fléau qui touchera plus de la moitié de l’humanité d’ici 2035, selon la Fédération mondiale de l’obésité. L’obésité s’accompagne d’un risque accru de maladies, comme le diabète de type 2, les maladies cardiaques, l’hypertension artérielle ou les cancers.
Merci pour ces infos bien traitées !
Article très intéressant. Mais n'est-ce pas un chouïa cynique que la bio de son auteure signe : "Jamais trop de pastéis de nata"? 🙂
excellent article...
Haha, bien vu. A ma décharge, je ne mange que ceux issus de Belém dont la recette est censée dater du XIXème. J'espère qu'ils ne sont passés à l'extrusion ou au cracking depuis... Merci de votre commentaire.